La nutrition animale à la recherche de protéines
La fraction protéique des rations animales reste la plus coûteuse et la moins accessible. Si les sources « traditionnelles » de protéines peuvent progresser, que ce soit grâce à un taux supérieur de protéines dans les céréales ou l’application de technologies sur les tournesol et colza, la nutrition animale s’intéresse de près aux autres sources potentielles, parmi lesquelles figurent toujours les insectes.
La fraction protéique des rations animales reste la plus coûteuse et la moins accessible. Si les sources « traditionnelles » de protéines peuvent progresser, que ce soit grâce à un taux supérieur de protéines dans les céréales ou l’application de technologies sur les tournesol et colza, la nutrition animale s’intéresse de près aux autres sources potentielles, parmi lesquelles figurent toujours les insectes.
Les protéines alternatives constituent un des sujets clés pour l’UE en 2024, la Commission européenne étant attendue en ce début d’année sur une proposition qui pourrait rebattre les cartes. Le Parlement européen a d’ailleurs livré en juin 2023 un brief sur la question, rappelant qu’il s’agit à la fois de renforcer l’autonomie de l’UE en protéines végétales (pour l’alimentation animale et humaine) mais aussi de réduire notre impact sur la déforestation. Pour ce faire, promouvoir des protéines « de remplacement » partiel de sources traditionnelles présente clairement un intérêt car améliorer sa production de protéines végétales est depuis longtemps un objectif de l’UE qu’elle peine à atteindre… Sans compter les multiples plans protéine dans les Etats membres, le sujet faisait déjà l’objet d’une résolution du Parlement européen en mars 2011.
L’idée de promouvoir des protéines alternatives en parallèle d’un soutien à la production européenne de protéines végétales figure dans la stratégie « Farm to fork » de 2020 sans qu’aucun plan protéine ne soit encore établi d’où la forte attente d’une proposition de la Commission européenne. L’invasion de l’Ukraine a tendu un peu plus l’urgence en la matière. D’autant que le plan énergie de 2009 a déjà montré l’impact des mesures incitatives sur la production de colza pour les biocarburants et, simultanément, la mise à disposition de tourteaux de colza pour la nutrition animale même si leur taux protéique reste inférieur à la référence, le soja. Certaines protéines, comme celles issues des algues, sont déjà reconnues. La Commission européenne a ainsi publié en novembre 2022, une communication intitulée « Vers un secteur des algues de l’UE fort et durable » qui recense 23 mesures pour stimuler le secteur.
Trois grandes classes de protéines alternatives
Aujourd’hui, les principales protéines alternatives pour la nutrition animale se classent en trois grandes catégories : les protéines d’insectes, les protéines d’algues et de microalgues, les protéines unicellulaires ou microbiennes, issues principalement de la fermentation de champignons ou de bactéries. Un de leur principal intérêt réside dans leur faible empreinte carbone mais elles peuvent être gourmandes en énergie ce qui limite encore leur intérêt. Les isolats et les concentrés de protéines de soja peuvent aussi se faire une place dans les segments premium.
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Le récent rapport de Market growth intellect estime que l’évolution du secteur sera très importante d’ici la fin de la décennie grâce à l’évolution technologique poussée par une demande croissante. Ses experts placent des entreprises comme Hamlet Protein, DuPont mais aussi Innovafeed, Ÿnsect, Angel Yeast et Lallemand parmi les leaders actuels et futurs aux côtés de Cargill Incorporated par exemple, mélangeant des acteurs déjà bien installés et des start-up. Les données de volume ne sont toutefois pas disponibles sur des marchés très différents les uns des autres.
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Marquant l’importance pour les fournisseurs de matériels, les protéines alternatives pour l’alimentation humaine et pour l’alimentation animale seront ainsi le point central de la plateforme de R&D « Inhouse farming 2024 » durant le salon EuroTier à Hanovre (Allemagne) du 12 au 15 novembre prochain. « L’utilisation des plus récentes biotechnologies permettent désormais une production significative de protéines de très bonne qualité. En sus des bioréacteurs pour les champignons et les microalgues, les technologies pour l’élevage d’insectes, l’agriculture cellulaire, l’aquaculture et la production d’algues, l’aquaponie appartiennent à cette catégorie de production en conditions contrôlées », explique la DLG, l’association des agriculteurs allemands qui organise le salon.
DSM-Firmenich vient par exemple de lancer une gamme de protéines unicellulaires (SCPs) qu’il annonce être produites en « net zéro carbone ». Issues de la fermentation, elles sont formées à partir d’une large bibliothèque d’algues, de champignons, de bactéries et de levures. « Les microorganismes marquent la seconde révolution de la domestication destinée à l’alimentation », commente Karim Kurmaly, directeur de Smart Protein du géant néerlandais des additifs, DSM-Firmenich, dont l’installation à Delft fournit déjà les volumes nécessaires aux tests en élevage.
