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Marchés : les prix de l’orge française suspendus à la demande chinoise

Depuis le début de la campagne, la Chine a importé environ 1 million de tonnes d’orge française, générant une prime pour cette origine face à ses concurrentes. Mais le maintien de ce flux, dont dépendra la fermeté des prix, est très incertain.

Les chargements dynamiques d'orge française vers la Chine en début de campagne ont apporté un soutien aux cours pour cette origine, au prix de sa compétitivité vers les autres destinations. © V. Marmuse
Les chargements dynamiques d'orge française vers la Chine en début de campagne ont apporté un soutien aux cours pour cette origine, au prix de sa compétitivité vers les autres destinations.
© V. Marmuse

Jusqu’ici, l’orge française peut se réjouir de sa bonne fortune. Alors que le marché mondial affiche tous les signes d’un alourdissement en 2020-2021, les cotations tricolores tiennent bon. La raison de cette relative fermeté tient en cinq lettres : Chine. Depuis le début de la campagne, les ports de l’Hexagone ont chargé environ 1 million de tonnes (Mt) vers ce pays, dont les trois quarts en orge fourragère, et le flux se poursuivait en septembre.

Pour l’instant, la France profite d’un avantage de taille : c’est le seul pays disposant de toutes les autorisations pour pouvoir exporter vers la Chine, et capable d’alimenter la demande. « Tant que la Chine est aux achats avec peu d’origines acceptées par ce pays, on en profite, résume Guillaume Van de Velde, directeur de l’union de coopératives Cérémis, couvrant huit départements au nord de Paris. Cela permet de valoriser notre orge 10 dollars la tonne de plus que si l’on allait sur l’Arabie saoudite. »

Compétitivité en berne sur l’Arabie saoudite et l’Afrique du Nord

Ce contexte génère une prime pour l’orge française. Mi-septembre, elle s’affichait par exemple 20 $/t au-dessus des orges mer Noire, et était nettement plus chère que les origines nord-européennes. Avec de tels écarts, l’origine France n’est pas en mesure d’aller chercher d’autres débouchés que la Chine, faute de compétitivité. Les orges de la mer Noire, dont les cours ont ployé sous l’effet de l’offre mondiale abondante, sont bien plus attractives sur l’Arabie saoudite ou en Afrique du Nord. « Même sur la Tunisie, malgré l’avantage de la proximité, nous sommes 8 à 10 dollars trop cher par rapport à la mer Noire », indique-t-on chez Cérévia, qui commercialise la collecte de cinq coopératives situées en Bourgogne, Franche-Comté et Rhône-Alpes.

Combien de temps la France pourra-t-elle tenir une telle prime face à la concurrence, en fourragère comme en brassicole ? Car la compétition promet d’être musclée. L’Argentine a déjà commencé son offensive. Pour la première fois depuis trois ans, elle a retrouvé le chemin de la Chine, avec 250 000 tonnes vendues en ancienne récolte sur 2020. Les volumes vont encore s’amplifier en 2021, au regard des licences d’export.

Regain de concurrence avec le Canada et l’Australie

Le Canada sera aussi un solide concurrent, avec une récolte évaluée à 10,5 Mt, dont 3 Mt de brassicole. « Cela signifie qu’il y aura 2 Mt d’orge brassicole canadienne de très bonne qualité et très compétitive disponibles à l’export », souligne Alexandre Marie, directeur des marchés du groupe Vivescia. « La question est de savoir quelle quantité pourra être mise à disposition dans les tuyaux à Vancouver, complète Julien Darley, directeur de Granit Négoce. Les capacités logistiques canadiennes seront l’une des clés de la campagne. » Selon l’expert, la Chine a commencé à solliciter le Canada, avec déjà plus d’1 Mt vendues.

Le marché devra enfin compter avec le grand retour de l’Australie, après deux années d’absence dues à la sécheresse. Les très bonnes conditions climatiques laissent présager une production record qui pourrait dépasser les 11 Mt. Certes, l’orge australienne est pour l’heure hors-jeu à destination de la Chine. Le ton est monté entre les deux pays ces derniers mois, chacun accusant l’autre de dumping sur des produits stratégiques. Au mois de mai, la Chine décidait d’imposer une taxe prohibitive de 80,5 % sur les importations d’orge en provenance d’Australie.

