« J’ai commencé à déléguer la quasi-totalité des cultures »
À l’EARL Godreau, en Vendée. À la tête d’une exploitation de 187 hectares et d’un troupeau de 76 Prim’Holstein, Mathieu Godreau a mis le cap sur la délégation des cultures, l’autonomie et le non-OGM.
À l’EARL Godreau, en Vendée. À la tête d’une exploitation de 187 hectares et d’un troupeau de 76 Prim’Holstein, Mathieu Godreau a mis le cap sur la délégation des cultures, l’autonomie et le non-OGM.
Située à une quarantaine de kilomètres au sud du Puy-du-Fou, la commune de la Jaudonnière en Vendée ne compte plus qu’un seul producteur laitier. « Ici, c’est un peu le désert. Il y a cinq ans nous étions encore quatre producteurs laitiers dans la commune. Depuis un an, il ne reste plus que moi », constate avec regret Mathieu Godreau. Ce phénomène n’a d’ailleurs rien d’exceptionnel dans le département. « Il y avait environ 1 200 producteurs laitiers en 2010 en Vendée. Aujourd’hui, ils ne sont plus que 700 », souligne Laurent Gaboriau, de la chambre d’agriculture de Vendée.
Les crises successives, la perte d’attractivité du métier, l’attrait pour les cultures de ventes et l’élevage allaitant participent à la déprise laitière en Vendée. Mais pour Mathieu Godreau, la question d’arrêter le lait ne se pose pas. Pourtant, avec une SAU de 187 hectares dont 70 hectares irrigués et des terres à bon potentiel, cette option aurait pu le séduire. « Je me sens mieux au milieu de mes vaches que dans un tracteur », glisse-t-il.
Pas question d’arrêter le lait malgré la déprise
Ses enfants l’aident beaucoup à garder le cap. « Dès qu’il a du temps libre, Loïs (9 ans) est là avec moi, quand je soigne les veaux et les vaches. Ça me motive », explique-t-il en souriant. Maddie (13 ans) est aussi de plus en plus présente sur la ferme depuis le confinement de 2020. « Elle envisage désormais de faire des études agricoles. » Seul Clément (11 ans) ne semble pas, du moins pour l’instant, partager le même enthousiasme que son frère et sa sœur.
L’éleveur reste motivé malgré une succession d’évènements qui l’on conduit à la tête d’une exploitation avec une charge de travail difficile à tenir sur le long terme, même avec un salarié à mi-temps. Mathieu le sait. Il va faire en sorte d’y remédier. Un retour en arrière est nécessaire pour comprendre sa situation actuelle.
Avec sa licence pro Management des organisations agricoles en poche, il est parti travailler deux ans dans un centre de gestion. Puis il a été salarié un an sur l’exploitation familiale avant de s’installer avec son père en 2008. « À l’époque, notre système intensif était représentatif de ce qui se faisait ici. Nous avions 45 vaches pour 345 000 litres de lait et 90 hectares de SAU. »
Achat d’un robot de traite
Lors de son installation, il accepte une rallonge de 160 000 litres de lait. « Nous sommes dans un secteur où l’on pouvait avoir du lait comme on voulait en raison des nombreuses cessations d’activité en Poitou-Charentes. » La situation est encore sous contrôle d’autant que Mathieu a investi dans un robot Lely A3 en 2009 pour diminuer sa charge de travail d’astreinte.
Mais, après le départ en retraite de son père, les évènements s’accélèrent. Un beau-frère arrivant à la retraite en 2016 lui propose de reprendre sa ferme de 95 hectares avec un troupeau de vaches allaitantes. « Je prends ou je ne prends pas ? » « Seul, ce n’était pas possible. J’ai donc proposé à un copain de s’associer avec moi. »
Le Gaec implose au bout d’un an et demi
Malheureusement, le Gaec ne tient pas plus d’un an et demi. Et durant cette période, l’exploitation est « montée en puissance ». En 2018, Mathieu se retrouve seul à gérer un troupeau de 65 Prim’Holstein pour une référence de 810 000 litres de lait et une surface de 187 hectares. « Je n’ai racheté que ses parts sociales. Mais cette situation m’a bien plombé. »
Les associés ont investi près de 250 000 euros en matériel et aménagements dans les bâtiments. Étant dans le rouge au niveau charge de travail et avec un niveau d’annuités élevé, Mathieu a décidé en 2020 de commencer à déléguer une grande partie des travaux de cultures à une ETA. D’autant qu’une partie non négligeable du matériel doit être renouvelée à court terme. « La délégation des travaux de culture à des ETA ou des Cuma avec chauffeurs est une solution d’avenir pour maintenir du lait dans ce type d’exploitations », expose Laurent Gaboriau.
