L’agroécologie façon agriculture de conservation des sols
Prônant le zéro travail du sol et sa couverture permanente, l’agriculture de conservation des sols (ACS) s’affiche comme le modèle agroécologique par excellence. Mais le recours au glyphosate, quasi indispensable, met en doute l’avenir du système.
Plus de vingt fermes ouvertes sur un long week-end pour témoigner de l’agriculture de conservation des sols (ACS) et un colloque se tenant au sein du ministère de l’Agriculture : portée par l’association Apad (1), l’ACS s’affiche comme l’innovation agroécologique de demain.
« L’ACS repose sur trois piliers, mentionne Christophe Naudin, agriculteur à Maisse, dans l’Essonne, l’arrêt de la perturbation des sols (zéro travail), la couverture permanente des sols et une rotation diversifiée. » L’ACS reprend les trois principes fondamentaux de l’agriculture de conservation prônée par la FAO (2). Cette orientation apporte des avantages d’ordre économique avant tout, avec des charges de mécanisation réduites. C’est souvent ce qui incite les agriculteurs à mettre le pied à l’étrier. « Installé comme aide familial avec mon père en 2007, j’ai recherché les moyens de réduire les coûts de l’exploitation agricole, explique Christophe Naudin. J’ai repris l’exploitation en 2013 et suis passé en ACS en 2014 avec l’achat d’un semoir de semis direct d’occasion venant de Grande-Bretagne pour 29 000 euros. J’estime avoir divisé par trois la consommation de carburant. Elle est de moins de 40 l/ha, moisson comprise, contre 100 à 120 l/ha en conduite avec labour. Les utilisations de phytos ont été réduites de 50 % en dix ans. L’utilisation des engrais a baissé également. » Cette réduction des charges compense les rendements un peu plus faibles que connaît l’agriculteur actuellement.
Une contribution à la réduction des gaz à effet de serre
À l’heure de l’agroécologie, l’agriculture de conservation des sols répond-elle aux enjeux environnementaux ? Chercheur à l’Inra de Toulouse, Jean-Pierre Sarthou a fait le tour de la question en recherchant des résultats d’expérimentations tous azimuts. « Par rapport à l’atténuation du changement climatique, l’ACS permet de stocker du carbone dans le sol, au moins dans l’horizon supérieur (0-30 cm) alors qu’un semis direct seul a parfois tendance à en déstocker. Ce sont les couverts végétaux et les résidus de cultures qui apportent ce carbone au sol. » Jean-Pierre Sarthou note que les émissions de gaz à effet de serre (CO2, méthane, protoxyde d’azote) sont réduites grâce à une activité améliorée de la microbiologie du sol. « Mais cela se voit seulement après quelques années d’ACS bien conduite », précise le spécialiste, en insistant sur l’importance de la couverture végétale permanente. Même constat avec la dépendance aux herbicides, « qui n’est pas plus importante qu’en agriculture conventionnelle et qui l’est même moins, parfois. » Le comportement du sol est amélioré dans sa dimension hydrologique grâce à une stabilité structurale meilleure des agrégats et à une porosité du sol permettant une bonne infiltration de l’eau. Le ruissellement de l’eau et l’érosion du sol s’en trouvent réduits avec l’ACS. « La capacité de réserve utile est plus importante en ACS car ce mode d’agriculture permet la création d’une mésoporosité qui rend l’eau davantage disponible dans le sol pour les plantes, explique Jean-Pierre Sarthou. Cette mésoporosité (pores de diamètres de 0,2 à 30 µm) est créée par la microfaune du sol et elle est favorisée par la matière organique. »
L’ACS ne s’adapte pas à toutes les situations
Un article dans la revue scientifique Nature a pointé du doigt une baisse de rendement avec l’ACS comparée à l’agriculture conventionnelle, chiffré à - 2,5 % en moyenne. « Mais les chiffres ont été contestés car, entre autres, les deux systèmes étaient comparés sur des dates de semis similaires, rapporte le chercheur. Or, l’ACS nécessite des semis plus précoces pour en optimiser les productions. Le rendement des productions en ACS augmente avec l’ancienneté du système et, en situation de stress hydrique, il est de + 7 % par rapport à l’agriculture conventionnelle. La bonne santé des plantes passe par des sols en bonne santé. »
L’ACS marque d’autant mieux sa différence que la ressource en eau est limitée. « Les rendements en ACS sont supérieurs à ceux de l’agriculture conventionnelle avec travail du sol dans l’Europe du Sud tandis qu’ils sont inférieurs en Europe du Nord. Plus il y a d’eau, plus le système est difficile à mettre en place. » L’ACS souffre de quelques travers du fait de son non-travail du sol. Localement, les campagnols peuvent occuper les parcelles et il faut compter sur la régulation naturelle pour les juguler. Il peut en être de même des limaces. Les plantes sarclées comme la betterave et la pomme de terre s’accommodent mal de l’ACS, de même que d’autres cultures comme le tournesol pour lequel ce mode d’agriculture demande des ajustements. Ce type d’agriculture n’est reprise que par quelques pourcents d’agriculteurs en France. L’ACS n’est pas la panacée, seulement une voie agroécologique parmi d’autres.