Début septembre, la tension montait d’un cran : Pékin retirait à CBH, le plus gros opérateur de grains australien, le droit d’exporter de l’orge vers la Chine. Motif invoqué : la présence régulière d’impuretés contrevenant au cahier des charges, accusation démentie par CBH. Cela prive l’orge australienne de son principal marché. Il lui faudra donc redoubler d’agressivité sur les autres débouchés, à commencer par l’Arabie saoudite, actuellement accaparée par les orges de la mer Noire. Le prochain appel d’offres saoudien pour chargement novembre-décembre sera le moment de vérité. Il est probable que l’Australie tentera alors de s’emparer de la part du lion, ce qui donnera le ton pour la seconde moitié de la campagne.

Des malteurs européens déjà sur-couverts

Avec ce regain de concurrence attendu, la suite de la saison risque de changer totalement de configuration pour l’orge française. L’absence de lisibilité dans la stratégie d’achat de la Chine rend toutefois les prévisions incertaines. « L’orge française est actuellement sino-dépendante, analyse Julien Darley. Si la Chine revient acheter de l’orge française, par exemple parce que le taux de change est favorable et que la logistique canadienne coince, cela validera les prix actuels. Mais, en orge de brasserie, il faudra quoi qu’il en soit saisir les opportunités. Les couvertures des malteurs européens sont en effet très avancées du fait de la baisse de la demande liée au coronavirus, et ce ne sont donc pas eux qui viendront animer le marché. »

La demande européenne en bière malade du coronavirus

La crise de la Covid a plombé la demande brassicole française. Pour Maxime Costilhes, délégué général de Brasseurs de France, « grâce à un mois de juin inespéré et à un bon mois d’août, la situation est moins catastrophique que ce que l’on craignait à la fin du confinement, elle est juste très très mauvaise ». En France, les cafés et restaurants tournent à 50 ou 60 % de leur activité habituelle. La demande en orge de brasserie dans l’UE pourrait ainsi perdre entre 0,3 et 0,6 million de tonnes (Mt) sur un total habituel de 11,5 Mt.

Des rapports de prix inhabituels entre les différentes qualités d’orge

L'orge de printemps 2 rangs affiche une prime quasi nulle face à l'orge d'hiver 6 rangs, et très modérée face à l'orge fourragère. Une anomalie qui s'explique par l'état des marchés de ces différentes qualités. © J.-C. Gutner

L'orge de printemps 2 rangs affiche une prime quasi nulle face à l'orge d'hiver 6 rangs, et très modérée face à l'orge fourragère. Une anomalie qui s'explique par l'état des marchés de ces différentes qualités. © J.-C. Gutner

Rarissime : en ce début de campagne, l’écart de prix est quasi nul entre l’orge de printemps 2 rangs et la 6 rangs d’hiver, tandis que la prime par rapport à l’orge fourragère reste très modérée.

À la mi-septembre, l’orge fourragère FOB Rouen s’affichait à 170 €/t, contre 179 €/t pour le FOB Creil en brassicole 6 rangs d’hiver, et entre 1 à 3 €/t de plus pour la 2 rangs de printemps. De la 2 rangs de printemps et de la 6 rangs d’hiver à quasi-parité ? « Il est même possible que l’orge de printemps passe en dessous de la brassicole 6 rangs d’hiver », estime Alexandre Marie, de Vivescia.

Cette configuration inhabituelle reflète tout d’abord la demande dynamique en orges fourragères exprimée par la Chine. Le très faible écart entre 6 rangs d’hiver et 2 rangs de printemps s’explique par la faible disponibilité en orge d’hiver, pénalisée par les rendements et de petites surfaces. L’orge de printemps affiche quant à elle un net surplus. Elle est en effet confrontée à la baisse de la demande européenne du marché brassicole provoquée par le confinement et par l’annulation des événements sportifs et culturels. Ce rapport de prix, combiné à des teneurs en protéines parfois excessives (supérieures à 12,5 %) pourrait favoriser le déclassement d’une partie de l’orge de printemps.

Une remontée des prix peu probable

Peut-on voir une prime brassicole plus importante se reformer pour la 2 rangs de printemps ? Pas sûr dans l’immédiat. Pour Julien Darley, chez Granit Négoce, « il est difficile de croire que la prime brassicole puisse se redresser sensiblement ». En revanche, selon Alexandre Marie, « l’écart entre la 6 rangs d’hiver et la fourragère devrait se maintenir, sauf si la Chine revient massivement aux achats pour des céréales fourragères, et notamment de l’orge. Dans ce cas, on pourrait voir un écrasement de la prime via une hausse du prix de l’orge fourragère ». Une forte remontée du complexe orge est toutefois assez peu probable. « Sauf si le blé et le maïs gagnent 10 à 20 euros, on ne voit pas bien comment l’orge pourrait s’emballer », pronostique l’expert.

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