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Une sélection du blé tendre à petits pas vers plus de protéines

Dans l'amélioration variétale du blé tendre, les sélectionneurs ont peu de marge de manœuvre pour faire progresser le taux de protéines tout en maintenant une bonne productivité. Mais ils travaillent le sujet.

Bon an, mal an, le taux de protéine diminue dans les blés français. À côté de mesures agronomiques et du développement d’outils de pilotage de la fertilisation azotée, le levier génétique est régulièrement évoqué pour progresser en la matière.

Depuis une dizaine, voire une quinzaine d’années, la protéine est remontée dans la hiérarchie des critères retenus en sélection. C'est peu, mais c'est parce que le sélectionneur s’attaque à une difficulté de taille, le couple rendement/protéines. "Quand la productivité augmente, rappelle Josiane Lorgeou, responsable du pôle variétés chez Arvalis, le taux de protéines diminue par un effet de dilution. Si le progrès génétique accroît le rendement de 10 quintaux/hectare, la concentration en protéines diminue de 1 %. On parle de corrélation négative. Les conditions du milieu influent aussi sur cette relation."

Les contraintes de fin de cycle (températures élevées, déficit hydrique) conduisent ainsi à une réduction du rendement mais à une concentration des protéines dans le grain. Le manque d’azote, lui, fait baisser les deux facteurs à la fois. Entre les stades épi 1 cm et la floraison, l'azote intervient dans la mise en place du potentiel de rendement. Une partie est ensuite remobilisée dans le grain. Puis après floraison, l'azote contribue directement au remplissage des grains et au taux de protéines.

Variété productive riche en protéines, le mouton à cinq pattes

Travailler sur ce facteur d'assimilation de l'azote peut permettre de jouer sur la protéine. Des études physiologiques ont révélé une variabilité dans l’absorption de l’azote avant et après floraison. Il est donc possible de sélectionner les variétés pour ces critères. L’Inra et Arvalis ont ainsi montré que mécaniquement, l’augmentation de rendement enregistrée au fil des ans dans les variétés aurait dû entraîner une plus forte baisse du taux de protéines.

Mais le travail des sélectionneurs a permis d’améliorer l’absorption de l’azote et d’augmenter la proportion de cet élément dans le grain par rapport à la plante entière. Néanmoins, il est clair que la marge de manœuvre est étroite. Cette variabilité se matérialise par un écart à la droite de régression appelée GPD (Grain protein deviation). Cette droite exprime en partie la capacité d’une variété à mieux absorber l’azote en post-floraison (voir encadré).

Il est compliqué aujourd'hui de mettre la main sur une variété satisfaisante en rendement et en protéines, susceptible de donner partout de bons résultats. Chez Axéréal, choisir les variétés productives à teneur en protéines supérieure à 11,5 % est devenu un vrai casse tête. En se référant à l’indicateur GPD calculé au sein de la coopérative, trois variétés seulement se détachent nettement pour la zone de production.

"Rubisco, Cellule et Hyfi correspondent à ce type de variétés, relève Dominique Romelot, chargé des essais variétaux de la coopérative. Or, l’ANMF les classe dans la catégorie de qualité moyenne (BPMF) et leur incorporation dans les mélanges meuniers est limitée ! À l’inverse, des variétés de qualité supérieure (VRM) comme Sy Moisson ou Pakito obtiennent de faibles teneurs en protéines. Comment satisfaire alors un cahier des charges qui demande exclusivement des variétés VRM et une teneur en protéines supérieure à 11,5% ?" L’ingénieur ajoute : "Dans les zones vulnérables, il est difficile d’imaginer pouvoir progresser en productivité en maintenant un niveau suffisamment élevé en protéines, avec une fertilisation azotée sous contrainte du fait de la règle du calcul de la dose d’azote prévisionnelle basée sur la moyenne historique des rendements. Nous souhaitons vivement que cette problématique soit examinée !"

La protéine prise en compte au démarrage de la sélection

Le GPD permet de mieux cerner les variétés. Depuis 2012, Arvalis reprend cet indicateur pour ces travaux de post-inscription. La plupart des sélectionneurs et même les organismes stockeurs l’utilisent. La prise en compte du GPD à l’inscription au catalogue, avec des exigences sévères, a orienté encore davantage les stratégies des sélectionneurs, en les incitant à mieux prendre en compte le critère protéines.

