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Logistique
Le fret ferroviaire, un service qui roule

Longtemps critiquée, la SNCF a su adapter son offre aux besoins des différents bassins de production. De leur côté, les partenaires de la filière ont appris à anticiper leurs besoins d’expédition pour alimenter les silos portuaires.

Jeudi, 10h30, le silo de Gommiers, propriété d’Axéréal en Eure-et-Loir, charge un train de blé 76/220/11. Quelque 1 300t, dans les silos depuis la moisson, embarquent dans 22 wagons à destination de Rouen (76). Près de 220 km à parcourir pour, à terme, voguer jusqu’aux côtes algériennes. Les wagons, propriété de CTC, sont arrivés vers 7h du matin à la coopérative. C’est Ecorail qui a assuré leur mise à disposition au bon endroit et au bon moment, les équipes de la SNCF se chargeant de les manutentionner. Après six heures de chargement, le train sera convoyé jusqu’à la gare de triage des Aubrais, par une locomotive thermique. Une traction électrifiée, produite par la direction chargée des trafics agricoles chez Fret SNCF, viendra chercher la cargaison pour l’acheminer jusqu’au port normand. Le fret circule « tard le soir ou tôt le matin en alternance avec les autres activités » (voyageurs…), explique David Le Floch, responsable commercial Normandie de Fret SNCF. Le convoi ne partira alors que le lendemain, vers 4h, pour rejoindre la zone de triage de Sotteville, près de Rouen, à 10h. Repris par un autre engin pour les derniers kilomètres, le blé atteindra les silos portuaires, à 13h30, comme prévu. Une logistique, bien huilée, au service de l’activité d’exportation céréalière française. Mais cela n’a pas toujours été le cas. Elle est le fruit d’une remise en question des (mauvaises) habitudes de chacun et d’une réorganisation de l’opérateur ferroviaire national historique.

