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La démarche de contractualisation interfilière renaît de ses cendres

En ces temps de conflit armé russo-ukrainien, les hauts niveaux de prix des matières premières agricoles, du blé et du maïs notamment, incitent la FNSEA à réfléchir sur un nouveau dispositif contractuel gagnant-gagnant pour sécuriser le revenu des producteurs.

Des interrogations demeurent quant à la mise en œuvre concrète de cette contractualisation interfilière par le fabricant d’aliments pour animaux et l’organisme stockeur, qui se retrouvent être les intermédiaires dans la chaîne contractuelle entre le céréalier et l’éleveur.
© Rupert B. de Pixabay

Dans le contexte de « perturbations des marchés liées à la guerre en Ukraine », un projet de « synergie entre le monde animale et le monde végétal », sur la base de contrats pluriannuels proposant des volumes de céréales à prix fixe, est mené au sein de la FNSEA, ont indiqué ses responsables, lors du congrès de l’AGPB du 8 juin. Ce dispositif en cours de discussion rappelle l’initiative menée, sans succès, en 2011 par le syndicat agricole avec la signature de l’accord du 15 juin 2011 relatif à la contractualisation interfilière (cf. encadré).

Un contexte plus favorable

A l’époque, en l’absence de contractualisation sur l’aval de la filière agri-agro, les éleveurs n’ont pas pu sécuriser leur marge. Aussi, quand les prix des matières premières ont repris le chemin de la baisse, concomitamment à un repli des cours de la viande, la plupart des éleveurs ont alors dénoncé leurs contrats d’aliment, le prix contractuel devenant plus élevé que le prix de marché. « Cette contractualisation amont, temporaire, n’a représenté que 2-3 % des volumes d’aliments pour animaux fabriqués dans les secteur porcin et bovin. Celui de la volaille n’a pas été concerné car c’est une filière contractualisée sur l’ensemble de sa chaîne de valeur », précise Valérie Bris, directrice adjointe du pôle animal de La Coopération agricole en charge de la nutrition animale.

L’idée d’une synergie entre filières végétale et animale n’est pas nouvelle

Le 15 juin 2011, un accord de contractualisation interfilière a été conclu, sous la houlette de la FNSEA, entre les différents acteurs de la production de grains, d’aliments pour animaux et de viande*. « Cet accord volontaire, conclu à l’initiative de la profession, marque la volonté de donner une visibilité aux éleveurs et d’atténuer les fluctuations extrêmes des prix », indiquait alors la FNSEA.

Cette contractualisation reposait sur un lissage des prix de marché et une baisse du coût de couverture du risque prix, avec un système de double contrat (collecteur-fabricant d’aliments pour animaux et fabricant d’aliments pour animaux-éleveur).

Les parties prenantes projetaient de « contractualiser dans l’immédiat 25 % des volumes destinés à l’alimentation animale, avec un objectif à terme de 40 % » (Référence Agro).

Hélas l’initiative n’a pas eu le succès escompté. Le 29 août 2012, le président de la FNSEA, Xavier Beulin, reconnaissait que « la contractualisation interfilière est peu développée […] même si quelques contrats ont été conclus » (web-agri).

*Les signataires de l’accord sont la FNSEA, les JA, Orama (AGPB, AGPM, FOP), la FNP, la CFA, la FNB, FNPL, FNO, FNEC, Coop de France Métiers du grain / Nutrition animale / Bétail et viande / Aviculture, la FNA et le Snia.

Mais cette fois-ci, les représentants de la filière agricole sont plus confiants dans la réussite de cette démarche. « Aujourd’hui, le contexte est différent qu’en 2011 car, aux hauts niveaux des prix des matières premières, s’ajoute cette fois-ci une forte incitation à la contractualisation sur l’aval de la filière agroalimentaire sous l’impulsion d’Egalim 2. Une situation qui devrait en principe faciliter la contractualisation sur l’amont de la filière », affirme Valérie Bris.

La nécessité d’une incitation fiscale

La mise en place en 2011 de la notion de tunnel de prix et de prix indexé sur un indicateur (comme en filière volailles où le prix de reprise des animaux est souvent indexé sur l’indice Itavi de coût des aliments), permettant d’amortir la volatilité des cours sur le marché mondial, n’ont pas suffi à pérenniser les contrats interfilière.

« En 2022, nous réfléchissons à un contrat durable, même quand les tendances tarifaires s’inverseront, c’est-à-dire quand les prix des productions végétale et/ou animale auront redescendu. D’où l’interpellation des pouvoirs publics qui pourraient donner un avantage fiscal ou comptable à l’exploitant agricole qui signe un contrat. Sinon, le système sera déséquilibré car il n’avantagera pas toutes les parties prenantes », explique François Cholat, président du Syndicat national des industriels de la nutrition animale (Snia).

