La chronique d'Hervé Pillaud
Algorithmes et nouvelles technologies : le défi des "meuniers" de la donnée
Agriculteur vendéen « au départ », Hervé Pillaud est un militant actif de la cause agricole et de l’innovation en agriculture. Pour lui, le monde agricole doit accompagner les transformations de la société. Le numérique, le collectif et le collaboratif... voilà quelques-uns de ses mots-clés pour le monde de demain. Il nous livre ici sa dernière chronique.
Agriculteur vendéen « au départ », Hervé Pillaud est un militant actif de la cause agricole et de l’innovation en agriculture. Pour lui, le monde agricole doit accompagner les transformations de la société. Le numérique, le collectif et le collaboratif... voilà quelques-uns de ses mots-clés pour le monde de demain. Il nous livre ici sa dernière chronique.
L’agriculture génère une quantité importante de données, diffuses, éparpillées, sans que nous ne sachions vraiment à qui et à quoi elles servent. L’utilisation de ces données nous préoccupe, nous n’imaginions pas vraiment ce que nous pouvons en faire. Quelle est cette intelligence artificielle, côté sombre de la force ? Qui va les utiliser et nous manipuler ?
L’intelligence artificielle n’existe pas !
Ce que nous nommons intelligence artificielle n’est en réalité qu’une forme de calcul hyper puissant confiée à des machines dotées d’une capacité et d’une rapidité de calcul presque sans limite permettant de résoudre des algorithmes qu’aucun cerveau humain ne sera jamais capable de résoudre. Les possibilités offertes sont énormes en matière de compréhension, de prévision, d’alerte, de planification, d’évaluation de performance, de modélisation, de simulation, etc. La simulation d’une entreprise agricole dans son environnement est désormais possible. Nous pouvons anticiper une vente, modéliser un prix, prévoir un rendement, conduire un troupeau. Ces tâches peuvent désormais s’automatiser. Le risque peut être simulé, des prévisions établies avec certitude, les tâches planifiées.
Sommes-nous prêts à franchir ce cap ? Pas sûr, notre éducation a formaté notre cerveau pour que nous puissions répondre à ces problématiques. La question centrale est dans notre capacité à confier à la machine ces tâches rationnelles, répétitives, fondées sur la logique. La pensée cartésienne ancrée par des siècles d’apprentissage n’est pas prête et pourtant nous pouvons désormais penser que ceux qui franchiront ce pas seront les gagnants. Le temps n’est plus à rentrer du numérique dans nos métiers mais à rentrer nos métiers dans l’ère du numérique, à nous concentrer sur ce que la machine ne peut pas faire.
Concentrons-nous sur l’objectif !
A quoi bon se priver de cette opportunité nouvelle ? Si nous ne le faisons pas, nous délèguerons demain la décision à ceux qui l’auront compris avant nous. Il suffit de démystifier quelques tabous. Nous déconditionner de ces fonctionnements demande d’inventer de nouvelles pratiques, de vivre des exercices, des jeux dans des institutions souples, avec des stratégies, des règles et des rôles évolutifs. La libération des tâches fastidieuses que nous voulons essentielles nous permettra de nous concentrer sur ce qui est nécessaire à la réussite : la vision globale, la détermination d’objectifs, la pose des problématiques.
Pour réussir, nous devons mobiliser en nous des valeurs rangées au placard des futilités : l’intuition, la conscience, la créativité. Cela nécessite un changement fondamental. L’innovation n’est pas dans les outils mais dans la manière de procéder, elle doit toucher le cœur de notre comportement. La réussite n’est plus cartésienne, elle devient globale, Edgar Morin prend le pas sur Descartes. Innover c’est bricoler, l’innovation devient frugale, il n’y a pas d’idées stupides a priori. L’objectif est de concevoir des services innovants pour faciliter la prise de décision. Il est alors nécessaire de faire confiance à l’intelligence artificielle pour conduire à la solution.
Les meuniers de la donnée
Et pourtant, tous les modèles sont faux… mais certains sont utiles dit mon ami Jérémie Wainstain CEO de The Green Data qui aime à se définir comme un "meunier de la donnée". L’image parle d’elle-même, partir de la donnée pour savoir ce que l’on peut en faire est stupide. La commande faite à un meunier n’est pas d’utiliser des variétés de blé disponibles mais de fournir la meilleure farine au boulanger pour répondre aux besoins de ses clients. Ce qui importe, c’est le problème posé par l’agriculteur à ses conseillers, à la manière du boulanger d’abord préoccupé par le besoin du consommateur.
Le challenge des meuniers de la donnée est de fournir par les algorithmes, une farine donnant au conseiller le pain permettant à l’agriculteur de comprendre, de prédire, de recommander et finalement d’agir sur la bonne marche de son entreprise. Le conseiller de l’agriculteur pour devenir un bon boulanger devra être en capacité de déterminer ce dont a besoin son client pour commander au meunier de la donnée le bon algorithme. Il lui faudra également convaincre son client que cette nourriture nouvelle est meilleure, plus digeste et plus saine pour répondre à ses besoins.
La donnée offre l’opportunité d’une nourriture nouvelle pour les consommateurs de conseil. Elle a ses producteurs (très divers), ses organismes stockeurs (ils commencent à s’organiser), ses meuniers (nouveau métier fabriquant les algorithmes), ses boulangers (qui doivent révolutionner leur profession) et ses consommateurs (qui doivent se convaincre de faire confiance aux farines nouvelles). Les blés sont semés, le grain est même stocké, les meuniers sont prêts, le boulanger se prépare... ne reste plus qu’à se mettre à table.