Une anticipation salutaire des besoins d’exécution
Du temps où le slogan de la SNCF était “C’est possible”, « on commandait un train le lundi, et on râlait parce qu’il n’arrivait pas le mercredi. Nous avons tous appris à anticiper et programmer », résume Sébastien Barthe, responsable du pôle Exécution d’Axéréal. Or « la désorganisation a une conséquence financière. Si un train n’est pas là, nous avons mobilisé du personnel pour rien », argumente Gilles Kindelberger, directeur opérationnel de Sénalia. Un constat sur lequel Fret SNCF, pour qui le transport de grandes cultures représente un tiers du CA, revient sans complexe. C’est de l’histoire ancienne pour l’entreprise publique. En quête de rentabilité, elle a, il y a quelques années, choisi de prendre le taureau par les cornes. « Nous avons constaté un décalage entre notre offre et les attentes du marché avec des problèmes de fiabilité, rapporte David Le Floch. à compter de 2006, nous avons donc mené une analyse de notre organisation avec deux types de schémas. » L’un pour des flux réguliers, l’autre pour des trafics plus ponctuels.
Pour faire passer un train à un endroit donné, il faut payer un droit de passage : le sillon. Ceux de 2013 ont dû être commandés en avril 2012. Avec des campagnes aux profils parfois très différents, cette contrainte est « compliquée à gérer sur le marché des céréales ». Ainsi, même s’il est possible de commander des sillons au dernier moment, Fret SNCF a « besoin de visibilité à long terme » pour optimiser son organisation. « La zone céréalière de Chartres à Orléans, cœur de notre marché pour l’approvisionnement du port de Rouen, permet la mise en place de flux répétitifs », le premier type de trafic développé pour la filière par Fret SNCF. Ainsi, « certains de nos clients contractualisent des expéditions de 2-3 trains par semaine avec un engagement sur un an ou plus ». C’est notamment le cas d’Axéréal, satisfait lui aussi de ces « engagements sur la durée », comme l’indique Sébastien Barthe qui souligne cependant que « la dimension du groupe, avec 4,5 Mt collectées, facilite l’organisation et l’engagement sur le long terme ». Mais l’évolution du marché a aussi facilité cette mutation : le recours accru au « marché à terme a aidé à l’anticipation », témoigne David Le Floch. « Pouvoir se positionner sur la logistique sans fixer de prix » est un véritable atout pour la planification, confirme Sébastien Barthe. « Cette anticipation nous a permis de gagner en fiabilité », assure David Le Floch. « Nos engagements contractuels, à savoir livrer les trains à l’heure (le standard des clients) sont réalisés à un très haut niveau de qualité ». Ainsi, « 95 % des programmations sur Sénalia sont réalisées », témoigne Gilles Kindelberger. L’installation, depuis 2009, des agences commerciales sur les plateformes de production, liée à la réorganisation de Fret SNCF en 5 directions dédiées par marché, a aussi permis d’améliorer l’efficacité. « Le rapprochement de l’agent de manœuvre et de l’assistant commercial a eu un impact notable sur la remontée en qualité de nos prestations », assure Fabrice Dubois, directeur commercial du pôle Agriculture chez Fret SNCF. « Cela permet notamment d’expliquer aux équipes pourquoi un trafic est plus ou moins développé à un moment donné. » Et « la volonté de la SNCF d’assurer l’acheminement jusqu’au bout, avec un seul conducteur, limitant aussi le risque de rupture, a baissé le coût de la prestation », ajoute Gilles Kindelberger.
Si la zone beauceronne peut expédier jusqu’à 400.000 t en une année sur le port de Rouen, dans d’autres zones céréalières, « les clients nous sollicitent plus en fonction des opportunités du marché », témoigne le responsable de Rouen. Sur un  croissant allant de la Picardie-Champagne, au nord et est de Paris, en passant par le Sud de la capitale, les besoins d’expéditions sur Rouen sont moins réguliers. « Nous ne pouvions donc pas fixer des moyens sur ces axes », explique David Le Floch. Cela a conduit Fret SNCF à proposer un second produit : « le NEC, ou Normandie Express Cargo, qui permet au client de déclarer ses origines plus tardivement ». Une solution avec ou sans sans engagement sur le long terme. Evidemment, le « tarif est adapté » à cette réactivité. Lors du lancement, en 2009, un engin était dédié à cette offre, contre 4 à 5 aujourd’hui.
Aucune campagne ne se ressemble en matière d’exportations céréalières, ce qui complique la gestion logistique. Il y a deux ans par exemple, en l’absence de la Russie sur le marché mondial, les silos portuaires rouennais ont enregistré, « en global, plus de 10 rotations sur l’année, contre à peine 4 en 2011 », explique Gilles Kindelberger. En une semaine, Sénalia peut recevoir 4 à 18 trains. « Notre capacité d’adaptation à une variation de volumes et à la saisonnalité, demandée par nos clients, nous a  permis de nous repositionner sur un territoire que nous avions perdu au profit de la route pour des raisons de qualité et de coût », se félicite Fabrice Dubois.

La concurrence routière
Avec 900.000 km de bitume et 30.000 km de voie ferrée, « mon concurrent essentiel reste la route, qui représente plus de 70 % des approvisionnements rouennais », explique David Le Floch. Les 25 à 30 % restants se répartissent entre le ferroviaire et le fluvial. « En dessous de 150 km, le camion est plus compétitif. » D’autant que, contrairement au train, les bennes peuvent recharger d’autres produits. « Lorsque cela est possible, les trains peuvent charger des engrais en retour. Mais ces situations relèvent plus d’opportunités, en fonction des besoins des clients. » Notons par ailleurs que l’autorisation, par l’état, du 44 tonnes « a développé l’hinterland routier ». Un train complet équivaut à 43 camions…  Et les six heures nécessaires pour charger le train de Gommiers auraient permis de charger 50 camions… « Si on les a », tempère Sébastien Barthe. 50 camions multiplient d’autant le temps passé à l’administratif.
Quant aux tarifs, si « on ne peut pas se permettre de jouer au yoyo avec les prix » du fret ferroviaire, comme l’assure David Le Floch, pour le secteur routier, « marché plus atomisé », l’élasticité est plus importante. D’ailleurs, du fait sans doute d’une moindre demande consécutive à la crise économique et à la campagne passée, ce secteur s’est montré encore plus agressif au printemps. Et ce, malgré la hausse des prix du carburant… Pour maintenir voire accroître ses parts de marché, le ferroviaire doit « continuer à imaginer comment faire autrement ». Une piste serait de faire évoluer le format : « Le train entier reste le standard du marché, l’essentiel du business. Mais il n’y a pas de modèle type. Les trains peuvent être adaptés aux besoins du client et à notre ressource au moment de l’arrivée de la commande. »

