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L’utilisation des herbicides à base de prosulfocarbe en jeu sur les céréales

Les autorités sanitaires surveillent de près les conditions d’utilisation du prosulfocarbe sur céréales. Par contamination, la matière active est régulièrement détectée dans des fruits sur lesquels elle n’est pas utilisée. Des mesures d'emploi strictes s’imposent pour tenter de conserver son utilisation.

En octobre dernier, l’Anses a imposé le respect de distances de pulvérisation du prosulfocarbe vis-à-vis des cultures non cibles, encadré par des horaires d’application et le respect de bonnes conditions météorologiques : température faible et hygrométrie élevée.
© M. Portier

Depuis octobre 2018, les conditions d’emploi des herbicides à base de prosulfocarbe sur céréales (dont Défi et Roxy) sont encadrées par une nouvelle règlementation, qui découle de contaminations constatées sur pommes, salades et plantes aromatiques, cultures sur lesquelles le prosulfocarbe est interdit. Ces résidus rendent les productions impropres à la vente et génèrent la colère de producteurs pour lesquels les impacts économiques sont importants. Certains réclament la suppression de l’autorisation de mise sur le marché (AMM) de cette molécule. « Nous sommes dans un cas très défavorable. Le produit n’étant pas autorisé sur pommes et cresson, la limite maximale en résidus (LMR) est fixée, au niveau européen, à la limite de quantification, en d’autres termes on ne doit pas trouver de résidu d’une substance qui n’est pas autorisée sur ces cultures », explique Caroline Semaille, directrice générale déléguée du pôle produits réglementés à l’Anses(1). L’Anses est l’organisme qui délivre les AMM.

L'année 2019 est une année charnière

Différentes régions françaises sont concernées par le phénomène : Pays de la Loire, Normandie, Hauts-de-France, Nouvelle-Aquitaine, Bourgogne-Franche-Comté, Centre-Val de Loire. Début 2019, tous les producteurs de céréales dont les parcelles sont voisines des vergers analysés ont reçu un questionnaire ciblé de la Direction générale de l'alimentation dans lequel les numéros d’îlots étaient pré-renseignés, interrogeant sur le nom de la céréale, la surface traitée, la dose à l’hectare, la date et l’heure du traitement. Une enquête à caractère obligatoire, puisqu’une non réponse dans les douze jours exposait à une inspection sur place. Elle devait permettre de voir si les conditions d’utilisation du prosulfocarbe étaient respectées. Quelles en sont les conclusions ? « Nous attendons d’avoir toutes les données de l’année 2019 pour mesurer l’impact des mesures de gestion imposées en octobre 2018, précise Caroline Semaille. Nous sommes au milieu du gué mais les premiers éléments donnent l’impression que l’appropriation de ces mesures de gestion par les utilisateurs n’a pas été parfaite. » Pour la spécialiste en santé publique, il est « très important que ces mesures soient mises en pratique » lors des prochains semis. « 2019 est une année charnière. »

Dérive et revolatilisation à l'œuvre

Par quelles voies la molécule s’est-elle retrouvée sur ces cultures ? Plusieurs facteurs semblent être à l’œuvre, mais la dérive apparaît comme le facteur le plus déterminant. Dans son extrait de note d’appui scientifique et technique de 2017, l’Anses relève que « le prosulfocarbe [peut] parcourir de longues, voire très longues distances après évaporation et qu’il est retrouvé bien au-delà de la zone alentour des zones traitées ». La matière active a ainsi été retrouvée dans des pays où il n’est pas utilisé, comme en Suède. Ces connaissances ont incité dès 2017 les autorités sanitaires à conditionner l’usage du prosulfocarbe à l’utilisation de buses à injection d’air. Le ministère de l’Agriculture a publié une liste de buses homologuées pour limiter la dérive. En octobre dernier, l’Anses a imposé le respect de distances de pulvérisation vis-à-vis des cultures non cibles, encadré par des horaires d’application et le respect de bonnes conditions météorologiques : température faible et hygrométrie élevée (lire encadré).