Depuis quelques années, les obtenteurs l'intègrent bien plus tôt dans leur schéma de sélection. Les variétés qui n’obtiennent pas à la fois un rendement et un taux de protéines suffisant sont éliminées. Chez Syngenta, l’amélioration de la teneur en protéines s’effectue ainsi en trois étapes. "Les croisements sont réalisés avec des variétés dont nous connaissons les caractéristiques, indique Patrice Senellart, sélectionneur chez Syngenta et à l’origine de la variété Falado qui a obtenu deux points de bonus sur ce critère au CTPS. Cela nous évite de croiser deux parents à faible capacité en teneur en protéines. Durant la phase de sélection en pépinière, nous ne regardons pas ce critère. Nous le reprenons dès la première année d’essais rendement en effectuant une analyse de la teneur en protéines sur les  parcelles récoltées puis dans un essai spécifique avant le dépôt au CTPS."

Système infra-rouge et pesées embarquées

Les taux de protéines sont mesurés plus fréquemment. "Les mesures simultanées de taux de protéines et de productivité sont beaucoup plus faciles à réaliser que par le passé, note Christophe Michelet, sélectionneur de blé tendre chez RAGT, avec le système infra-rouge et les pesées embarquées." Pour l’entreprise qui commercialise RGT Venezio, une variété bonifiée de 2 points, la sélection ne peut se faire qu’à petit pas. "Si nous répondons trop fortement à une demande, ajoute-t-il, la teneur en protéines par exemple, nous pénalisons d’autres critères comme le rendement. Les critères de sélection sont nombreux et complexes à travailler. L’objectif est d’identifier des lignées ne possédant pas de défauts majeurs."

Sélectionneur chez Desprez, Philippe Lonnet ne dit pas autre chose. "Sélectionner une variété riche en protéines, c’est facile, remarque-t-il. Travailler sur le couple rendement/protéines est plus intéressant puisque cela permet de répondre à la fois aux demandes des agriculteurs pour la productivité et aux industriels pour les caractères techniques. Aussi utilisons nous depuis deux ans le GPD. L’impact sur les nouvelles variétés peut aller vite, avec des retombées dans trois ou quatre ans."

Un marqueur lié aux taux de protéines en test

La sélection assistée par marqueurs n'est pas encore une solution pour l'amélioration variétale du taux de protéines. Il n'existe pas à ce jour de marqueur spécifique des gènes pour la teneur globale en protéines ou la façon dont la plante absorbe l’azote en pré ou post-floraison. Ces facteurs restent encore du domaine de la recherche. Toutefois, l'avancée des connaissances a en partie résolu les énigmes. "Des marqueurs moléculaires du GPD ont été identifiés, affirme Jacques Le Gouis, directeur de recherche à l’Inra de Clermont-Ferrand, mais ils doivent être validés. De plus un gène, appelé NAM-B1, a été caractérisé aux USA : il augmente la teneur en protéines mais accélère la sénescence des feuilles. Il aurait peut être un effet négatif sur le rendement dans les conditions européennes. Il doit donc être testé dans nos variétés."

Ce même gène serait aussi impliqué dans la remobilisation non seulement de l’azote mais aussi du zinc et du fer vers le grain. L’identification des marqueurs du GPD s’insère dans le cadre du programme Breedwheat qui intègre aussi les impacts du changement climatique. "Pour l’heure, assure le chercheur, nous ne pouvons nous prononcer à ce sujet. Cela va dépendre des changements climatiques qui seront observés avec des effets antagonistes possibles. L’augmentation de CO2 devrait favoriser le rendement, les périodes de fortes températures pourraient favoriser le taux de protéines mais au détriment du rendement." Néanmoins, il ne faut pas attendre du réchauffement climatique qu'il règle en quelques années la question des protéines en France.

Le taux de 11,5 % atteint en moyenne une fois sur trois

Depuis 2007 où il dépassait 12 %, le taux moyen de protéines du blé tendre au niveau national a tendance à chuter, ce qui perturbe la commercialisation notamment à l’export. L’accord interprofessionnel signé en 2013 stipulant la mise en place d'un taux de protéines contractuel et d'une grille de bonifications/réfactions n’a pour l'instant guère eu d’impact. En raison des conditions climatiques, le taux moyen obtenu en 2014 n’a été que de 11,1 %. Ce n’est pas la première fois que le seuil de 11,5 % n'est pas atteint. Entre 1996 et 2014, il n’a été obtenu pratiquement qu’une année sur trois.

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