Ecophyto : pourquoi la baisse de l’usage des phytos se fait attendre
Malgré le plan Écophyto, la courbe de l’usage des phytos peine à amorcer sa décrue. Certains résultats sont toutefois encourageants.
Malgré le plan Écophyto, la courbe de l’usage des phytos peine à amorcer sa décrue. Certains résultats sont toutefois encourageants.
Les dernières statistiques publiées par le ministère de l’Agriculture en juillet en attestent : on ne peut guère parler de baisse de l’usage des produits phyto en agriculture. Malgré la volonté politique affichée par les derniers gouvernements successifs, incarnée dans le plan Écophyto, la décrue n’est pas encore au rendez-vous. Indicateur principal du plan Écophyto, le Nodu (nombre de doses unité, établi sur les données de ventes des produits) a augmenté entre 2009 et 2014, pour ensuite se stabiliser.
La hausse marquée des ventes en 2018 puis le net recul en 2019, sont de nature conjoncturelle : en 2018, la hausse s’explique par des achats anticipés de certains produits du fait d’une majoration de la redevance (RPD) programmée pour le 1er janvier 2019. La baisse en 2019 provient de la consommation des stocks accumulés en 2018, et des conditions culturales qui ont limité le développement de maladies et de ravageurs. Pour 2020, seules les données provisoires de QSA (quantité de substances actives) vendues sont disponibles. Elles montrent une remontée nette par rapport à 2019 (+ 23 %), sans retrouver les niveaux des années précédentes.
« La baisse de l’usage des phytos est une nécessité »
En dépit des millions d’euros de financement dans les formations et l’accompagnement d’agriculteurs (réseau fermes Dephy) vers la réduction des phytos, la baisse n’est pas là. Pourtant, « la réduction de l’usage des produits phytopharmaceutiques constitue une attente citoyenne forte et une nécessité pour préserver notre santé et la biodiversité », affirme le ministère.
Comment expliquer cette absence de résultats ? « La réduction des phytos est un objectif vers lequel on doit aller sans vouloir viser la suppression complète. Il faut trouver des solutions de substitution et cette réduction ne doit pas se faire au détriment de notre souveraineté alimentaire, souligne Éric Thirouin, président de l’AGPB. Nous devons garder des solutions pour soigner les plantes. Dans la recherche d’alternatives aux phytos, le Contrat de solutions qui regroupe 44 organisations en propose plus de cent, tous secteurs confondus. L’acquisition de ces solutions, comme les équipements de désherbage mécanique, nécessitent un accompagnement. »
Accompagner les changements de pratiques
Éric Thirouin observe par ailleurs que « de plus en plus d’agriculteurs entrent dans des démarches de certification environnementale incluant des objectifs de réduction des IFT, avec un accompagnement aux changements de pratiques. Ce n’est pas la suppression des phytos qu’il faut viser mais leur utilisation à bon escient ».
Le constat est plus cinglant chez France Nature Environnement. « Le résultat est très décevant après plus de dix ans d’Écophyto, affirme Claudine Joly, la référente pesticides FNE qui a participé à l’élaboration du plan Écophyto. Pour les plus radicaux d’entre nous, la seule solution pour ne pas avoir d’impact sanitaire et environnemental est de sortir complètement des pesticides. À ce rythme, on en est loin. »
Selon la spécialiste, « on n’utilise pas les outils à disposition pour inciter les agriculteurs à réduire les pesticides. Par exemple, dans les aires d’alimentation de captage, des objectifs de réduction de produits sont fixés. S’ils ne sont pas atteints au bout de trois ans, le préfet peut utiliser un outil réglementaire pour restreindre certains usages. Dans les faits, ces mesures ne sont pas prises. » Autre aberration à ses yeux : « les MAEC avec des objectifs de réduction simplement partielle de ces produits de synthèse rémunèrent mieux les agriculteurs que les aides à la conversion au bio, qui est pourtant la vraie solution pour la réduction des phytos ».
Substance qui focalise l’attention, le glyphosate symbolise ce statu quo. Ce produit, dont le gouvernement avait annoncé le retrait total en 2023, est toujours très utilisé. Si une chute de la QSA (et du Nodu) avait été enregistrée en 2019, à l’instar des autres produits, sa remontée en 2020 (+ 42 %) est plus forte que l’ensemble des molécules phyto (+ 23 %).
Net recul pour les produits les plus dangereux
Un élément positif se dégage toutefois : la baisse de l’utilisation des produits, les plus problématiques, dits CMR (cancérigènes, mutagènes et toxiques pour la reproduction). Les Nodu usages agricoles associés à des CMR diminuent depuis 2009 (- 73 % pour les CMR1, les plus dangereux, et - 28 % pour les CMR2). La part de ces produits dans le Nodu « usages agricoles » est passée de plus de 10 % en 2009 à moins de 5 % en 2019 pour les CMR1.
« Cette diminution devrait s’accentuer avec l’interdiction de la commercialisation de produits contenant du mancozèbe, principale substance CMR1 en Nodu, à compter de juillet 2021 », signale le ministère de l’agriculture. Ces baisses de produits CMR découlent notamment du retrait, au niveau européen, des autorisations pour les substances actives considérées comme les plus préoccupantes. La forte progression de l’usage des produits de biocontrôle dans certaines filières depuis 2017 (avec des ventes passées de 10 millions de tonnes en 2010 à 21 millions de tonnes en 2020) est un autre facteur encourageant.