Problème : le prosulfocarbe présenterait un risque de revolatilisation non négligeable, une sorte « d’effet sauterelle ». Une fois déposé, le produit peut se revolatiliser plusieurs jours après. Quoique qualifié de faiblement volatil, la quantité de prosulfocarbe évaporée 24 heures après son application peut atteindre 80 % de la quantité pulvérisée. Une réalité confirmée par le ministère de l’Agriculture dans une réponse à la question du député (LREM) Jean-Charles Larsonneur, publiée au Journal officiel le 22 janvier dernier. « Il semblerait […] qu’un transfert par voie gazeuse impliquant une revolatilisation des dépôts foliaires puisse également intervenir », note le ministère.

Le produit est suivi de près par l’agence sanitaire

Pour autant, l’Anses n’a pas relevé de risque sanitaire majeur pour le consommateur. « Pour un adulte, le niveau de consommation à atteindre pendant une courte période et entraînant un dépassement de la dose de référence aiguë (ARfD) pour le prosulfocarbe serait de 75 kilos de pommes. » De la même manière, « un enfant qui consomme en un repas ou au cours d’une journée 12,5 kilos de pommes […] serait dans un risque aigu ».

Par ailleurs, aucune étude n’a mis en évidence à ce jour le caractère cancérogène à long terme du prosulfocarbe. « C’est une substance qui n’a pas de potentiel génotoxique sur la base des données dont on dispose », rassure Caroline Semaille. Le produit n’est a priori pas dangereux pour l’espèce humaine mais il est suivi de près par l’agence sanitaire. « Le prosulfocarbe est une substance importante pour les grandes cultures mais il pose un problème notamment pour les producteurs de pommes qui se retrouvent avec des productions 'non conformes' qui ne peuvent donc pas être vendues, puisque dépassant les LMR, même si aucun risque n’est attendu pour le consommateur aux concentrations détectées. Nous comprenons l’enjeu pour les différentes parties », précise la responsable de l’Anses.

Bien respecter les règles d'emploi

Du côté des fabricants, on multiplie les mesures pour faciliter l’application de la règlementation. Syngenta, en position de leader du marché avec son herbicide Défi, vient de mettre au point un outil internet d’usage simple qui permet de savoir en moins de trois clics quelles parcelles sont concernées par la réglementation. Baptisé QualiCible, cet outil matérialise toutes les parcelles à moins d’un kilomètre d’une culture non cible. Sur une carte satellite très similaire à Télépac, les parcelles culturales prennent une teinte rouge, jaune ou verte selon qu’elles sont proches ou éloignées d’une culture non cible. Syngenta recommande par ailleurs de contacter les voisins propriétaires des cultures non cibles avant l’application, pour vérifier les dates de récolte. « Si un agriculteur sait qu’à côté de sa parcelle on a un verger, il va faire attention car c’est l’usage du produit qui est challengé », estime Sébastien Evain, responsable de la communication externe chez Syngenta, qui assure que « bien utilisé, ce produit ne se répand pas chez le voisin ». Une affirmation confirmée par les essais d’Arvalis. « Le respect des règles d’emploi fonctionne bien, commente Ludovic Bonin, spécialiste désherbage chez Arvalis, en particulier l’utilisation de buses antidérives et les applications décalées après les récoltes. » Un message relayé par les représentants professionnels, à l’instar d’Éric Thirouin, président de l’AGPB(2) : « Il est indispensable que chacun soit vigilant. Si l’on perd cette famille d’herbicides, nous serons confrontés à encore plus de situations de résistance et cela conduirait à des impasses techniques dans le désherbage. Aujourd’hui, tout dépend des agriculteurs, la balle est dans leur camp pour conserver cette matière active. » Sur ce point, le ministère de l’Agriculture semble prêt à trancher : « De nouvelles mesures de restriction, voire d’interdiction, pourront être prises si le dispositif actuel ne permettait pas de gérer de façon satisfaisante ce problème. »

Pour la filière céréalière et pour les industriels qui commercialisent ce produit, l’enjeu est important. Appliqué à l’automne, le prosulfocarbe fait partie des matières actives herbicides parmi les plus efficaces, en particulier sur graminées résistantes. C’est aussi la plus vendue en France après… le glyphosate. Son utilisation a fortement progressé ces dernières années. Les quantités vendues sont passées de 1 million de tonnes en 2012 à 4,6 millions de tonnes en 2017 selon Agreste. Le chiffre d’affaires des ventes du prosulfocarbe dépasserait ainsi les 37 millions d’euros en 2017, contre 8 millions d'euros pour le glyphosate.

