Agriculture biologique : l’inquiétude plane sur le marché
Alors que la campagne touche à sa fin, la filière bio s’inquiète pour l’avenir. Si la consommation s’accroît, la production souffre d’excédents.
LA BIO FRANÇAISE se heurte à un paradoxe : la distribution, notamment spécialisée, enregistre des progressions de 10 % à 20 % des chiffres d’affaire alors qu’en amont, les producteurs et les stockeurs peinent à écouler la récolte 2004, avec des prix à la baisse (cf. nos cotations bio en page 6). Dans les magasins bio, la part des produits transformés étrangers, européens ou importés de contrées plus lointaines (pays du Maghreb, Chine…) atteindrait, selon des estimations, la moitié des références. Et parallèlement, pour la première fois, les surfaces françaises certifiées en bio opèrent un repli, passant de 550.000 ha en 2003 à 540.000 ha en 2004 (chiffres Agence Bio). D’où le malaise de la filière qui dénonce plus que jamais le manque de soutien politique au niveau national. «Unique pays européen à ne pas bénéficier d’une aide au maintien à la production, la France souffre de distorsion de concurrence», s’insurgent à l’unisson les professionnels. Les céréales et oléoprotéagineux sont particulièrement touchés, à hauteur de 50 # la tonne de différence de marge de manœuvre. Concurrencée par l’Italie, l’Allemagne ou l’Espagne ainsi que par les pays d’Europe de l’Est, la production a du mal à s’imposer. «Comment faire le poids devant un blé meunier italien, soutenu par les aides au maintien et pouvant être bradé à moins de 200 # départ négoce avec de surcroît, de bons taux de protéines, s’insurge un responsable de coopérative. Mais cette dégringolade des prix a une limite, car les coûts de production sont peu compressibles. A ce rythme là, les producteurs français ne tiendront pas longtemps».
Sauver les marchés
Certains opérateurs essaient de freiner la baisse des prix au maximum. Ils tiennent à privilégier les achats français pour ne pas mettre en péril cette filière déjà fragile. Mais chez les fabricants d’aliments pour animaux, notamment, la concurrence est rude. Ainsi, le soutien des prix aux producteurs trouve ses limites lorsqu’il faut sauver des marchés. C’est pourquoi, quelques initiatives de mise en place de vente directe entre céréaliers et éleveurs voient le jour comme en Bretagne ou en Franche-Comté. Mais elles n’écoulent pour l’instant que de faibles volumes. Mais c’est surtout grâce à l’assouplissement en cours de la réglementation bio pour la production animale (Repab F) que les Fab espèrent redynamiser les élevages, notamment ceux de volaille de chair et de pondeuses, les plus gros consommateurs de céréales et d’oléoprotéagineux.
Reports de stocks annoncés
En cette fin de campagne, avec des reports de stocks en blé tendre annoncés par l’Onic qui avoisinerait plus de 20.000 t (sur une collecte totale estimée à 56.000 t contre 48.054 en 2003/2004), la situation est inquiétante. Jamais la production française n’a été aussi importante qu’en 2004.
Pourtant, si la quantité a été au rendez-vous avec des rendements en blé pouvant aller jusqu’à 50 q/ha,voire plus, la qualité a été plus aléatoire. Un tiers au moins du blé tendre, voire la moitié dans certaines régions, ont été déclassés faute de protéines suffisantes. «Les meuniers sont de plus en plus exigeants, ils réclament désormais au minimum 11 % de protéines et de nombreux lots ne les ont pas atteints», regrette un responsable commercial de coopérative. D’où des stocks sans précédents de blé fourrager que les producteurs ont tendance à brader pour dégager le plus rapidement possible leur silos. Une phénomène qui entraîne une baisse des prix sur l’ensemble des céréales secondaires. Le maïs est plutôt épargné, avec une collecte divisé par deux entre 2002/2003 et 2003/2004 passant de 41.000 t à 26.500 t.
Du côté des protéagineux, les volumes collectés en féveroles ont aussi diminué, passant de 15.000 t il y a deux ans à 8.000 t ces dernières campagnes avec des cours qui sont restés fermes. Quant au tournesol, il a perdu de son attractivité : face à des volumes de tourteaux qui ont du mal à trouver preneur, les cours ont chuté, d’autant plus que la graine n’est plus si recherchée pour l’huile. Celle de colza a pris le relais.
