Le soja gagne l’Ile-de-France
Le soja ne reste pas cantonné à ses bastions du sud de l’Hexagone. Sa surface en Ile-de-France a été multipliée par 10 en quatre ans. Témoignage chez des producteurs qui en ont fait une pièce maîtresse de leur assolement.
Il y avait déjà du soja voici vingt-cinq ans dans un petit coin d’Ile-de-France. À Rebais dans la Seine-et-Marne, Philippe Brayer était précurseur à l’époque pour l’implantation de cette culture. « Mais quelques années après, j’ai arrêté à cause des cours qui avaient chuté. » Les deux fils, Guillaume et Joseph, ont repris le flambeau de l’exploitation agricole… et du soja. L’espèce bénéficie d’un certain regain grâce à une filière qui s’organise pour soutenir sa culture.
« Le soja occupe 65 de nos 380 ha, précise Guillaume Brayer. C’est la troisième culture sur notre exploitation après le blé et l’orge d’hiver. Cela fait trois ans que nous avons repris cette culture. Nous cherchions un protéagineux pour nos rotations culturales pour les bénéfices apportés à la culture suivante, notamment sur la fourniture d’azote et la structuration du sol. Or, compte tenu d’importants problèmes de parasitisme, nous avons été contraints d’abandonner le pois et la féverole. » Selon Terres Inovia, l’apport d’azote est estimé entre 30 et 50 kg/ha, ce qui équivaut à un peu moins de 10 €/ha qu’il est possible d’économiser sur la culture suivante. « L’effet bénéfique sur le rendement d’un blé est de + 10 q/ha, et pour le maïs de + 5 q/ha », avance Bastien Remurier, ingénieur régional Terres Inovia.
Le soja s’est donc imposé de lui-même et l’arrivée chez les Brayer a été facilitée avec l’expérience déjà acquise par le père. « Le soja dégage une marge brute de 800 €/ha, ce qui le situe derrière les blés et maïs sur notre ferme. Les charges sont faibles, de l’ordre de 200 €/ha », se satisfont les frères Brayer.
Des sols à réserve utile élevée pour le soja
Particularité du soja, la légumineuse a besoin d’une bactérie symbiotique pour permettre l’assimilation de l’azote de l’air. « Nous inoculons les semences avec une souche de cette bactérie dans un godet mélangeur, juste avant le semis qui se déroule entre le 1er et le 15 mai », décrit Joseph Brayer. Le soja est peu touché par les bioagresseurs – un unique traitement herbicide suffit en temps normal – et aucun fertilisant ne lui est apporté.
En revanche, le soja est gourmand en eau. C’est une culture d’été à cycle court. Pour autant, il n’y a pas d’irrigation chez les Brayer. « Outre le fait qu’il ne faut pas de cailloux, nous réservons des parcelles à réserve hydrique importante pour cette espèce. Ce point est crucial pour la réussite du soja, appuie Joseph Brayer. Il faut lui éviter les terres séchantes ou drainantes. » Les Brayer en ont fait l’amère expérience en 2017 sur une parcelle en pente avec une terre très séchante. Le rendement n’y a été que de 12 q/ha. Mais en 2016, année au printemps très pluvieux où la Seine-et-Marne avait été touchée par des inondations, les agriculteurs ont obtenu 29 q/ha sur une parcelle qui n’avait pas été noyée.
Avec RGT Shouna, les frères Brayer ont choisi une variété de soja pour l’alimentation humaine. « Nous ne trouvons pas beaucoup de débouchés autrement que pour l’alimentation animale dont la rémunération est moindre, déplore Joseph Brayer. Nous collaborons avec le groupe Soufflet pour la vente de nos sojas. Il commence à y avoir un peu de prix mais c’est timide. » En 2017, la tonne de soja s’était vendue 324 €.
Mettre en valeur la production française non OGM
La charte Soja de France a été créée pour mettre en valeur la production française du soja non OGM, face aux importations provenant majoritairement du Brésil. « Je trouve que la démarche n’avance pas assez vite. Nous en espérons davantage de débouchés », souligne Joseph Brayer. La charte Soja de France doit assurer l’offre d’un produit certifié avec des engagements forts sur l’origine française, le caractère non OGM, la traçabilité et la durabilité sur les bonnes conditions de production. Du soja non OGM est importé du Canada et du Brésil. Selon Charlotte Canal, de Terres Univia, « la graine de soja est la plus riche et la plus équilibrée en protéines. Sa très bonne qualité nutritionnelle fait que les débouchés en France sont à 25-30 % pour l’alimentation humaine et le reste pour l’alimentation animale. Ce sont deux débouchés très demandeurs avec celui de l’alimentation humaine qui est en pleine expansion ».
Dans une région au tissu urbain dense et à la forte pression citoyenne, la filière du soja (Terres Univia) met en avant les atouts environnementaux de la légumineuse. En Seine-et-Marne, les surfaces sont passées de 30 ha à 340 ha en quatre ans. Les fabricants français seront-ils séduits par le soja local ? 2018 a connu un léger tassement de l’évolution des surfaces : 143 000 ha en France contre 140 000 en 2017. L’objectif de la démarche Soja de France est d’arriver à 250 000 ha d’ici 2025.
EN CHIFFRES
Deux fermes en Seine-et-Marne
380 ha dont 65 de soja, 100 d’orge d’hiver, 90 de blé tendre, 60 de maïs grain, betterave
Deux fermes avec deux structures : SCA Ferme de Godefroy et SCA Ferme de Boulivillers
Entre 20 et 37 q/ha de rendement depuis trois ans (37 q/ha en 2017 avec près de 900 € de marge brute)
Des semences certifiées livrées avec inoculation
La filière soja et plus particulièrement la charte Soja de France mettent en avant l’intérêt d’utiliser des semences certifiées de soja. Garanties de qualité en termes de pourcentage de levée, de normes sanitaires et de triage écartant les déchets tels les graines d’adventices (comme celles de xanthium), les stations de semences proposent un nouveau service avec la pré-inoculation en usine des semences. Pour l’agriculteur, c’est moins de manipulations tout en obtenant un délai d’utilisation rallongé pour semer les graines après leur inoculation.
Un soja à récolter avec grande délicatesse
La récolte est un des points délicats de la conduite du soja. « C’est d’ailleurs peut-être pour cette raison que pas plus d’agriculteurs s’y mettent. Chez nous, la récolte peut se dérouler en même temps que celle de maïs. La moissonneuse-batteuse nécessite des réglages spécifiques, ce qui prend de nombreuses heures », remarque Joseph Brayer. La difficulté réside dans le ramassage des gousses des étages inférieurs, ce qui demande une hauteur de coupe très basse, une vitesse modérée d’avancement de la moissonneuse-batteuse (4-5 km/h), un sol bien nivelé, sans caillou et bien sûr, tout cela hors conditions humides sur un sol porteur. Les plantes doivent être impérativement sèches au moment de la moisson, sous peine d’avoir des frais de séchages élevés sur les graines récoltées. Pour optimiser la récolte, les frères Brayer songent à un équipement spécifique de barre de coupe flexible. Mais le coût n’est pas anodin : de l’ordre de 70 000 €.