Il va déléguer l’ensemble des travaux du sol et des récoltes de cultures. Il garde les travaux de fauche et fenaison avec du matériel de Cuma ou détenu en copropriété avec des voisins. « Je veux également conserver le poste phytosanitaire sur les cultures protéagineuses. » Pour Mathieu, ces deux activités sont un gage de réussite des cultures et de qualité de récolte. Pour amortir son télescopique, le ramassage-stockage des bottes de foin et de paille sont maintenus.
Déléguer les travaux du sol et les récoltes
Les simulations économiques réalisées par Laurent Gaboriau confirment que ce scénario tient la route. Il est neutre sur le plan économique. La délégation des travaux, telle qu’elle est prévue, représente en effet un coût annuel d’environ 88 000 euros (938 heures de délégation x 93,81 € par heure). En contrepartie il économise quasiment la même somme : 11 580 € en carburant, 18 120 € en amortissement, frais financier et assurance, 10 000 € en entretien de matériel, 21 000 € en travaux par tiers (Cuma et ETA) transférés à l’ETA, 12 000 € de salaire (le salarié passera à mi-temps).
Ce calcul ne tient pas compte du matériel qui devrait être changé, notamment un combiné plus large (4 m à 5 m) et un tracteur plus puissant si la délégation n’était pas mise en place. « Il faudrait aussi plus de salariat. Les rendements des cultures « faites à temps » devraient aussi être plus élevés. » La revente de matériel représente une entrée d’argent de 101 000 € : 77 000 € pour un tracteur de 160 ch de 2019, 19 000 € pour une charrue 5 socs varilarge de 2016 et 5 000 € pour un combi de 2004. Par ailleurs, le conseiller évalue à environ 8 000 € les gains pouvant être réalisés grâce à l’amélioration de la conduite du troupeau.
2 500 euros d’économies sur les concentrés vaches laitières
Des économies sur les concentrés sont également possibles. « Deux tonnes de concentrés pour des vaches à 9 300 kg de lait au contrôle laitier, c’est correct. Mais, en améliorant la conduite de son troupeau, Mathieu pourrait diminuer l’apport de concentrés de 100 kilos par vache », estime Laurent Gaboriau. « À 336 euros la tonne de concentrés et 76 vaches, cela représente une économie potentielle de 7 à 8 tonnes de concentrés soit 2 500 euros. »
Le second grand cheval de bataille de Mathieu Godreau, c’est la recherche d’un maximum d’autonomie et l’utilisation d’aliments non OGM. Grâce à l’irrigation, il peut compter sur des rendements en maïs ensilage de 15 t MS/ha en moyenne et jusqu’à 18 t MS/ha dans les meilleures parcelles. Il cultive également du méteil en dérobé (32 ha) à base de triticale, pois et vesce. « Le pois est moins riche en protéines que la féverole et le lupin, mais il sécurise le rendement (45 q/ha). Et cela fait une bonne VL. »
Actuellement, l’exploitation, dans le cadre du programme « Cap Protéines », atteint un niveau d’autonomie de 69 %. C’est 11 % de plus que la moyenne pour un système analogue. Les cultures de soja, lupin et féverole sont au centre de cette stratégie. Mais l’autonomie en protéines coûte actuellement cher à l’éleveur à cause de rendements qui ne sont pas encore au rendez-vous.
