Récolte 2022 : un été chaud et sec « crash-test » pour les cultures de printemps
Betteraves, pommes de terre, maïs : les cultures d’été sont en première ligne face au réchauffement climatique. L’année 2022 montre l’urgence à déployer tous les leviers possibles pour s’adapter.
Betteraves, pommes de terre, maïs : les cultures d’été sont en première ligne face au réchauffement climatique. L’année 2022 montre l’urgence à déployer tous les leviers possibles pour s’adapter.
Elles font la course en tête pour battre un inquiétant record. 2022 est au coude-à-coude avec 2019 et 2020 sur le podium des années les plus chaudes jamais enregistrées en France, avec une température moyenne légèrement supérieure à 14 °C d’après les données de Météo-France. Un réchauffement climatique qui n’est pas sans conséquence sur les productions agricoles. Toutes les filières sont concernées mais celles « qui doivent passer l’été » pour être récoltées à l’automne sont particulièrement exposées.
Maïs, pommes de terre, betteraves : ces productions ont en effet souffert des conditions météorologiques extrêmes de cette année. Trois pics de chaleur ont frappé les cultures de plein fouet en juin, juillet et août. Côté pluviométrie, au cours de l’année hydrologique écoulée (septembre 2021 à août 2022), la France n’a reçu que les trois quarts du cumul de pluies qu’elle reçoit en année dite « normale » (moyenne 1991-2020).
Des rendements historiquement bas
D’après les observateurs des différentes filières, c’est la combinaison des fortes températures et du déficit pluviométrique qui a particulièrement pénalisé les cultures. Le maïs a payé le prix fort avec un rendement moyen de 79 quintaux par hectare (q/ha), presque 20 % sous la moyenne quinquennale (97 q/ha), annonce l’institut technique Arvalis. Avec 10 millions de tonnes, la production est au plus bas depuis trente ans.
En pommes de terre, les rendements sont prévus autour de 40 q/ha, en baisse de 15 % par rapport à la moyenne quinquennale d’après l’Union nationale des producteurs de pommes de terre (UNPT). Les surfaces non irriguées ont le plus souffert, notamment en filière fécule dont le volume de production historiquement bas met en péril la filière.
La betterave semble s’en tirer un peu mieux. « Elle a des qualités qui lui donnent de la résilience », assure Nicolas Rialland, directeur de la Confédération générale des planteurs de betteraves (CGB). La betterave bénéficie d’un bon enracinement et peut attendre le retour des pluies pour reprendre sa croissance. Tout de même, le manque d’eau s’est fait sentir en absence d’irrigation. Les rendements, très hétérogènes, devraient se situer « largement en dessous de la moyenne quinquennale de 87 tonnes à l’hectare à 16° », indique Nicolas Rialland.
Risques de sécheresse en hausse
La météo de l’été va sans doute marquer les mémoires. Reste à savoir à quelle fréquence cette séquence risque de se reproduire dans le futur. « Un été comme celui de 2022 sera la norme en 2050 », assure Serge Zaka, docteur-chercheur en agroclimatologie, en s’appuyant sur les courbes de tendances établies par le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (Giec).
« Pour ceux qui ont le nez dans les courbes climatiques depuis longtemps, l’été 2022 n’étonne personne, confirme Frédéric Levrault, docteur en agronomie et expert Agriculture et changement climatique pour les chambres d’agriculture. En France, depuis cinquante ans, la température moyenne s’est accrue de 2 °C. »
Si l’on se base sur le scénario RCP 8.5 du Giec (sans infléchissement des émissions de gaz à effet de serre), « dans tous les bassins céréaliers de France, le nombre de jours très chauds susceptibles d’aggraver les phénomènes d’échaudage thermique augmentera », assure l’expert. D’après une étude du réseau de scientifiques internationaux, le World Weather Attribution, « une très faible humidité des sols en surface et dans la zone racinaire telle qu’observée en 2022 pourrait se produire tous les vingt ans ». Sans réchauffement climatique, la fréquence serait divisée par trois ou quatre en Europe centrale et occidentale, selon les chercheurs.
