Argentine : l’effet massue des taxes à l’exportation
Le doublement de la production annuelle de céréales sur cinq ans doit beaucoup à l’élimination de la taxe à l’exportation, qui a été rétablie fin 2018 et rehaussée cette année. Le gouvernement argentin a, par ailleurs, relevé le niveau de celle-ci à 33 % sur les embarquements de soja et produits dérivés du protéagineux. Un système fiscal efficace aux conséquences désastreuses pour les producteurs de grains ainsi que pour les transformateurs.
Le doublement de la production annuelle de céréales sur cinq ans doit beaucoup à l’élimination de la taxe à l’exportation, qui a été rétablie fin 2018 et rehaussée cette année. Le gouvernement argentin a, par ailleurs, relevé le niveau de celle-ci à 33 % sur les embarquements de soja et produits dérivés du protéagineux. Un système fiscal efficace aux conséquences désastreuses pour les producteurs de grains ainsi que pour les transformateurs.
Impossible de jauger les surfaces cultivées en Argentine sans tenir compte des fameuses taxes à l’exportation, qu’on appelle là-bas les « rétentions ». Comment ne pas rappeler au lecteur averti, ici, la révolte du « campo », en 2008, qui calma pour longtemps - dix ans - les ardeurs fiscales populistes du kirchnerisme ?
Cet instrument redoutablement efficace du Trésor public argentin constitue, en effet, un facteur aussi déterminant que le climat et le niveau des cours du soja et des céréales dans la formation de la marge brute à l’hectare, visée par les producteurs de grains du pays sud-américain.
La hausse progressive mais spectaculaire des moissons de maïs et de blé entre les saisons 2014/2015 et 2018/2019, passées respectivement de 25 Mt à 50 Mt et de 12 Mt à 20 Mt, en dit long. Que s’est-il passé dans cet intervalle ? Le gouvernement d’alors, celui du président Mauricio Macri, favorable au secteur agricole et promoteur du commerce extérieur, a tout bonnement éliminé les taxes à l’exportation ponctionnées sur les embarquements de ces deux céréales, et ce, dès 2015 alors que le niveau de ces taxes était alors de 20 % de la valeur Fob de la marchandise. La détérioration des comptes publics l’a ensuite forcé à faire marche arrière en octobre 2018. Mais le message - semez-en ! - avait été bien reçu et acté.
Le gouvernement péroniste actuel, mené par Alberto Fernández, a rétabli ces taxes à l’export des céréales dès le début de son mandat, en décembre. L’État ponctionne sa part on line auprès d’un nombre réduit d’exportateurs sitôt que ceux-ci notifient leurs contrats au système informatique douanier, qui répercutent le coût de ladite taxe sur leur prix d’achat aux céréaliers qui in fine en font les frais. Un système qui concerne à ce jour 25 produits agricoles (le soja surtout, mais aussi les céréales, le tournesol, les viandes bovine, aviaire et porcine, la cacahuète, le lait en poudre, etc.). Il augmente sévèrement le niveau de la taxe sur chaque tonne de soja exportée ainsi que sur les tourteaux et l’huile de soja, à 33 % - alors que la taxe prélevée sur ce produit à l’export était de 26 % sous le gouvernement de Mauricio Macri - et il rétablit celle-ci à un niveau de 12 % pour le blé et le maïs.
Une sole de blé pénalisée, interrogations en soja et maïs
L’impact du retour de la taxe à la douane sur la sole de blé argentine 2020/2021 a été immédiat : après cinq ans de progression continue, elle a été freinée autour de 6,5 Mha.
« Pour la culture du soja, nous saurons qu’elle sera l’incidence de l’augmentation de la taxe à l’export cet été [austral]. L’évolution des cours du soja et du maïs va également peser dans la décision de consacrer telle ou telle surface à l’une ou l’autre de ces deux cultures d’été », indique Jorge Chemes, le président des Confédérations rurales argentines, qui avait appelé à une grève, en mars dernier, lorsque furent rétablies les taxes sur les céréales.
Une Pac argentine sans aide et sans taxe
Jorge Chemes prône leur élimination mais il est conscient des besoins financiers d’un État, confronté au paiement d’une lourde dette extérieure et à la crise sanitaire du Covid-19 qui a frappé de plein fouet une économie fragile. « Entre 70 et 75 % du budget national provient du secteur agricole et cet apport est capté pour moitié par les taxes à l’export », affirme-t-il. « Nous souhaitons l’élimination de ces taxes sur le long terme, mais vu le contexte actuel, nous ne pouvons exiger davantage qu’une baisse graduelle de 5 % par an de la taxe sur les embarquements de soja », avoue-t-il.
« Sans ces taxes, l’Argentine produirait non pas 50 Mt de soja par an, mais 70 Mt depuis belle lurette », opine Gustavo Idígoras, le directeur de la Chambre argentine des exportateurs de céréales. Cet ancien attaché agricole de l’Argentine auprès de l’UE est l’un des cerveaux du nouveau Conseil agro-industriel argentin qui a pour objet de « fonder une Pac argentine sans subvention à l’exploitant mais sans taxe à l’export non plus, ce qui boosterait toutes les filières agricoles et permettrait une collecte d’impôts internes tels que l’impôt sur le revenu et l’IVA [Impuesto al Valor Agregado, soit l’équivalent de la TVA française, NDLR], bien plus importante que celle tirée des taxes à l’export de grains », explique Gustavo Idígoras.