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Diversification
Quand ça sent bon l’ail…

Se diversifier dans l’ail demande beaucoup de main-d’œuvre, mais le temps passé est bien valorisé, surtout en produisant sous un label. Reportage au Gaec du Lambon, au pays de l’ail violet de Cadours qui a obtenu son AOP en 2017.

Quarante palox d'occasion (à droite) sécheront les aulx issus des semences pas encore semées (dans les filets).
© S. Thillaye

J’ai fait le choix de me diversifier dans l’ail alors que nous n’avions pas encore l’appellation ail violet de Cadours et cela a été payant ! », raconte Sébastien Taupiac. Ce jeune agriculteur de 38 ans a racheté en 2014 la ferme familiale de Cabanac-Seguenville en Haute-Garonne et s’est installé en Gaec avec sa mère. Son projet : arrêter l’activité bovins viande, s’agrandir et s’équiper pour cultiver de l’ail violet. « Ma mère plantait de l’ail depuis quarante ans sur un demi-hectare, c’était rémunérateur, mais nous n’étions pas équipés pour faire plus », évoque-t-il. Aujourd’hui, il en cultive 2,5 hectares, préside le syndicat de défense de l’ail violet de Cadours et grâce à l’apport en main-d’œuvre de ses parents, gagne bien sa vie : « pour être honnête, même les années où c’est un peu difficile en termes de prix, j’arrive à m’en sortir », assure-t-il. Pourtant, la culture est gourmande en temps : « il faut dégousser les bulbes, semer les caïeux (ou gousses), traiter, puis à la récolte, sécher, peler, calibrer et conditionner les aulx », détaille Sébastien Taupiac. Or, beaucoup de ces travaux se font à la main.

Quatre tonnes de semences produites dans la Drôme

Pour satisfaire le cahier des charges de l’AOP ail violet de Cadours, l’agriculteur est contraint sur son choix variétal. « Les variétés autorisées sont Germidour et Valdour, énonce le Haut-garonnais, mais dans les faits la variété Germidour est utilisée par 99 % des exploitants, moi y compris. Je préfère ne pas ressemer mes caïeux, j’évite ainsi la dégénérescence en me fournissant en plants certifiés chez Prosemail dans la Drôme. De plus, j’effectue une rotation sur quatre ans pour éviter le développement des maladies, c’est d’ailleurs obligatoire pour l’AOP. » Autrefois, toutes les semences étaient des « populations de pays » adaptées localement, mais le virus de la mosaïque de l’ail a contaminé la plupart des variétés. Grâce à la recherche, des variétés issues de l’ancienne population violet de Cadours ont été mises au point il y a déjà plus de cinquante ans. La main-d’œuvre est nécessaire dès le semis, pour sécher les bulbes de semences, les faire éclater et séparer les cailleux. Il faut une journée de travail à 12 personnes pour égrener 4 tonnes de semences. En production AOP, la plantation s’effectue du 15 octobre au 15 décembre.

5 000 euros de main-d’œuvre par hectare et par an

Pendant l’année, la culture est soignée : « les traitements sont autorisés même en AOP, seuls les antigerminatifs sont interdits (voir ci-contre), indique Sébastien Taupiac. En termes de fertilisation, j’ai apporté en 2018 de l’engrais organique avant semis puis 150 unités d’azote minéral en janvier et février ». Pour la récolte, « nous utilisons une arracheuse équeuteuse et embauchons du personnel, indique l’agriculteur. Il y a trois personnes sur les machines, deux en charge des palox et big bag, deux autres pour ramasser ce qui reste au sol. C’est assez fastidieux, les bonnes journées, on récolte tout juste un hectare ». Les aulx sont ensuite séchés dans des palox pendant une vingtaine de jours via un séchoir dynamique à air propulsé. « C’est une étape importante, note l’exploitant, car si l’on sèche trop rapidement, l’ail flétrit. Et si ce n’est pas assez rapide, il y a un risque de pourriture. Pour nous guider, nous utilisons des courbes de séchage jusqu’à ce que l’ail ait perdu 25 % de son poids initial. » À la sortie du séchoir, l’ail est nettoyé, pelé et conditionné pour être commercialisé en AOP du 15 juillet au 31 décembre. « Nous enlevons la terre, coupons les racines, puis retirons la première peau à la main, voire la deuxième, mais il nous faut garder la couleur violette », détaille Sébastien Taupiac. Car le cahier des charges demande un minimum de coloration et la couleur se développe notamment sur les premières peaux grâce à une bonne humidité dans le sol. « C’est l’étape la plus longue et la plus chère en main-d’œuvre », indique-t-il. Sur l’exploitation, le pelage revient en moyenne à 0,57 €/kg (quatre personnes pendant un mois et demi cette année). Le calibrage se fait lui aussi à la main. « Je réfléchis à investir dans une calibreuse pondérale, s’interroge l’agriculteur. Seulement cela ne fait pas tout. Nous devons aussi trier les aulx, choisir ceux qui sont bien ronds, exempts de surgoussage et de chocs. Si le tri n’est pas correctement réalisé, tout un lot peut être refusé et il est même possible de perdre la certification AOP ! » Au final, la main-d’œuvre, souvent étrangère, représente la moitié des charges de la culture, soit 5 000 euros par hectare et par an.

