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EAU Une prise de conscience devient urgente

Cet été, la ressource hydrique était à l’honneur, au travers de grands rendez-vous comme la semaine mondiale de l’eau en Suède ou le colloque de la Confédération paysanne sur l’eau organisé à Niort

UNE TRANSFORMATION radicale de la gestion de l’eau est indispensable pour que la population croissante de la planète ne soit pas confrontée à des pénuries d’ici 50 ans, avertissent des experts internationaux réunis récemment en Suède. Des réformes importantes sont réclamées pour l’agriculture.

À l’heure actuelle, « un habitant sur trois de la planète souffre de pénuries d’eau, sous une forme ou une autre », selon une étude présentée fin août lors de la Semaine mondiale de l’eau à Stockholm. Cette étude sur la gestion de l’eau pour l’agriculture a été réalisée par 700 spécialistes du monde entier lors des cinq dernières années. Les évolutions constatées inquiètent vivement Frank Rijsberman, directeur général de l’Institut international de gestion de l’eau (IWMI), qui a coordonné les recherches. Il cite, à titre d’exemple, les « crises de l’eau » sévissant actuellement en Australie et en Chine, ou encore en Inde l’an passé.

Un problème de gestion, plus que de disponibilité

Selon lui, il existe deux types de pénuries : celles observées dans des régions où les ressources en eau sont surexploitées, causant l’abaissement des nappes et l’assèchement des rivières ; celles observées dans les pays ne disposant pas de moyens techniques ou financiers pour capter l’eau (des pluies, des rivières, etc.), pourtant abondante.

Frank Rijsberman souligne que le problème de l’eau est lié à la gestion bien plus qu’à la disponibilité de la ressource vitale. Les manques d’eau ont « à 98% des causes humaines et à 2% des causes naturelles », affirme-t-il. A l’heure actuelle, pour produire les aliments nécessaires à la consommation d’une seule calorie, il faut un litre d’eau, selon l’étude. La production d’un kilo de blé nécessite 500 à 4.000 litres d’eau et celle d’un kilo de viande industrielle, 10.000 litres. L’agriculture compte pour pas moins de 74 % de l’utilisation mondiale de l’eau, contre 18 % pour l’industrie et 8 % pour les municipalités. Sachant que la population mondiale – actuellement 6,1 milliards d’habitants – devrait augmenter de 2 à 3 milliards d’individus d’ici 2050, il apparaît clairement que les politiques de gestion de l’eau doivent être revues, soulignent les experts.

Changer les mentalités

L’extension et l’amélioration de l’agriculture basée sur les eaux de pluie, l’introduction de variétés de céréales adaptées aux faibles quantités d’eau ainsi que le développement de systèmes d’irrigation et de barrages à petite échelle figurent aussi parmi les recommandations pour certaines régions. Mais la priorité, selon M. Rijsberman, est de changer les mentalités et les politiques gouvernementales de l’eau souvent trop anciennes. « Les politiques gouvernementales et leur façon d’aborder les questions de l’eau sont certainement les choses les plus urgentes à changer à court terme », affirme-t-il. Car, paradoxalement, selon les conclusions de l’étude, « il y a suffisamment de terre, d’eau et de capacités humaines pour produire assez de nourriture pour une population croissante dans les cinquante prochaines années ».

L’eau, source de vie mais aussi de conflits

Quelques chiffres illustrent, souvent malheureusement, combien la bonne gestion de la ressource hydrique est primordiale. L’important, comme l’a rappelé Mohamed Larbi Bouguera, professeur à la faculté de Tunis et membre d’Attac, lors du congrès sur l’eau à Niort, « ce n’est pas tant de posséder l’eau mais plutôt d’avoir la capacité de la transporter », en citant l’exemple de Las Végas située en plein désert du Nevada.

Quant à Moscou, le mètre cube d’eau ne coûte qu’un dixième de dollar, à Abidjan en Côte d’Ivoire il en vaut 1,19 $ et à Lagos au Nigeria, comptez 7,50 $/m 3.

Bien entendu, ce sont dans les pays où les prix sont les moins chers que la consommation est la plus importante. à Ankara, un Turc consomme en moyenne 138 litres/j, un Canadien vivant à Hull utilise quotidiennement 397 l d’eau, et un Togolais de Lomé seulement 7. Pour le professeur de l’institut de Tunis, ces disparités impressionnantes doivent nous pousser à nous interroger sur le gaspillage de nos sociétés.

« En Europe occidentale la consommation annuelle d’un habitant est de 250 m 3 par an, elle monte à 380 m 3 aux USA, et n’atteint que 30 m 3 en Afrique. Et aujourd’hui, 2,5 millions d’humains n’ont pas accès à l’eau » .

Mais ces disparités montrent aussi à quel point l’eau est convoitée et devient trop souvent une source de conflits à l’échelle internationale. Sur le Continent américain par exemple, les états-Unis se voient accusés de surexploitation du fleuve Colorado par leur voisin mexicain. Dix importants barrages sont à l’origine du mince filet dont dispose le Mexique à l’embouchure. En réponse, les USA accusent ce dernier de polluer le Rio Grande aux dépens des paysans texans.

Au Moyen-Orient, la convoitise de l’eau a des conséquences plus dramatiques comme le montre le triste exemple du plus long conflit du Moyen-Orient. « En Palestine, le partage de l’eau est au cœur du conflit israélo-arabe », explique Mohamed Larbi Bougerra. « Les Palestiniens n’ont pas le droit de creuser de puit de plus de 18 m de profondeur, tandis que les Israéliens ne sont pas limités et assèchent sans mal les alentours », déplore-t-il. Ainsi l’état d’Israël dispose de 87 % de l’eau collectée sur la zone transfrontalière. En Algérie, « le Front islamique du salut a vu le jour en 1988 lors d’une manifestation pour l’eau » rappelle le professeur. Autre exemple au Sri Lanka, où les Tamouls ont procédé aux blocages de canaux d’irrigation pour exercer une pression sur le gouvernement et les populations rurales. Et de regretter que cette gestion « marchande » puisse être à l’origine de conflits à venir. En Asie, la Chine et le Laos ont annoncé miser sur l’eau pour assurer leur développement économique et énergétique. Et déjà, les projets de barrages hydroélectriques à la source du Mékong inquiètent les populations locales ainsi que le Vietnam dont les rizières dépendent. Une commission a été mandatée pour désamorcer la situation.

Dans sa conclusion, Mohammed Larbi Bougerra a insisté sur la nécessité de penser en priorité aux agricultures paysannes des pays en voie de développement. Le manque d’eau, entre autres, est un facteur du manque de compétitivité pour ces petits producteurs qui se voient contraints d’abandonner leur activité pour s’agglutiner dans des capitales où la vie n’est pas toujours meilleure. Et, pour certains, le voyage s’achèvera dans un pays occidental.

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