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Commerce mondial
Guerre en Ukraine - "Les grands exportateurs doivent réfléchir à la mobilisation stratégique de leurs stocks"

Pour Vincent Chatellier, économiste à l’Inrae et président de la Société Française d’Economie Rurale, les grands pays exportateurs de céréales doivent déployer une stratégie commune de mobilisation de leurs stocks face aux pays les plus importateurs, souvent les plus pauvres et les plus impactés par la situation en Ukraine.

Vincent Chatellier, économiste à l’Inrae et président de la Société Française d’Economie Rurale
© Inrae

A l’occasion d’un webinar organisé par Solvay, Vincent Chatellier (Inrae, SFER) a passé en revue l’internationalisation des marchés agricoles et l’impact de la guerre en Ukraine. Les marchés agricoles subissent des crises simultanées, la guerre en Ukraine renchérissant les crises précédentes, Covid, réchauffement climatique, coût de l’énergie…  Et, collectivement, les mondes agricoles comme politiques n’ont pas tiré les leçons de la crise précédente des émeutes de la faim. « Nous n’avons pas suivi les recommandations de la FAO sachant que la hausse des prix actuelle est encore plus forte que celle de 2008 », pointe l’économiste.

 

Pour lui, la mobilisation des jachères tant en France que dans l’UE est un signe de bonne volonté, mais elle n’aura qu’un impact mineur sur la disponibilité des grains : les agriculteurs ne vont probablement pas tous remobiliser leurs jachères qui n’ont de surcroit pas de gros potentiels. A titre de comparaison, les USA utilisent 130 à 140 Mt de maïs pour les biocarburants. « Il conviendrait surement de faire un petit effort pour réduire ce volume cette année » estime l’orateur. La question n’est probablement pas uniquement liée à l’offre mais à tous les 7 paramètres qui jouent sur la volatilité des cours des céréales : le prix de l’énergie, la météo, le niveau réel ou estimé des stocks, la progression de la demande, les taux de change, les restrictions commerciales et la spéculation.

La guerre en Ukraine impacte les échanges agricoles mondiaux qui étaient encore en croissance. « Le commerce mondial des produits agricoles n’a ainsi jamais été aussi élevé qu’en 2020, malgré le Covid, puisqu’il a été multiplié par trois depuis 2000. L’Ukraine et la Russie pèsent ensemble 4,5% des échanges, principalement sur les produits végétaux » chiffre l’économiste, les productions animales ayant un poids bien inférieur même s’il ne faut pas oublier les poulets ukrainiens et les poissons russes.

Les exportations russes n’ont cessé de progresser, notamment après l’annexion de la Crimée. L’UE représente 12% des exportations russes et 1,9% de nos achats. Du côté des débouchés, la Russie arrive en 6ème position des exportations de l’UE. « Pour la France, les exportations ont déjà été impactées par l’embargo de 2014 et nous avons une balance commerciale positive de 300 millions d’euros avec la Russie. Nous sommes donc moins impactés que des pays comme l’Italie, l’Espagne et les Pays Bas qui achètent beaucoup de maïs grain. Clairement, les céréales et les oléagineux sont les plus gros dossiers ».

Ainsi, la Russie et l’Ukraine représentent 7,1% de la production mais 21,5% du commerce mondial des grains avec un poids variable selon l’espèce (15% de l’offre mondiale et 30% du commerce mondial en blé par exemple). La position importatrice de l’UE n’a cessé de se dégrader puisque l’Ukraine représente désormais 53% de ses importations de maïs grain et 87% de ses achats d’huile de tournesol. La position dominante de l’Ukraine sur le marché mondial des tourteaux de tournesol atteint 75%. Par effet de dominos, l’économiste craint que la flambée des prix n’entraine une augmentation de la déforestation au Brésil au profit d’une production de soja demandée par les marchés mondiaux. D’où, pour lui, l’importance des filières « non déforestantes » car il ne faut pas compter sur une autorégulation interne au Brésil.

 

« J’ai toutefois du mal à croire que l’Ukraine n’aura aucune récolte en 2022. Elles seront inférieures de 10 ou 20% certainement à l’an dernier, mais elles ne seront pas nulles » espère t il. L’économiste reconnaît qu’il est  difficile de faire des prévisions car il existe peu de données sur le niveau exact des semis qui pourront être effectués et le carburant comme la mobilisation des hommes pèseront surement sur les récoltes. 


Enfin, pour Vincent Chatellier, le plan de résilience présenté par le gouvernement français (dont 400 millions d’euros pour les éleveurs sur 4 mois à partir du 15 mars) devra réellement être fléché pour soutenir les exploitations les plus fragilisées face à la flambée des cours: « tout dépend des modes de production mais je pense que ce sont les éleveurs porcins qui auront le plus besoin de soutien. Pour la volaille, tout dépendra de la capacité des opérateurs industriels à répercuter l’augmentation des cours à l’aval » résume t il. Dans tous les cas, l’économiste attend une forte inflation des couts de l’alimentation d’ici la fin 2022.

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