Un puzzle géant, y compris sur les flux réguliers
« L’exécution, c’est un puzzle de 5.000 pièces à refaire chaque jour» avec les nouvelles commandes qui tombent, image Sébastien Barthe. Et pour pimenter le tout, « parfois on vous change les pièces » :« Il arrive en effet que nous soyons amenés à changer, au pied levé, les livraisons en fonction de la demande du client. » « Nous faisons notre possible pour s’arranger mutuellement », confirme Gilles Kindelberger, ajoutant : « pour monter une organisation de transport, il faut une bonne entente entre les différents opérateurs. »
Mais comment se construisent ces programmes de livraison ? Un chargeur qui vend ou entend vendre à l’exportation va acheter de la marchandise aux organismes stockeurs. Ceux-ci devront, en temps voulu, l’expédier vers les installations portuaires rouennaises. « Quand un livreur veut envoyer un train d’un produit donné chez Sénalia, on regarde comment sa demande s’intègre dans nos plannings, puisqu’il n’est pas le seul demandeur, et on cherche la solution permettant d’assurer le niveau de rotation le plus efficace », détaille Gilles Kindelberger. L’opérateur des silos portuaires (qui se rémunère sur les chargements des navires), Fret SNCF (qui assure la traction) ou les organismes stockeurs (souvent propriétaires de flottes de wagons, particularité du secteur agricole), tous ont intérêt à massifier les flux et saturer l’exploitation de leurs outils. « Lorsque l’on s’est mis d’accord, on donne le feu vert et on en informe les différents prestataires de service », poursuit Gilles Kindelberger. Sur Rouen, la SNCF est le seul opérateur en matière de fret ferroviaire de céréales. Si les flux reliant la Beauce à Rouen sont assez réguliers, leur orchestration n’en est pas moins complexe. « Nous ne sommes pas sur du transport fixe, d’un point A à un point B, comme cela est le cas, par exemple pour l’acier ou le BTP », illustre le responsable commercial du pôle agriculture de Fret SNCF de Rouen. En effet, une dizaine de silos d’Axéréal sont raccordés à la seule desserte des Aubrais à Orléans. Et Chartres dispose d’un site semblable. à l’arrivée, il y a six possibilités de destinations sur Rouen, trois sur chaque rive.
Du côté de l’OS, qui sollicite divers prestataires ferroviaires pour d’autres destinations que les rives rouennaises, « nous avons un panel de contrats et un panel de stocks », dispatchés dans différents silos, qui parfois ne sont pas embranchés sur une voie ferrée. Et « nous essayons de combiner le tout », explique Sébastien Barthe. « 30 à 60 jours avant l’expédition, nous nous engageons pour un volume, un point de départ et un produit », détaille-t-il. Le site des Aubrais centralise les flux des différents silos du groupe coopératif. En fonction de la commande, le responsable de secteur choisit quel silo il sollicite, et le chef de silo, dans quelle cellule il puise le grain. Le bon déroulement du chargement dépend donc largement de la qualité du travail de ségrégation à l’origine.
Les silos Axéréal de la zone des Aubrais réalisent deux chargements par semaine à jours fixes pour expédier les grains vers les installations de Sénalia. Une fois sur place, le train est vidé dès son arrivée en deux heures trente environ. « Nous prélevons un échantillon sur chaque train pour réaffirmer la qualité et assurer la classification. » En effet, « nous sommes dans une banalisation des stocks, explique Gilles Kindelberger. C’est-à-dire que nous consacrons des silos aux orges, d’autres aux blés durs, aux féveroles et, évidemment, aux blés, mais venant de tous fournisseurs. Nous établissons une grille qualité en début de campagne pour classer les blés dans nos cellules de 2 500 t à 4 500 t. Nous en mettons aussi à disposition de certains clients, pour des variétés pures, par exemple ». Au chargement des navires, « nous réalisons un assemblage des différentes qualités pour répondre au cahier des charges du client et proposer une cargaison homogène de la première à la dernière câle » (jusqu’à 5). Cela est important car ces volumes approvisionneront, in fine, plusieurs industriels « qui doivent tous avoir la même qualité ». Arrivés le matin, les navires de 25 000 t, chargés à un débit 3 000 t/h, repartent le soir rejoindre la mer.

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