Les prix de blé français sous l'influence du marché mondial
Le prix du blé payé aux producteurs français est étroitement corrélé aux prix mondiaux, eux-mêmes résultant de la rencontre entre l’offre et la demande à l’échelle planétaire.
Le prix du blé payé aux producteurs français est étroitement corrélé aux prix mondiaux, eux-mêmes résultant de la rencontre entre l’offre et la demande à l’échelle planétaire.
Donnez-moi le cours du blé russe, je vous dirai à quel prix sera payé votre blé. L’image est à peine caricaturale, tant la corrélation est étroite entre les prix portuaires du blé des principales origines mondiales et le prix ferme moyen payé aux producteurs français. Autrement dit : le prix du blé tendre FOB(1) Rouen est intimement lié à celui du FOB russe ainsi qu'aux autres grandes origines, et le prix ferme payé aux céréaliers de l’Hexagone est directement dérivé de ces derniers. « Cela n’a rien d’étonnant, explique Anne-Laure Paumier, directrice de Coop de France Métiers du grain. Quel que soit le débouché sur lequel les grains sont expédiés, le prix tient compte du prix du marché mondial. » Une analyse confirmée par Antoine Grasser, responsable du pôle Grain de la coopérative Natup : « Aujourd’hui, les prix portuaires se construisent sur la base du rapport de l’offre et de la demande à l’échelle mondiale. Et ce sont ces prix qui influencent le Matif, sur lequel est indexée la très grande majorité des transactions de blé en France et en Europe. »
« Aucune région française n’est épargnée par le marché mondial »
Ainsi, le marché intérieur est lui-même sous l’influence directe de ces cours mondiaux, et donc des perspectives de bonnes récoltes en Russie ou des conditions météorologiques défavorables sur les plaines à blé états-uniennes. Du fait de la transparence des marchés (notamment via les marchés à terme) et de la mondialisation libre-échangiste, la porosité des marchés européens aux prix des autres compétiteurs est totale. « Aucune région française n’est épargnée par le marché mondial, assure Jean Simon, directeur général chez Atlantique Céréales, structure fédérant une quarantaine de négoces agricoles de l’ouest de la France. Autour de Paris, les prix sont indexés sur Rouen, dans le Sud-Ouest, sur le marché espagnol, lui-même ouvert aux blés de la mer Noire et de la Baltique. En Rhône-Alpes, les prix sont conditionnés par le marché italien, qui n’hésite pas à s’approvisionner en Ukraine… »
Cela ne signifie pas pour autant que le prix payé à la ferme est le même si le blé part à l’export ou bien s’il va alimenter le meunier voisin ou l’industrie nationale. « Les opérateurs favorisent les marchés de proximité en priorité, explique Anne-Laure Paumier. Il y a également des valorisations spécifiques pour certains débouchés, associées à des exigences particulières du cahier des charges. Il y a donc un prix de référence, auquel s’ajoutent, selon les cas, des primes dépendant de la qualité et de la traçabilité. »
Indispensable compétitivité pour ne pas décrocher
Cette perméabilité du marché français aux prix mondiaux est-elle liée à la nécessité structurelle d’exporter ? Certes, les deux phénomènes sont en partie liés. « Les organismes stockeurs ont la contrainte de devoir vider les silos avant la nouvelle récolte pour limiter les stocks de report. Et pour vider les silos, c’est une question de prix, reconnaît Jean Simon. Le bilan français nécessite d’exporter, et pour cela il faut être compétitif. » Il est ainsi impossible pour le blé français de se déconnecter durablement du prix de ses concurrents sur le marché mondial, à commencer par les pays de la mer Noire. Cette situation se traduit par un « marquage à la culotte » entre les principales origines exportatrices. Se laisser décrocher en termes de compétitivité se paie bien souvent, tôt ou tard, comme cela s’est encore vérifié au cours de la campagne 2018-2019. Suite à la hausse des prix français pendant l’été et l’automne 2018, le blé tricolore a vu ses chargements se réduire comme peau de chagrin à partir de septembre, à l’exception des expéditions vers l’Algérie. Cela s’est traduit par une forte baisse des prix tricolores à partir du début de l’année 2019 — renforcée par les excellentes perspectives pour la récolte mondiale à venir — permettant un redémarrage très actif des exportations en mars.
Pour autant, cette transmission du prix mondial aux marchés européen et français est avant tout le fruit de décisions politiques (voir encadré), et ne relève pas uniquement de la logique export. « Je suis persuadé que, même si l’on produisait beaucoup moins, l’influence sur les prix serait minime, affirme Jean-François Lepy, chez Soufflet Négoce. Même si l’on ne subvenait qu’aux besoins nationaux, la hausse du prix serait marginale car le fait de ne pas être compétitif face aux concurrents internationaux se traduirait par des importations. Regardez ce qui se passe en maïs. » Thierry Pouch, chef du service Économie de l’APCA(2), en est lui aussi convaincu. Selon le spécialiste, « cette année par exemple, il est probable que les prix français seraient bas de toute façon, même si l’on n’avait pas à exporter, vu l’ampleur de la production mondiale ».
(2) APCA : Assemblée permanente des chambres d’agriculture.
« Cette année, il est probable que les prix français seraient bas de toute façon, même si l’on n’avait pas à exporter, vu l’ampleur de la production mondiale »
Thierry Pouch, chef du service Économie de l’APCA
Une perméabilité aux prix mondiaux très politique
Et si l’exposition des agriculteurs français aux prix mondiaux était avant tout politique ? « Le problème des prix, c’est que la PAC a stoppé les mécanismes des subventions directes à la production et de l’intervention, analyse Antoine Grasser, du groupe coopératif Natup. À l’époque de l’intervention, ce système soutenait les prix. Désormais, nos prix FOB sont confrontés aux prix mondiaux : on laisse au marché le soin de réguler l’équilibre offre/demande par les prix. » Un point de vue partagé par Thierry Pouch, chef du service Économie de l’APCA. « Les prix français et européens ont longtemps été déconnectés du marché mondial du fait de la PAC, rappelle-t-il. C’est même ce que l’on nous a reproché et c’est pourquoi la PAC a été réformée, avec notamment des restitutions tombées à zéro. Cela a été une décision politique que d’inciter les agriculteurs à répondre aux signaux du marché. » L’objectif est bel et bien atteint, mais avec quelles conséquences ? « Cela a conduit à une situation où il n’est pas surprenant que les agriculteurs français soient confrontés à des cours qu’ils ne maîtrisent pas », estime Thierry Pouch. Des cours bien souvent mis sous pression par les pays de la mer Noire, dont les coûts de production sont bien inférieurs à ceux des céréaliers français.