En ce qui concerne la substance prosulfocarbe, l’Anses n’a pas relevé de risque sanitaire majeur pour le consommateur
(1) Anses : Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail.(2) AGPB : Association générale des producteurs de blé.

Vergers et cultures à risque : attention aux distances

Lorsqu’une culture non cible comme un verger, est située à plus de 500 mètres et à moins de 1 kilomètre de la parcelle traitée, l’application de prosulfocarbe est interdite entre 9 et 18 heures. Le traitement est donc autorisé sur le créneau horaire de 18 heures à 9 heures, en conditions de température faible et d’hygrométrie élevée. Dans tous les cas, l’utilisation de buses antidérives est obligatoire.

Pour les parcelles de céréales situées à moins de 500 mètres d’une parcelle de culture non cible (pommes, cresson, plantes aromatiques), l’application de prosulfocarbe est interdite tant que ces cultures ne sont pas récoltées. Il faut donc attendre pour traiter. Dans ces conditions, un recul de la date de semis de céréale est à étudier. Le prosulfocarbe s’applique en prélevée-post-semis et en retardant l’application de l’herbicide, le stade optimal d’application peut être dépassé et induire une perte d’efficacité. En situation de graminées sensibles, les programmes de substitution ont des efficacités proches sur sols non drainés. Sur sols drainés, l'interdition du chlortoluron complique la tâche. En situation de graminées résistantes, pour lesquelles seules subsistent des solutions d’automne, les solutions alternatives au prosulfocarbe sont rares et plus chères. Elles s’appuient sur les produits homologués à base de flufenacet, diflufénicanil et chlortoluron. « Dans cette situation, il est urgent que le système mis en place soit repensé dans sa globalité », indique Ludovic Bonin. La solution peut passer par un désherbage mécanique en prélevée, à condition d’avoir une herse étrille ou une houe rotative à disposition.

LES BONNES PRATIQUES

Pour conserver l'emploi du prosulfocarbe

- Ne pas traiter par vent supérieur à 19 km/h.
- Avoir une hygrométrie entre 60 et 95 %.
- Éviter les températures inférieures à 0°C et supérieures à 20°C.
- Ne pas dépasser une vitesse de traitement de 10 km/h.
- Limiter la hauteur de rampe à 50 cm maximum.
- Éviter les surpressions lors des dilutions à la parcelle.

AVIS D'AGRICULTEUR
Olivier Bidault, 220 hectares au Tilleul Lambert dans l'Eure

« Sans prosulfocarbe, le coût du désherbage s’envole »

« La question du prosulfocarbe, je connais : sur mes 220 hectares de SAU, je cultive une centaine d’hectares de blé tendre et 27 hectares de pommiers cidricoles. Je livre mes pommes à la coopérative Agrial, en appliquant un cahier des charges strict. Le respect du produit final et du consommateur, c’est évidemment important. Je ramasse toutes mes pommes entre septembre et mi-novembre. Il n’est pas possible d’attendre la fin de la récolte pour semer et désherber mes blés. Du coup, dès cet automne, je n’utiliserai plus de prosulfocarbe. Mon programme s’appuie sur Trooper + Compil, puis du chlortoluron + Fosburi. Le coût du désherbage s’envole. Un programme à base d’Archipel s’élevait à 49 euros/hectare. En tout automne, il est passé à 79 euros/hectare. Demain, mon programme herbicide va être de 122 euros/hectare…. L’an prochain, mes blés seront sur des parcelles drainées. En plus de faire sans Défi, je devrais faire sans chlorto, en m’appuyant sur du Maténo + Compil et Avadex. Le coût atteindra 130 euros/hectare, avec un risque de phytotoxicité très élevé pour le blé. Bien sûr, en parallèle, on repart sur de l’agronomie : labour, déchaumages profond puis plus superficiels mais ça devient compliqué. Le décalage entre la réalité de la production et le désir du consommateur est préoccupant. On ne retrouve pas de prosulfocarbe dans le cidre mais on l’interdit quand même. »

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