Conseil stratégique phytosanitaire : que risquez-vous à retarder ce conseil obligatoire ?
Le nouveau conseil stratégique phyto sera obligatoire fin 2023 pour un grand nombre d’exploitations. Si vous ne vous y prenez pas à temps, vous risquez de ne pas pouvoir renouveler votre Certiphyto, ce qui vous interdirait l’achat de produits phyto.
Le nouveau conseil stratégique phyto sera obligatoire fin 2023 pour un grand nombre d’exploitations. Si vous ne vous y prenez pas à temps, vous risquez de ne pas pouvoir renouveler votre Certiphyto, ce qui vous interdirait l’achat de produits phyto.
Vous êtes titulaire d’un Certiphyto décideur ? Si oui, connaissez-vous le conseil stratégique phytosanitaire, ou CSP ? Dans le cas contraire, il est urgent de vous y pencher, ou vous pourriez aller au-devant de gros ennuis. Le CSP a été instauré par la loi séparant le conseil et la vente des produits phytosanitaires. À partir de 2024, il faudra attester de sa réalisation sur l’exploitation pour renouveler son Certiphyto. Pas de CSP, pas de Certiphyto. Et pas de Certiphyto, pas d’achat possible de produits.
Peu d’agriculteurs sont conscients des enjeux du calendrier, qui se compliquent sérieusement. À compter du 1er janvier 2024, toute exploitation est censée disposer d’un CSP (hormis celles en bio ou en HVE), mais on est très loin du compte. « Nous avons évalué le nombre d’exploitations concernées à environ 230 000 au niveau national, et 4 000 CSP seulement ont été réalisés à ce jour, dont 1 500 en test, explique Philippe Noyau, en charge du dossier pour le réseau national des chambres d’agriculture. Et compte tenu des moyens des chambres d’agriculture, notre objectif est d’en faire passer 25 000 avant fin 2023. » On sera donc très loin des 230 000.
Les organismes consulaires sont en première ligne. Hormis les chambres d’agriculture, quelques centres de gestion et conseillers privés proposent la prestation. Il faut pour cela faire partie des structures disposant d’un agrément officiel. Difficile dans ces conditions de tenir les délais pour tous les agriculteurs, avec des embouteillages en vue. « Il ne faut pas attendre le dernier moment pour contacter son technicien. Si tout le monde attend les six derniers mois, on va dans le mur », prévient l’élu. « Il sera impossible de passer tout le monde en 2024, il faut donc commencer en 2023 », confirme Frédéric Moigny, spécialiste Productions végétales à la chambre d’agriculture du Puy-de-Dôme. Dans ce département, qui est en tête du nombre de CSP réalisés en France, le compteur en est à 300, alors que 2 500 exploitations sont concernées.
Un conseil obligatoire inscrit dans la loi
Ceux qui espèrent une suppression de cette obligation ou un assouplissement font un pari risqué : le conseil stratégique phytosanitaire est inscrit dans la loi, ce qui lui donne un poids considérable et limite les possibilités de retour en arrière. La question devient cruciale pour les titulaires du Certiphyto décideur qui devront le renouveler en 2024. Dans certains départements, il est déjà difficile de trouver des places pour des sessions CSP pour 2023.
« Ceux qui renouvelleront leur certiphyto en 2024 sont en première ligne. Ce seront les premiers à voir tomber le couperet, insiste Frédérique Bougel, chargée de projet agronomie et environnement à la chambre d’agriculture d’Eure-et-Loir. Attention également à ceux pour qui l’échéance est 2026. À cette date, il faudra avoir réalisé deux CSP, avec au minimum deux ans d’écart. On est donc sur le même tempo que ceux qui renouvelleront en 2024. »
Pour Frédéric Moigny, « ce n’est pas la peine d’espérer acheter ses produits phyto sans le Certiphyto. Les vendeurs ne joueront pas avec le feu ». Le problème ne sera pas résolu en sous-traitant avec une entreprise de travaux agricoles (ETA) si vous devez acheter vous-même les phytos. « En l’absence de Certiphyto, il faut que l’ETA achète les produits, ce qu’elles ne font pas toutes et qui implique le cas échéant une facturation de service », prévient le conseiller.
