L’E10, nouveau challenge de la filière bioéthanol française
Après l’échec cuisant de l’E85, lancé en grande pompe en 2006, la filière bioéthanol a l’occasion de se rattraper avec l’E10, mais sous conditions
Lancée le 1 er avril, la commercialisation de l'agrocarburant E10, mélange d’essence sans plomb et de 10 % d'éthanol (les textes réglementaires stipulent une incorporation allant jusqu’à 10 % sans prévoir de minima), marque un nouveau départ pour la filière bioéthanol française, qui n'a connu qu'un bref succès médiatique avec celle de l'E85 (Superéthanol).
Un challenge à la hauteur des investissements s’élevant à plusieurs millions d’euros mis en place par les acteurs du projet, dont la pérénité dépendra de nombreux facteurs qui permettront ou non à l’E10 de s’imposer davantage que son prédécesseur. De ces conditions découleront un marché qui absorbera les productions de 223.000 ha de blé et de 80.000 ha de betteraves en 2009.
Des facteurs structurels primordiaux
Plusieurs facteurs structurels décideront du succès de l’E10. La distribution d’abord, qui devra assurer la disponibilité de l’agrocarburant dans les stations-service du territoire hexagonal. Un paramètre qui s’est avéré décisif dans l’échec de l’E85.
Aujourd’hui, le carburant E10 est disponible dans 200 stations, sur un ensemble de 12.700 réparties dans toute la France. Le géant pétrolier Total annonçait mercredi dernier vouloir commercialiser l’E10 dans 350 stations-service d’ici la fin de la semaine, tandis que BP entend équiper « la quasi totalité » de ses 422 stations d’ici la fin du mois d’avril. Du côté de la grande distribution, Leclerc a fait part de son intention de distribuer très rapidement l’E10 dans 36 stations (sur un total de 500). Mais tous les opérateurs ne semblent pas si volontaires. Aucune pompe E10 n’était disponible pour les groupes Shell, Esso et Intermarché le 1 er avril.
Plus inquiétant, la position de l’Union des importateurs indépendants pétroliers (UIP), nettement plus frileuse. « L’expérience malheureuse de l’E85 nous laisse un triste souvenir », explique Alexandre de Benoist, délégué général de l’UIP, regrettant des « dépenses inutiles. » Et d’ajouter : « Le déploiement de l’E10 dans nos stations se fera en fonction de l’existence d’un marché. » Le serpent se mord la queue...
Autre impératif pour le consommateur : le prix de l’E10 comparé à l’essence classique. Selon les déclarations des différents intervenants de la distribution, le prix du litre d’E10 sera inférieur à celui du carburant SP95, entre 1,5 et 4,5 centimes le litre. Mais attention, le rendement du bioéthanol étant inférieur à celui de l’essence classique, l’économie sera moins importante que la simple différence de prix à la pompe.
Enfin, la compatibilité du parc automobile français avec ce nouveau carburant est un point plutôt positif pour la filière bioéthanol. Là où la sortie de nouveaux modèles spécialement conçus pour l’E85 était nécessaire pour lancer le Superéthanol, l’ensemble des véhicules construits après 2000 devrait supporter la consommation de l’E10. Selon le Comité des constructeurs français d’automobiles, 47 % du parc auto français serait convertible à l’E10, le ministère de l’Energie et de l’Ecologie évoquant de son côté le chiffre de 60 %. Dans le doute, la liste des véhicules compatibles reste disponible sur le site Internet www.carburantE10.fr.
Enfin, les soutiens politiques sont aussi essentiels. Côté bruxellois, les objectifs appuient la filière qui y trouve une justification appréciable, à l’heure où les écologistes condamnent les agrocarburants de première génération, dont fait partie l’E10.
L’incorporation en valeur énergétique de 10 % d’agrocarburant d’ici 2020 exigée par l’UE est renforcée par un objectif français équivalent, mais effectif dès 2015. Bien entendu, la défiscalisation est également un élément primordial de la pérénnité de la filière. Et à ce sujet, les professionnels devront faire preuve d’une grande prudence. La première loi de finance 2009 ne prévoyait-elle pas la suppression des avantages fiscaux de la filière d’ici 2012 ?
La concurrence brésilienne inquiète les éthanoliers
En tant que premier producteur et exportateur d’éthanol, le Brésil fait peur et pour cause. « Nous devons nous montrer extrêmement vigilants au cas où des importations d’éthanol brésilien arriveraient en France », assure Alain Commissaire, directeur général de Cristal Union dans une interview de l’hebdomadaire Les Marchés, en date du 2 avril 2009. Une inquiétude d’autant plus justifiée que « la dépréciation actuelle du real procure au Brésil un avantage concurrentiel indéniable », auquel s’ajoute un prix du fret très bas.