Persévérer dans sa stratégie
Avec 15 q/ha en 2020, le coût de la tonne de soja produit sur l’exploitation s’est élevé à 666 euros. « Les conditions climatiques étaient mauvaises. Et j’ai utilisé des semences fermières dont le pouvoir germinatif n’était pas très bon. » L’augmentation à 22 q/ha en 2021 a fait baisser ce coût à 465 euros la tonne. Sur les quatre années de production de l’oléoprotéagineux, le rendement moyen a été de 20 q/ha. « L’idéal serait de pouvoir atteindre 25 q/ha », estime Mathieu.
Les mêmes calculs pour le lupin font passer le coût par tonne de 1 200 euros en 2020 avec un rendement de 6 q/ha à 383 euros avec un rendement de 20 q/ha en 2021, malgré un hiver très humide.
Les protéagineux sont incorporés dans la ration des vaches. Conduites en zéro pâturage, elles consomment une ration à base de deux tiers d’ensilage de maïs et d’un tiers d’ensilage de méteil. Les fourrages sont complétés à l’auge par 2,5 kg de tourteau de colza et 1 kg de maïs grain. Au robot, elles consomment en moyenne 1,9 kg de VL fermière et 1,4 kg de tourteau de colza.
Toujours le prix du lait
Mathieu fait toaster son lupin, le soja et la féverole par une entreprise. En fonction du type d’aliment voulu (aliment pour les génisses, vaches…), elle incorpore aussi d’autres matières premières. Au final, le prix de l’aliment varie entre 258 et 416 €/t. Mathieu cultive 16 hectares de dérobées à base de RGI et de trèfle squarrosum. Enrubanné, il est distribué aux génisses.
Mathieu est dans une phase de transition pas simple à gérer. Ses nouvelles orientations vont l’aider à traverser cette zone de turbulence. Un meilleur prix du lait donnerait un sérieux coup de pouce à ses projets. « On nous demande de produire un lait de qualité en respectant l’environnement mais, derrière, on nous propose un prix au niveau mondial. Ce n’est pas facile de s’en sortir dans ces conditions. »
Chiffres clés
En 2020-2021 :
Autonome jusqu’à la fertilisation
À l’EARL Godreau, en Vendée, la recherche d’autonomie et d’économies concerne aussi les fertilisants. « Je fournis 400 tonnes de fumier par an à un site de méthanisation situé sur une commune voisine. En retour, je reçois 1 300 m3 de digestat liquide et 145 tonnes de digestat solide », explique Mathieu Godreau. Le digestat est ensuite épandu gratuitement par une entreprise avant le semis de maïs, mais aussi sur le colza et le blé en février. Cette stratégie permet d’économiser 3 100 € : économie de 370 litres de fuel, 390 € d’épandeur Cuma et remplacement des fertilisants par de l’engrais azoté liquide N39 plus économique.
Du non-OGM non valorisé
« Depuis deux ans, je n’utilise que des aliments non OGM, même si ma laiterie Agrial n’a pas encore développé de filière non OGM », précise le vendéen Mathieu Godreau, de l’EARL Godreau. Il a acheté 26 tonnes de tourteau de colza en 2020 et 2021. « J’ai réussi à me couvrir jusqu’en octobre 2022 avec du tourteau de colza à 309 euros la tonne. » Il envisage de réduire ses achats de colza à 12 tonnes grâce aux cultures de protéagineux. Cette stratégie pourrait l’amener à intégrer l’AOP Beurre Charentes Poitou qui proscrit dans l’alimentation du troupeau tous produits transgéniques dans son nouveau cahier des charges.
Avis d’expert : Laurent Gaboriau, chambre d’agriculture de Vendée
« Un EBE plombé par les cultures »
La réduction du temps de travail est un grand défi. Le temps estimé aujourd’hui est de 3 315 heures sur le troupeau laitier et de 2 019 heures sur la surface fourragère et les cultures, soit un total de 3 030 heures par UTH. C’est 500 heures de trop. D’où la délégation d’une grande partie des travaux des champs.
La meilleure valorisation des prairies naturelles et des veaux grâce à l’élevage de génisses croisées vendues à 3 ans sont aussi des axes de progrès. Tout comme l’amélioration des aspects sanitaires, notamment les cellules et les boiteries, qui permettraient de commercialiser environ 5 000 litres de lait en plus et de diminuer les pertes animales. »