Avec cette nouvelle obligation réglementaire, payante qui plus est – il faut compter autour de 450 euros pour un CSP en formule individuelle et environ 250 euros en groupe – il n’est pas surprenant que les agriculteurs traînent les pieds. Pourtant, tout n’est pas à jeter dans ce CSP. « Nous avons construit la prestation pour que ce ne soit pas uniquement un coup de tampon mais un réel accompagnement des agriculteurs à la transition agroécologique, en leur soumettant des solutions, assure Philippe Noyau. Cela permet de regarder l’exploitation à 360 degrés, sur les phytos, mais aussi sur les questions d’érosion, de qualité du sol… »
Entrer par les problématiques techniques
Pas de jugement ni de mise en cause, promet-on à la chambre d’Eure-et-Loir. « Il ne s’agit pas simplement de dire qu’il faut baisser les IFT, insiste Frédérique Bougel. Pour que l’agriculteur puisse en retirer quelque chose, nous entrons par les problématiques techniques, par exemple quelles actions mener pour réduire la pression des graminées résistantes, ou comment apporter de la sécurité vis-à-vis des altises en colza. » Pour la technicienne, le CSP permet également de peaufiner certaines techniques pas toujours parfaitement maîtrisées, à l’instar du faux-semis. Et même pour les meilleurs élèves qui ont déjà bien avancé sur la baisse des phytos, le CSP offre l’occasion de prendre du recul, à froid, pour faire un check-up de son exploitation.
« Le CSP est souvent vécu comme une contrainte par les agriculteurs, mais il présente l’intérêt de prendre le temps de se poser sur ses pratiques, de prendre de la hauteur, et favorise des prises de conscience, notamment sur certains produits dangereux », assure Anne-Laure Lebailly, chargée de mission environnement à Chambres d’agriculture France. S’assurer que l’on est dans les clous de la réglementation, qu’il s’agisse des ZNT riverains et cours d’eau ou du bon usage des mélanges, est également source de sérénité. L’aspect santé est lui aussi important. « Lors du CSP, on vérifie s’il y a des solutions alternatives à l’usage des produits les plus dangereux, comme les cancérigènes, mutagènes ou reprotoxiques, les fameux CMR, explique Frédéric Moigny. On fait aussi le point sur le bon usage des équipements de protection individuelle. »
Un plan d’action listant des mesures volontaires
La session dure une demi-journée en cas de CSP individuel, et une journée en cas de formation collective. À l’issue de celle-ci, le conseiller élabore avec l’agriculteur un plan d’action personnalisé, sur la base du volontariat de la part de l’agriculteur. Ce dernier décide in fine quelles pratiques il tentera de mettre en œuvre. La dimension psychologique et l’accompagnement au changement prennent alors une place importante. « C’est beaucoup dans la tête, constate le technicien du Puy-de-Dôme. Personne n’utilise des phytos pour le plaisir. C’est assez simple de remplacer un produit phyto par un autre de biocontrôle, c’est plus compliqué de passer d’un système raisonné à un système intégré, en mettant tout en œuvre pour limiter l’usage des produits chimiques. »
De ce point de vue, les sessions en groupe ont un réel intérêt. « En collectif, le groupe s’empare des problématiques de chacun pour proposer des solutions et partager des expériences », souligne Frédérique Bougel. Le témoignage d’un agriculteur sur le succès du décalage de la date de semis de son blé pour limiter le salissement aura toujours plus de poids que la parole d’un conseiller. Ces échanges entre collègues révèlent aussi la grande diversité des pratiques dans la plaine, font découvrir d’autres systèmes et permettent de se positionner les uns par rapport aux autres. « Constater que ses IFT sont au-dessus de la moyenne locale peut constituer un déclic, affirme Frédéric Moigny. Découvrir que dans son groupe d’autres font mieux aide à la prise de conscience. »
Des contrôles possibles dès 2024
Toute exploitation utilisant des produits phyto (hors bio et HVE) devra justifier de la réalisation d’un conseil stratégique phytosanitaire à partir du 1er janvier 2024. Outre son importance pour le renouvellement du Certiphyto, cela fera l’objet d’une vérification en cas de contrôle phytosanitaire mené par les services régionaux de l’alimentation. Néanmoins, l’absence d’un CSP lors d'un contrôle ne devrait pour l’instant se traduire que par un rappel à la loi et une demande de mise en conformité, sans sanction immédiate.