Insectes, une économie en route
Après leur autorisation en aquaculture à l’été 2017, les protéines d’insectes sont désormais aussi autorisées, depuis septembre 2021, dans l’alimentation des porcs, des volailles, des animaux familiers et les autres animaux comme les animaux de zoo, même si elles restent interdites pour les ruminants. Ces derniers peuvent toutefois ingérer des protéines hydrolysées d’insectes ainsi que les lipides d’insectes.
L’un des principaux challenges des producteurs d’insectes repose sur leur coût : l’une de leur demande porte donc sur l’autorisation de la valorisation de plus nombreux supports de croissance, notamment les déchets alimentaires (food waste) expliquait l’Ipiff (le syndicat des producteurs européens d’insectes) lors de son congrès du 15 novembre dernier à Bruxelles. « L’Ipiff prévoit que les restes alimentaires contenant des viandes et du poisson seront autorisés comme substrat d’élevage pour les insectes en 2025-2026 au niveau européen », estime le syndicat. Et d'ajouter : « Cette diversification des matières premières est vue comme un réel catalyseur pour débloquer la croissance du secteur. Un bon tiers de déchets alimentaires générés dans l’UE pourrait être utilisé de cette manière avant d’être qualifié justement de déchets. »
Le secteur européen des insectes rassemble un millier d’entreprises qui devraient, d’ici 2030, représenter 30 000 emplois. Il a, selon l’Ipiff, levé plus d’un millier et demi d’euros d’investissement. Avec 4 000 tonnes de protéines d’insectes et 9 495 tonnes de produits en total (protéines, lipides, frass) produites en 2022, l'année 2023 s’est inscrit en croissance avec environ 11 000 tonnes de produits totaux. Le secteur progresse toujours, même si plusieurs projets ont été retardés par le contexte géopolitique et économique, notamment l’augmentation des coûts de la construction et de l’énergie. Selon l’enquête du syndicat, la capacité totale de production en européen pourrait atteindre flirter avec les 75 000 tonnes en 2025 voire 650 000 tonnes tous produits d’insectes confondus en 2030 si les étoiles sont alignées (investissements, matières premières, énergie, règlementation…).
Le marché le plus prometteur reste l’alimentation des animaux familiers qui pèse les trois quarts des ventes actuellement mais dont la part de marché devrait décroître au fur et à mesure que les autres segments, notamment l’aquaculture, progresseront. Les adhérents de l’Ipiff prévoient ainsi que le petfood représentera 70 % de ses ventes en 2025 et 46 % en 2030 alors que les poissons devraient passer de 11 % en 2025 à 36 % en 2030. Les volailles et les autres animaux (notamment les animaux de zoo) complèteront le tableau. Le porc n’arriverait que loin derrière même si certaines filières sont déjà en place comme à Innovafeed, avec « Vive l’insecte » d'Auchan retail et le partenariat avec Cargill pour l’utilisation d’huile dérivée d’insectes dans l’alimentation des porcelets.
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Innovafeed continue sa croissance. L’entreprise, fondée en 2016 pour l’élevage de mouche soldat noir, a ainsi inauguré, le 21 avril dernier, l’extension de son site de Nesle (Somme) ou l’entreprise a investi 25 millions d’euros (M€), dont 4,5 M€ financé par l’Etat dans le cadre du plan France Relance. Sans oublier la construction en cours d’une usine avec ADM aux Etats-Unis.
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Ÿnsect fondé en 2011, exploite une unité à Dole et une autre à Amiens. L’entreprise, qui s’est relancée en 2023 en livrant les premiers clients de cette usine en décembre, est également présente aux Etats-Unis, d’abord avec l’acquisition de Jord Producteurs puis, à partir de 2022 avec un atelier de production dans le Nebraska et désormais, des projets conjoints avec des moulins comme Ardent Mills aux Etats-Unis et Corporativo Kosmos au Mexique. Elle vient d’ailleurs d’obtenir la toute première autorisation de commercialisation des protéines de ver de farine pour l’alimentation des chiens aux Etats-Unis.
Des protéines à partir de méthane
Chez le spécialiste de la fermentation Unibio, la protéine unicellulaire Uniprotein est issue de la technologie « U-Loop » que l’entreprise a développé avec l’institut technologique danois DKU. Elle utilise des bactéries méthanotrophes pour produire, à partir de gaz naturel ou du biogaz, des protéines concentrées mises en marché dans une granulométrie de 150 à 200 micromètres. Ces organismes unicellulaires sont capables de se développer en n’utilisant que le méthane comme source de carbone et d’énergie. « L’un des intérêts de ce produit, autorisé dans l’UE depuis 1995 en nutrition animale, est son profil en acides aminés proche de celui de la farine de poisson », explique Olivier Hartz, responsable commercial en France. Avec un taux de 72 % de protéines, Uniprotein intéresse l’aquaculture et la nutrition des monogastriques (veaux, porcs, volailles). L’institut technique espagnol Irta vient également de publier des résultats sur les crevettes nourries durant cinq mois avec des taux de survie améliorés de 75 % par rapport au groupe témoin nourri à la farine de poisson. L’entreprise vient d’intégrer le GFLI (Global feed life cycle analysis institute) pour faire valoir sa méthode de production durable.