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Faim dans le monde : un manque d’interventionnisme étatique plus que de volumes de denrées alimentaires, selon des experts

Divers experts sont intervenus sur les raisons expliquant la famine dans le monde lors d’un forum organisé par le club Déméter et le ministère de l’Europe et des Affaires étrangères, à Paris le 21 octobre 2022.

© Nations Unies

« Quand vous êtes investisseur, avez-vous le cadre juridique et fiscal suffisant en Afrique ? Non ! Avez-vous la sécurité, c’est-à-dire, est-ce que votre usine ne va pas brûler ? Non ! Avez-vous accès à de l’argent pas cher ? Non ! Avez-vous de l’énergie accessible ? Non ! » s’est exprimé Karim Ait Talb, directeur général de Géocoton, lors d’un forum organisé par le Club Déméter et le ministère de l’Europe et des Affaires étrangères (MEAE), à Paris le 21 octobre 2022.

Ces déclarations résument assez bien la pensée de certains intervenants présents au forum : le manque de denrées alimentaires dans certaines régions du globe ne peut se résoudre que par la simple hausse des importations, supposant une augmentation de la production dans les pays de l’hémisphère nord. Il est en réalité la conséquence d’appareils étatiques défaillants dans les diverses régions souffrant de la famine, ne permettant pas d’assurer les bonnes conditions d’investissement, de production et/ou d’accès aux aliments aux populations locales.

Un manque d’accès au crédit pour les producteurs

La trop faible présence des pouvoirs publics entraîne une série de manques, dont l’accès au crédit. Kako Nubukpo, commissaire chargé du département de l’agriculture, des ressources en eau et de l’environnement à l’Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA), est catégorique sur ce point : « Vous ne trouverez aucune banque en Afrique qui accepte de faire un crédit aux agriculteurs. Nos banques de développement ont toutes fermé pour cause de mauvaise gouvernance. »

 

 

Et dans les rares cas où des paysans, voire des industriels (potentiels meuniers, fabricants d’aliments pour animaux…) se verraient accorder un prêt, le prix à payer est exorbitant, les taux d’intérêt atteignant les 18-20 % dans ces pays, remémorent les experts. Conséquence : « 60 % des gens qui souffrent de la faim dans les pays pauvres sont eux-mêmes agriculteurs », rappelle Jean-François Riffaud, directeur général d’Action contre la faim.

Les paysans locaux sont très souvent dotés de petites exploitations et ne disposent pas de compte bancaire ou de titre foncier, expliquent les intervenants. Dans ces conditions, difficile de donner des garanties aux banques. Karim Ait Talb prend l’exemple de producteurs de coton, qui pourrait s’extrapoler aux producteurs de céréales : exploitations de 0,5 à 5 hectares, peu, voire pas mécanisées, et non irriguées. Quand vient le moment de débuter la campagne de production et donc d’acheter les fertilisants, produits phytosanitaires ou semences, ils se retrouvent fréquemment dans l’impasse.

Seules les anciennes filières coloniales sont encore debout

Manque de financement, de sécurité, d’infrastructures… Attirer des investisseurs et envisager la création de filières organisées s’avère donc une mission des plus ardues dans ce contexte. « L’Afrique importe 70 milliards par an de nourriture alors qu’elle peut tout faire ! Les seules filières agro-industrielles à peu près structurées sont les anciennes filières coloniales… Le reste, c’est cassé ! », regrette Karim Ait Talb.

L’accès au crédit, bon marché ou non, manque également aux consommateurs. « Nous travaillions sur un projet d’amélioration de la qualité du blé en Afghanistan. Les producteurs étaient contents, mais personne ne pouvait acheter les céréales ou les produits qui en étaient issus », regrette Jean-François Riffaud.

Autre ambivalence : environ 10 % de la population mondiale souffre de la faim, soit plus de 800 millions de personnes, alors que 30 % de la nourriture est gaspillée. Ainsi, plus qu’un déficit de production, il s’agit d’un problème de répartition et donc d’un manque d’accessibilité, d’après les intervenants.

Un système commercial mondial jugé défaillant par certains

Ce constat est en réalité le résultat « d’un système de commerce mondial défaillant, dont l’Afrique est un symbole, ayant empêché l’investissement public et privé », juge Kako Nubukpo. Il résume l’histoire de la doctrine économique Africaine : « Dans les années 1960, on nous disait de produire ce que l’on consomme pour atteindre l’autosuffisance alimentaire. La Banque mondiale est ensuite arrivée dans les années 1980, affirmant que nous n’étions pas obligés d’adopter ce modèle. Mieux vaut exporter vos matières premières afin d’acquérir des devises qui vous permettront d’importer vos aliments. Puis, la crise de 2008 fait dire à cette même banque que nous sommes peut-être allés trop loin dans cette logique. »

Kako Nubukpo estime nécessaire la relocalisation de la production agricole et de la transformation, afin de permettre aux pays pauvres de se développer. En effet, mieux vaut produire la matière première et la transformer localement, puis éventuellement l’exporter, afin de capter un maximum de valeur ajoutée. Ceci permettra de créer des emplois de qualité, favorisant donc la demande locale par ricochet.

Le projet Farm prévoit d’améliorer l’accès au financement des agriculteurs. L’un de ses représentants, sous couvert d’anonymat, précise que l’organisation travaille sur l’amélioration des services financiers en Afrique, allant des banques aux compagnies d’assurances. Mais il faudra également construire des routes, des infrastructures énergétiques, lutter contre la corruption, accroître les services publics de sécurité…

Le développement d’une agriculture africaine locale peut être complémentaire à une hausse de la production au sein des pays de l’hémisphère nord, indiquent d’autres intervenants. C’est l’avis de Jean-François Loiseau, président d’Intercéréales : « Augmenter la production en Europe ne veut pas dire tout déverser sur l’Afrique et les empêcher de se développer. L’idée est de gérer les situations de court terme, et pouvoir alimenter les pays en détresse, qui ne pourront pas mettre en place toutes ces solutions du jour au lendemain. »

 

FARM, c’est quoi ?

La Fondation pour l’agriculture et la ruralité dans le monde (FARM), lancée en mars 2022, constitue une « initiative franco-sénégalaise qui est soutenue par l’Union européenne, l’Union africaine et le G7, elle a pour objectif de lutter contre la spéculation, assurer la transparence des marchés et de se solidariser vis-à-vis des pays les plus exposés à la famine, sans condition politique », a affirmé le président de la République française, Emmanuel Macron, lors du forum organisé par le Club Déméter et le ministère des Affaires étrangères le 21 octobre 2022, dans une intervention vidéo.

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