Le progrès génétique pour des variétés plus adaptées
De quoi inquiéter les filières, qui cherchent à activer des leviers pour améliorer leur résilience. Une des pistes est la recherche variétale. Le plafonnement des rendements de certaines cultures, notamment du blé, depuis une vingtaine d’années, est largement imputé au changement climatique. Toutefois, « il y a une marge de manœuvre importante car la résistance au manque d’eau ou aux fortes températures n’était pas un critère de sélection prioritaire. En pommes de terre, par exemple, on se concentrait sur l’aptitude à la transformation, le calibre, la tenue à la cuisson… », constate Bertrand Ouillon, délégué du Groupement interprofessionnel pour la valorisation de la pomme de terre (GIPT).
En betterave, « le stress hydrique est désormais pris en compte dans la recherche des sélectionneurs », assure Fabienne Maupas, responsable du département technique et scientifique de l’Institut technique de la betterave (ITB).
En maïs, la sélection variétale axée sur l’augmentation des rendements a permis au passage d’améliorer la capacité de la plante à pousser en situations stressantes. « Jusqu’ici, les semenciers n’avaient pas travaillé spécifiquement sur la résistance aux stress hydrique et thermique, avance Colin Guillaume, responsable sélection maïs chez Mas Seeds (Maïsadour). Nous avons identifié des caractères d’intérêt et nous disposons d’un bon réservoir de diversité pour développer des variétés plus adaptées. »
En attendant, les variétés disponibles affichent des réactions différentes face à la sécheresse. « Grâce à leur cycle végétatif plus court, les variétés précoces s’en sortent mieux », considère Frédéric Levrault.
L’accès à l’eau, nerf de la guerre
Quelles que soient la rapidité et l’efficacité du progrès génétique, les plantes auront toujours besoin d’un minimum d’eau pour pousser. La présence ou non de l’irrigation est l’un des facteurs explicatifs du rendement cette année. Il atteint 100 q/ha en maïs irrigué, contre 66 q/ha pour le maïs pluvial. En pommes de terre et en betteraves, les parcelles irriguées ou ayant reçu un peu de pluie ont des rendements proches de la moyenne quinquennale.
« La question de l’accès à l’eau va être un enjeu central pour les cultures de printemps », confirme Adrien Chassan, responsable Innovation agroécologique à la coopérative Maïsadour. Les responsables des différentes filières s’accordent à dire qu’il faudra des moyens pour capter une partie des pluies hivernales. « Néanmoins, on ne pourra pas irriguer 100 % de la SAU française », reconnaît Alain Dequeker, président du Comité technique pomme de terre Nord-Pas-de-Calais, qui estime que les outils de précision doivent se généraliser pour optimiser les apports d’eau.
Les leviers variétaux et irrigation ne suffiront pas. « Ils devront être couplés au levier agronomique », estime Benoît Houilliez, chef du service Pomme de terre à la chambre d’agriculture Nord-Pas-de-Calais. Non-labour, allongement des rotations, couverts végétaux, matière organique bien incorporée : il s’agit d’améliorer la structure du sol pour retenir l’eau et la rendre disponible pour les plantes. Cette année, « les agriculteurs qui s’en sortent le mieux sont ceux qui ont fait les bons choix variétaux, n’ont pas fait d’erreur agronomique majeure et ont pris soin de leur sol », constate-t-il.
Fin des cultures de printemps dans certains territoires ?
Pour autant, certains territoires devront-ils renoncer aux cultures de printemps dans le futur ? La question pourrait se poser tôt ou tard. « On peut y voir de nouvelles opportunités plutôt qu’un renoncement », avance Frédéric Levrault. Pour des raisons pédoclimatiques, les cultures de printemps restent néanmoins la seule option dans certains secteurs, comme dans le Sud-Ouest. « L’assolement peut évoluer vers du tournesol ou du sorgho », considère Adrien Chassan. À condition d’avoir les débouchés suffisants et qu’ils soient au moins aussi rémunérateurs que le maïs.
« Les filières doivent élaborer des stratégies à dix ou quinze ans pour avoir des plans B si la tendance climatique ne s’infléchit pas, estime Frédéric Levrault. Il faut se projeter pour essayer de prévoir le moment de bascule où, économiquement, ça ne sera plus viable pour les producteurs comme pour les industriels, en espérant que d’ici là, un bond technique permettra de continuer. Mieux vaut anticiper pour que les transitions ne se fassent pas dans la douleur. »