Jouer la carte de l’export
Face à cette conjoncture, certains organismes stockeurs qui ont encore des produits à vendre se tournent vers l’export. Des affaires sont ainsi réalisées vers les marchés anglais, allemands ou hollandais. «Au moins, cela évite de déclasser en conventionnel ou de brader sur le marché français», explique un opérateur qui a réussi à concrétiser des contrats grâce aux contacts obtenus lors du salon annuel Biofach de Nuremberg (Allemagne) fin février dernier.
C’est d’ailleurs à l’occasion de ce salon international que se sont dessinés les prémices d’une organisation européenne de marché des opérateurs européens. Pour la première fois, un groupe composé d’une vingtaine de courtiers, négociants et responsables de coopératives d’Allemagne, France, Grande-Bretagne, Hollande et Finlande s’est retrouvé pour mieux cerner les évolutions.
«Tous ont estimé indispensable de prendre des mesures pour dynamiser le marché des céréales», résume Alexandra Thöring, de la société allemande de négoce Artebio, initiatrice de cette rencontre.
Vers la fin des 10 % de non bio ?
Un des leviers pour fluidifier le marché européen est de mettre un terme à la dérogation (sa révision est prévue fin août prochain) qui autorise une partie d’aliments conventionnels dans les formules pour l’alimentation animale, soit 20 % majeure partie des pays européens et 10 % en France Selon les animaux (ruminants et monogastriques), les pourcentages d’aliments conventionnels autorisés par la réglementation sont de 10-25% pour la Grande-Bretagne, 10 % pour la France, 10-20 % pour l’Allemagne, 10-20 % pour la Finlande, 10-20% pour la Belgique, 10-20% pour les Pays-Bas. «Non seulement cela discrédite la bio mais cela contribue à la surproduction». Si pour les ruminants, le 100 % bio dans les formules ne pose pas de problèmes, pour les monogastriques (volailles et porcs surtout pour le démarrage), ce n’est pas si évident. Les acides aminés indispensables proviennent du gluten de maïs ou protéines de pommes de terre non disponibles en bio en raison d’absences d’unités de fabrication adéquates. Une des solutions proposées pour résoudre cette difficulté serait d’autoriser les acides aminés de synthèse et ainsi pouvoir supprimer le pourcentage de conventionnel. Face à cette levée de la dérogation, les avis divergent : si certains fabricants d’aliments craignent un surcoût du à l’obligation d’utiliser des formules maïs-soja plus onéreuses étant donné le prix élevé du soja, d’autres estiment que si cette mesure est européenne, ce surcoût sera très minime comparé aux bénéfices obtenus pour désengorger la filière. Le débat est d’actualité à la Commission permanente de l’agriculture bio à Bruxelles, et aucune décision n’est encore prise.
Une meilleure connaissance du marché
Autres solutions préconisées pour éviter la surproduction : obtenir une meilleure connaissance du marché par davantage d’échanges d’informations pour anticiper, développer les débouchés de proximité, notamment la restauration collective, annuler l’utilisation du C2 (seconde année de conversion) autorisée actuellement à hauteur de 30 % dans les formules d’aliments pour bétail, harmoniser la réglementation européenne notamment pour l’homologation des produits phytosanitaires… «Cette rencontre a été très appréciée, note Gilles Renart, directeur de la Sica bio d’Agralys (Centre). Il est indispensable de se serrer les coudes pour sortir du marasme». Mais pour l’instant, face à la chute des prix qui affecte les céréales bio en général, aucune mesure concrète n’est mise en place. Certains réclament des déclassements en conventionnels, mais à quel prix ? Comment combler la perte subie par les producteurs ? Pour Denis Denis Bador, responsable des ventes bio de la coopérative Qualisol basée à Castelsarrasin dans le Tarn et Garonne, «déclasser au moins 30 % de la production aurait permis le soutien des cours. Si rien n’est fait, si l’aide au maintien n’est pas adoptée, la situation risque de perdurer d’autant plus que le marché est inorganisé». Opérateur récent, avec des volumes significatifs depuis deux ans, la coopérative a collecté en 2004 près de 8.000 t de céréales et oléoprotéagineux, dont 1.000 t environ de soja. «Pour la prochaine campagne, nous nous attendons à une hausse des volumes, car nos surfaces ont augmenté avec l’arrivée de nouveaux producteurs qui obtiennent de bons rendements.»
Face à ces prévisions à la hausse qui semblent affecter toutes les régions, il est grand temps de se pencher sur la filière et surtout de trouver des solutions pour l’organiser.