(1) Association pour la promotion d’une agriculture durable.(2) Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture.CHIFFRES CLES
Un cocktail d’espèces végétales chez Christophe Naudin
106 hectares cultivés en 2017-2018 : blé tendre (25-30 ha), orge de printemps (30), colza (15), maïs (10), tournesol, lin oléagineux, avoine nue, féverole, petit épeautre, pois chiche, seigle…
Semis précoce de colza le 6 août avec couvert associé de sarrasin, féverole, lin, fenugrec.
Une dizaine de jours de décalage pour le semis de blé avancé par rapport aux pratiques conventionnelles
Plus de dix espèces en couvert d’interculture (tournesol, sarrasin, moutarde, phacélie, féverole, seigle, vesce, sorgho, radis, lin…) semées 3 jours après la récolte du blé (le 15 juillet). Un semis d’orge de printemps en novembre est prévu ensuite.
La MAEC Sol ne prend pas
Une MAEC (1) Sol reprenant les principes de l’ACS a été mise en place dans certaines régions comme la Bretagne. « Alors que 5500 agriculteurs se sont engagés dans la MAEC système polyculture-élevage, la MAEC Sol n’a pas connu un grand succès », admet Olivier Allain, agriculteur adhérent de l’Apad et vice-président de la région Bretagne. La MAEC Sol se traduit par une liste de mesures contraignantes et compliquées à atteindre. Pour la prochaine PAC, Olivier Allain espère un second pilier important en moyens. « Pour amener à la transition, il faut une MAEC sur cinq ans avec un matelas financier suffisant, long et rassurant. Et il faudra travailler sur une MAEC Sol plus simple que celle d’aujourd’hui. »
(1) Mesure agroenvironnementale et climatique.« On ne sait pas faire sans glyphosate »
Sans glyphosate, difficile de faire de l’ACS. Christophe Naudin utilise l’herbicide avant certains semis (pas tous) à moins de 2 l/ha. La dose N d’homologation est trois fois supérieure. Le produit ne sert pas tant à détruire les couverts végétaux d’interculture que les adventices à fort risque, comme les graminées qui poussent sous le couvert. Cette utilisation du glyphosate à l’interculture permet de réduire la pression du désherbage chimique dans les cultures elles-mêmes. Pour Sarah Singla, agricultrice dans l’Aveyron, « on ne sait pas faire sans le glyphosate en ACS. Il peut y avoir trois années sans l’herbicide mais à l’échelle de la rotation, il est indispensable ». Les adeptes de l’ACS voient le glyphosate comme un outil parmi d’autres. « À cause de l’interdiction programmée du glyphosate dans quelques années, des agriculteurs n’osent pas franchir le pas de l’ACS », remarque-t-elle avec Benoît Lavier, président de l’Apad et agriculteur en Côte-d’Or.
À la recherche du remplaçant
Les couverts végétaux pourraient être utilisés pour étouffer les adventices avec augmentation de la densité de semis. Leur destruction ne pose pas trop de problèmes sans herbicide avec le gel, un rouleau, le semoir. Mais dans des conditions de temps sec comme l’on en connaît actuellement, le couvert ne peut accomplir efficacement ce rôle d’étouffement et le recours à un herbicide devient déterminant. Des partenariats avec les organismes de recherche se mettent en place. « Ce n’est probablement pas dans trois ans que l’on va trouver des solutions, note Benoît Lavier. L’Anses a publié un avis disant que dans les conditions d’utilisation du glyphosate en France, il n’y avait pas de risque. Pour nous, ce qui est fondamental, c’est de ne pas remettre en cause notre système fondé sur le non-travail du sol. La charrue est un moyen de gérer les adventices. Mais ce n’est pas un outil agroécologique. »