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Stratégie
« La différenciation par le service est inéluctable »

La Dépêche - Le Petit Meunier : Quelles seront les futures contraintes pour les fabricants d’aliments ?
Philippe Cazes :
Plusieurs thèmes vont émerger demain pour les Fab, à la fois en amont et aval. Sur l’amont, ils vont devoir s’adapter aux nouvelles attentes des éleveurs, qui vont être demandeurs de conseils technico-économiques. Les ex­ploi­tants prennent de plein fouet les évolutions sociétales et économiques, la baisse de la consommation, des revenus... et vont donc être à la recherche de conseils, par exemple, sur l’amélioration des coûts de production. Les risques de disparitions brutales d’exploitations dans les années à venir sont probables pour les élevages les plus fragiles. Les éleveurs exigent d’autre part une adaptation des formules d’ali­ments, avec l’arrivée notamment de nou­velles ma­tières premières sur le marché. Par ailleurs, la disparition progressive et probable des aides dans le domaine laitier est l’équivalent d’une “privatisation” de la production laitière. C’est une nouvelle menace à laquelle les éleveurs vont devoir faire face.
Du côté de l’aval, si l’on prend l’exemple du secteur laitier, les éleveurs français sont concurrencés par les éleveurs allemands, dont les coûts de production sont très inférieurs. Cela va amplifier les demandes d’optimisation de la rentabilité des ateliers dans les mois et années à venir. Autre contraintes, et non des moin­dres : l’aspect environnemental et le bien-être animal, sur lequel Bruxelles va demander des comptes. Un soucis partagé par le consommateur, exigeant désormais sur la nourriture consommée par l’animal. 

LD - LPM : Comment les Fab vont-ils devoir s’adapter ?
P.C. :
Selon moi, il s’agit d’un tournant intéressant pour les fabricants d’aliments. Il y a de vraies opportunités pour ceux qui sauront s’adapter. La différenciation par le service est inéluctable afin de continuer à donner une valeur ajoutée à l’offre d’un fournisseur de l’agrofourniture. Un Fab qui se contente de ne vendre que du granulé ne pourra pas résister. La production et la vente de services doit devenir un coeur de métier, un domaine d’activité stratégique à part entière, au même titre que la vente d’aliments. Par exemple, proposer des services centrés sur le côté nutritionnel, une aide à la formulation. En différenciant bien entendu l’aliment vendu du service. Il y a aujourd’hui des fabricants qui ont déjà franchi le pas. Et les éleveurs sont demandeurs. Reste un problème : l’image des fabricants est délicate auprès des exploitants, en tant que fournisseurs cherchant une rentabilité.  Les commerciaux manqueraient de crédibilité. Mais malgré ces réserves, actuellement, personne n’a la légitimité totale pour les aider, que ce soit les chambres d’agri­culture ou le contrôle laitier. Cela constitue donc pour le Fab qui veut s’y engager une réelle opportunité. Il est pertinent car il dispose d’équipes sur le terrain, capables d’apporter un conseil appro­prié et individualisé. Si l’on prolonge le conseil technique par un conseil économique ou la définition d’une stratégie, la démarche devient cohérente et crédi­ble. Quoi de mieux pour améliorer l’image ? De toute façon, si les Fab ne saisissent pas cette opportunité, ce seront d’autres intervenants qui le feront, com­me les centres de gestion par exemple.
Le domaine d’intervention est large selon moi. Il faudra faire face à des demandes de services ou de conseils sur l’économie de l’exploitation, la stratégie, un accompagnement sur les projets, l’environ­nement, le législatif, la Pac...

LD - LPM : Les fabricants d’aliments sont-ils prêts à relever ce défi, selon vous ?
P.C. :
Le seul vrai facteur limitant est d’ordre managérial. Les équipes de vente en alimentation ne sont pas prêtes aujourd’hui dans 90 % des cas. Pour le moment, elles sont à mon sens trop tournées vers le « J’ai des tonnages à vendre, comment je fais ? » Elles sont orientées depuis longtemps vers la vente de la technique et de l’aliment, mais sont peu informées des nouveaux enjeux. Et pas vraiment managées dans le sens d’un changement rapide et profond qui paraît pourtant inévitable. Une réorganisation du temps de travail et des missions sera nécessaire.

*Institut d’études et de conseil en développement spécialisé en agriculture

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