« Si les discussions concernent, dans un premier temps, l’AGPB, il est envisagé d’y inclure l’AGPM (producteurs de maïs) dans un second temps, voire les autres fédérations de producteurs (comme celle des oléoprotéagineux) », précise François Valy, président de la Fédération nationale porcine (FNP). Et d’ajouter : « Les premiers échanges se sont tenus avec les fédérations de producteurs de porc et de volaille, mais l’initiative est ouverte à tous les types d’élevage ».

Des modalités techniques à réinventer

La FNSEA envisage un contrat tripartite (céréalier-organisme stockeur-éleveur) ou quatripartite – si l’on intègre le fabricant d’aliments pour animaux dans le circuit –, pluriannuel sur deux ou trois ans, avec des volumes négociés et des prix moyens, indique François Valy. La Coopération agricole serait plus encline à repartir sur le dispositif de double contractualisation, défini en 2011, en l’adaptant.

« En pratique, le mécanisme de contractualisation, bâti en 2011, existe toujours, même si un toilettage s’avère nécessaire », indique Valérie Bris, directrice adjointe du pôle animal de La Coopération agricole en charge de la nutrition animale.

Cependant, une question se pose : à quel point faut-il lier le contrat du céréalier – qui s’est engagé à vendre un certain tonnage de céréales à un prix donné pendant une durée déterminée – et celui de l’éleveur – qui s’est engagé à acheter un certain volume d’aliments composés à un prix donné pendant la même durée – en termes de flux physiques ? Autrement-dit, les grains livrés par un céréalier sous contrat doivent-ils impérativement être utilisés pour fabriquer l’aliment qui sera livré à un éleveur sous contrat, ou ces tonnages de matières premières vont-ils être intégrés aux stocks du fabricant d’aliments pour animaux, sans aucune distinction ?

Pour La Coopération agricole, ce lien physique est difficilement réalisable au vu du volume de céréales qui pourrait être contractualisé et du volume de céréales qui est intégré dans les fabrications d’aliments pour animaux. « Ces tonnages sont sans rapport l’un avec l’autre », explique Valérie Bris. Si l’on considère – pour les besoins de la démonstration – que la récolte céréalière nationale atteint 60 Mt, que les fabrications françaises d’aliments composés s’élèvent à 20 Mt et intègrent 50 % de céréale, un objectif de 10 % de contractualisation céréaliers-organismes stockeurs donnerait un volume de 6 Mt à incorporer dans les aliments contractualisés (soit 60 % de la consommation des fabricants d’aliments pour animaux) alors même qu’un objectif identique de 10 % de contractualisation éleveurs-FAB ne représente que 2 Mt d’aliment et 1Mt de céréales ! « Il faut donc certainement trouver une autre solution », déclare Valérie Bris.

Témoignage

« En reconnectant l’offre et la demande, Euralis est dans son rôle de coopérative », affirme Laurent Dubain, directeur général du pôle agricole d’Euralis

« Dans le cadre de l’accord sur la contractualisation interfilière signé en 2011, nous avons accompagné quelques producteurs mais les volumes contractualisés sont restés modestes.

Aujourd’hui, nous développons nos propres contrats en volaille (canard gras et poulet) et bovin (veau, vache et taurillon). Les tonnages concernés restent limités.

C’est Euralis qui élabore le contrat, sur la base d’un volume de maïs à prix fixe pour une durée de trois ans. Il est proposé en interne à nos organisations de producteurs (regroupement d’éleveurs adhérents). Si l’une d’elles est d’accord sur le prix et le volume, la coopérative propose le contrat à ses agriculteurs adhérents. In fine, le groupe coopératif transforme le maïs contractualisé en aliments composés par ses propres outils de transformation. Le fabricant d’aliments pour animaux sécurise, par ailleurs, son approvisionnement sur les marchés à terme.

Par cette démarche, la coopérative entend garantir, sur trois ans, un prix fixe d’achat d’une partie de leurs aliments à ses éleveurs.

Ma conviction est qu’en reconnectant l’offre et la demande, Euralis est dans son rôle de coopérative en sécurisant le revenu des producteurs sur la durée et en évitant de les confronter à la volatilité des prix sur le marché mondial.

Le faible succès de ce type de contrat s’explique, entre autres, par le fait que les coopératives ont oublié leur métier de base et se sont mis à promouvoir la vente de grains au coup par coup, en profitant des opportunités de marché. Le système qui prévaut aujourd’hui dans les coopératives est celui de l’action immédiate et non dans la durée. »

Propos recueillis par Karine Floquet

 

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