Au vu de l’évolution de la consommation de phytos, est-on dans l’impasse ? « Interpréter le plan Écophyto à la seule mesure de la consommation des pesticides serait dangereux, nuance Christian Huyghe, directeur scientifique Agriculture d’Inrae. Cela supposerait une synchronie totale entre ce qui est mis en route pour faire bouger les agriculteurs, l’élaboration de nouvelles techniques et les réponses des acteurs. »
Pour le scientifique, il y a des éléments d’optimisme. « Il n’y a jamais eu autant d’efforts de la part de la génétique, les outils d’aide à la décision intègrent désormais la résistance des variétés aux maladies, les investissements dans le biocontrôle sont très significatifs, les agroéquipements évoluent... », énumère Christian Huyghe. A cela s’ajoute aussi les fermes Dephy, qui déploient des solutions grandeur nature.
« Se passer des phytos impose de repenser le système »
Le chercheur d’Inrae met en garde contre le mirage de la substitution. « Le système s’est construit autour des phytos. Cela marchait extrêmement bien, mais ce n’est désormais plus tenable en raison des impacts sanitaires et environnementaux. Ces produits, très efficaces, on ne pourra pas les remplacer par une solution unique. Il faudra combiner différents leviers en repensant le système, de l’agriculture à l’alimentation. La recherche travaille à recréer les conditions de régulations biologiques pour faire baisser la pression des ravageurs. »
Selon lui, le programme de recherche pour trouver des solutions en betteraves pour l’après néonicotinoïdes (NNI) en est une illustration. « L’idée s’impose que l’on n’aura plus les NNI après 2023. Or, ni la génétique ni le machinisme seuls ne donneront le même résultat. Il faudra combiner des leviers. Et au-delà de la technique, il s’agit aussi de construire un nouveau modèle économique de filière. Sans oublier de gérer les éventuelles distorsions de concurrence entre les différents pays. »
Jean-Noël Aubertot, directeur de recherche à Inrae et président du Comité scientifique et technique d’Ecophyto, est également convaincu de la nécessité d’une reconception des systèmes agroalimentaires pour réduire l’usage des pesticides. Et cela devra dépasser l’échelle de l’exploitation agricole. « Le plan Ecophyto vise principalement l’agriculteur, mais il a été trop timide sur d’autres acteurs. Il faudra toucher l’ensemble des maillons des filières, estime le chercheur. Si l’on interdisait les phytos toutes choses égales par ailleurs, on irait dans le mur. Cela passe par des changements dans la valorisation des produits agricoles, la réglementation, mais aussi par un questionnement sur les prix de vente. On ne peut faire porter le coût économique de ce changement sociétal aux seuls agriculteurs. »
Une dimension internationale incontournable
Difficile de mettre en place une telle évolution dans un cadre franco-français. « Si on veut que ces transitions s’accélèrent, il faut absolument qu’elles soient portées au niveau européen et international, a affirmé le ministre de l’Agriculture Julien Denormandie dans un entretien donné à Réussir en septembre. Ajoutant : « interdire purement et simplement les pesticides est un non-sens environnemental. Il faut réduire là où c’est possible sans laisser d’impasse, car l’impasse amène à davantage d’importations ».
Les QSA et Nodu, indicateurs clés du plan Écophyto
Les volumes de ventes annuels de produits phyto sont enregistrés par la Banque nationale de ventes par les distributeurs (BNVD). Les quantités de substances actives (QSA) sont définies pour chaque produit : on peut donc en calculer les totaux chaque année. Mais la QSA d’un pesticide à l’hectare peut fortement varier d’un produit à l’autre pour un même usage. Pour mieux apprécier l’intensité d’utilisation des produits phyto, le Nodu (Nombre de doses unité) a été créé. Il rapporte la quantité vendue de chaque substance à une « dose unité ». Le Nodu est exprimé en surface : celle qui serait traitée annuellement aux doses maximales homologuées sur la base des quantités vendues. Il était de 78 millions d’hectares (Mha) en 2019 contre 126 Mha en 2018. Rapporté à la surface agricole utile, on peut en déduire que le nombre de traitements appliqués à pleine dose sur un hectare est de 4,1 en 2019 contre 6,5 en 2018.
Pesticides et santé : des liens confirmés
Dans son expertise collective mise à jour en juin dernier, les experts de l’Inserm affirment que « la confirmation et la mise en évidence de présomptions fortes de liens entre certaines pathologies et l’exposition aux pesticides doivent orienter les actions publiques vers une meilleure protection des populations ». La synthèse souligne que « l’expertise confirme la présomption forte d’un lien entre l’exposition aux pesticides et six pathologies » dans un cadre professionnel, dont le cancer de la prostate, les lymphomes non hodgkiniens ou la maladie de Parkinson. Les scientifiques pointent notamment du doigt les organophosphorés et les pyréthrinoïdes (insecticides), et appellent à mieux étudier l’impact des fongicides.