10 000 euros de marge brute par hectare

Sébastien Taupiac conditionne ses aulx principalement en plateaux de 6 kg, en sacs de 5 kg, en tresse avec les fanes ou en vrac. Cette année, son rendement a atteint 8 t/ha, pour un total de 20 tonnes d’ail. « Je réalise ma meilleure marge avec les plateaux en vendant le kilo d’ail AOP équeuté à 4,80 € », confie-t-il. Il écoule 95 % de sa production chez des grossistes et des revendeurs locaux. Son chiffre d’affaires est de 20 000 €/ha. Complément de revenu il y a 15 ans, la culture est aujourd’hui devenue sa ressource principale. « L’ail représente 50 % de mes revenus, le colza semence 20 %, le soja alimentaire 20 % et les grandes cultures complètent, annonce-t-il. De temps en temps, on se demande si on ne devrait pas mettre de l’ail sur les surfaces en grandes cultures… Mais c’est risqué s’il y a une baisse prix ! » Car si le marché de l’ail violet en AOP reste stable (entre 4,10 et 4,80 kg), le marché de l’ail classique est plus volatil : hors AOP, l’agriculteur a vendu son premier ail à 1,20 €/kg contre 3 €/kg cette année, son meilleur prix depuis six ans (lire encadré). « Je vois souvent des agriculteurs qui aimeraient faire 10 ou 20 hectares d’ail AOP, évoque le président du syndicat, mais la fenêtre de récolte est très courte et il faut aussi pouvoir faire un travail du niveau de la certification. En réalité, certains cultivent 10 hectares d’ail classique et ne font que trois hectares d’AOP. » Par ailleurs, si le modèle économique de Sébastien Taupiac fonctionne aujourd’hui, c’est aussi grâce aux choix qu’il a réalisés à son installation : opter pour du matériel d’occasion. Arracheuse, palox, séchoir et planteuse lui ont en tout coûté seulement 10 500 euros. Seul achat réalisé en neuf l’an passé : le retourneur de palette. C’est bien dans les vieux pots que l’on fait les meilleures soupes… à l’ail !

Un Gaec familial

174 000 euros de capital répartis équitablement entre la mère et le fils

115 ha cultivés dont 42 de blé tendre, 9,5 d’orge, 7 de colza semence, 7 de soja alimentaire, 5,5 de tournesol, 4,5 de pois chiche alimentaire et 2,5 d’ail violet AOP

9,5 ha irrigués via des enrouleurs et un lac collinaire privé (soja et ail)

50 ha de terre en propriété, le reste en fermage ou mis à disposition

20 t d’ail récoltées en 2018 dont 14 en AOP et 2,6 en catégorie 2 et 2,4 en moyen-petit

65 q/ha de moyenne quinquennale en blé tendre

4e génération d’exploitant

La concurrence pèse sur les cours

L’année dernière, « malgré une récolte d’ail plutôt correcte, la commercialisation a été difficile quelle que soit la variété, indique le bilan de campagne de FranceAgriMer. L’ail violet a souffert d’un manque de coloration tandis que l’ail rose a subi des défauts de conservation. » Après deux bonnes années, les anomalies visuelles ont compliqué les ventes. Les prix de l’ail rose (en plateau) et blanc (en sac de 5 kg) étaient au niveau des moyennes quinquennales, respectivement à 5,70 €/kg HT et 2,30 €/kg HT tandis que l’ail violet (en sac de 5 kg) était en net recul à 2,30 €/kg HT. Principal concurrent des produits français, l’ail espagnol était bien présent sur le marché, à 1,40 €/kg HT seulement. La Chine, qui réalise 85 % de la production mondiale, a pesé à la baisse sur les cours. Les prix en 2018 sont a priori bien meilleurs.

En France, les producteurs s’orientent de plus en plus vers des productions d’ail à haute valeur ajoutée (label rouge, AOP, IGP) car la concurrence est rude. Il faut dire que la taille moyenne d’une exploitation d’ail espagnol est de 1 000 hectares… contre 10 en France.

Des traitements possibles en AOP

Par rapport à la culture d’ail classique, le seul produit interdit pour l’ail violet AOP de Cadours est l’hydrazide maléique. « C’est un inhibiteur de germination connu sous le nom de Fazor ou Itcan, indique Sébastien Taupiac, qui préside le syndicat de défense de l’ail violet de Cadours. Mais heureusement aujourd’hui, les grossistes, de plus en plus équipés de chambres froides, peuvent stocker l’ail au frais, ralentissant la germination. » À l’exception des antigerminatifs, les traitements sont donc possibles même en AOP : désherbants et fongicides, soit en prévention contre la pourriture verte et blanche ou en curatif en fonction des attaques de rouille.

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