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Marchés : l'export, indispensable débouché du blé tendre français

La France doit exporter chaque année près de la moitié de sa production de blé tendre pour ne pas accumuler des stocks insupportables pour la filière. Cette dépendance impose de ne plus considérer l’exportation comme un simple exutoire, mais comme un marché à part entière.

L'exportation est un débouché incontournable pour l'équilibre du bilan de blé français.
© Julie Pertriaux / L'Agriculteur normand

Difficile de parler de variable d’ajustement : avec environ la moitié de la production française de blé tendre expédiée hors de nos frontières chaque année, l’exportation est un marché stratégique pour la filière céréalière. On peine aujourd’hui à imaginer que la France a longtemps dépendu des importations de blé pour alimenter sa demande intérieure. Entre les deux guerres, la consommation française reposait notamment sur les importations en provenance d’Afrique du Nord. Puis, après la seconde guerre mondiale, il a fallu attendre le début des années 70 pour atteindre l’autosuffisance céréalière.

Le risque de pénurie semble maintenant bien loin, et la principale menace pour le bilan de blé tricolore est désormais l’embonpoint : l’origine française est en effet condamnée à être compétitive sur le grand échiquier mondial pour ne pas finir avec des stocks littéralement insupportables. Sur ces six dernières années, les exportations françaises de blé tendre ont oscillé entre 17 millions de tonnes (Mt) et 20 Mt, toutes destinations confondues. Seule exception : les 11 Mt enregistrées en 2016-2017, dont 5 Mt vers pays tiers, conséquence d’une récolte historiquement basse et d’une qualité en berne à cause de Dame Nature. Mais, même cette année-là, l’export a représenté 40 % de la production.

Comparer les volumes dédiés à l’export avec la consommation domestique donne immédiatement une idée des enjeux. Ces six dernières années, les fabricants d’aliments du bétail français ont consommé 4,5 à 5,5 Mt de blé tendre. La consommation humaine et industrielle est plus stable, légèrement en dessous de 5 Mt pour la meunerie/malterie, autour de 2,8 Mt pour l’amidonnerie et de 1,6 Mt pour les transformations en alcool (bioéthanol compris).

Des exportations supérieures à la consommation domestique

Au total, les différents débouchés domestiques absorbent 14 à 16 Mt selon les années (hors consommation à la ferme). Au plus haut, la part de la collecte transformée dans l’Hexagone est donc inférieure à la fourchette basse des exportations (si l’on exclut l’accident de 2016-2017). Et cela risque de ne pas s’arranger, car la consommation humaine et industrielle ne donne aucun signe de croissance. C’est même plutôt un essoufflement que l’on observe, notamment pour l’export de farine (qui a une incidence sur des volumes de grains écrasés par les meuniers français) : avec la montée en puissance de nouveaux moulins dans des pays historiquement importateurs de farine française (comme l’Angola), les exportations de farine vers les pays tiers ont chuté à moins de 70 000 tonnes au cours des deux précédentes campagnes, contre près de 400 000 tonnes il y a cinq ans.

Cette « vocation exportatrice » confère à la France une place importante dans la poignée de pays qui alimentent le marché mondial. « C’est plutôt un atout pour la France d’avoir cette structuration forte à l’export, avec la possibilité de dégainer pour exporter dès que l’on en a l’opportunité, estime Antoine Grasser, responsable du pôle Grain au sein du groupe coopératif Natup issu de la fusion de Cap Seine et d'Interface, qui collecte dans l’hinterland de Rouen. Cela est notamment rendu possible par l’importante capacité de stockage française héritée du système de l’intervention, époque où l’Europe soutenait son agriculture. » En plus de ces possibilités d’entreposage, la France jouit de vraies compétences logistiques, et n’a pas à rougir dans ce domaine face à de nombreux autres pays. Du champ au silo portuaire, c’est une filière complexe, impliquant de nombreux acteurs, qui s’est mise en place pour répondre aux impératifs de l’export. Outre l’efficacité logistique, ce débouché nécessite un vrai savoir-faire en termes de travail et de tri du grain.

Un « gros tas de blé » pour l’export

L’exportation a longtemps traîné l’image d’un « exutoire » vers lequel partait le blé meunier de qualité médiocre, une fois les bons blés partis vers la meunerie intérieure, mais les choses ont évolué. « Il y a dix ans, la filière se posait moins de questions, on présentait le tas de blé français avec ses caractéristiques qualitatives moyennes », admet Jean-François Lepy, directeur général de Soufflet Négoce. L’export implique une massification des flux. Répondre à certains appels d’offres nécessite de charger des bateaux Handysize (30 000 à 40 000 t), voire, pour l’Égypte, des Panamax (60 000 t). Ce qui fait dire à un opérateur qu’« à l’export, on travaille des volumes avec peu de valeur ajoutée, celle-ci se trouvant sur le marché intérieur ».

Toutefois, cette image d’un gros tas de blé destiné à l’export, caractérisé par des valeurs moyennes, est de moins en moins vraie. Chaque pays importateur a ses propres exigences qualitatives qui n’ont cessé de s’affiner, avec des approches et un degré de liberté différents selon que le marché local est majoritairement organisé par des opérateurs privés ou par un organisme public. La possibilité pour les acheteurs de diversifier les origines du fait de la montée en puissance de nouveaux compétiteurs n’a fait qu’accélérer ce processus. « Il est désormais convenu que nous réalisions des ventes FOB sur la base de spécifications de 78/250/11,5/14,5 (respectivement : le poids spécifique, le temps de chute de Hagberg, la protéine et l’humidité, NDLR) et non sur le standard de 76/220/11 du marché intérieur français, explique Antoine Grasser, chez Natup. Et lorsque nous livrons pour Cuba par exemple, c’est avec une exigence de force boulangère de 210 minimum. »

La dépendance mutuelle avec l’Algérie

La segmentation des marchés export est déjà une réalité. Parmi les exportations françaises, il faut en premier lieu distinguer celles destinées à l’Union européenne et celles fléchées vers les pays tiers. L’organisation de l’export vers les pays tiers a longtemps été influencée par la prépondérance du débouché algérien. Conséquence à la fois d’une « longue histoire commune », de la proximité géographique des deux pays et d’une adéquation entre la qualité exigée par l’Algérie et celle affichée par le blé français, l’Algérie et la France ont noué une dépendance mutuelle. L’Algérie couvre ainsi habituellement entre 50 % et 80 % de ses besoins avec l’origine France, tandis que le débouché algérien représente entre un tiers et la moitié des exportations françaises vers les pays tiers. Cette relation structure largement le positionnement du blé français. « C’est un peu le dilemme algérien, explique Jean-François Lepy, de Soufflet. L’Algérie paie un peu plus cher ses céréales du fait qu’elle refuse le blé mer Noire, et cela conduit parfois le blé français à être trop cher sur les autres destinations, où il est en concurrence avec les blés russes ou ukrainiens. »

Au-delà de l’Algérie, l’Afrique constitue le principal débouché pour les blés français hors de l’UE. Les ventes vers les Amérique ou vers l’Asie sont beaucoup plus occasionnelles (à l’exception de Cuba, acheteur régulier de blé français depuis plusieurs années). Et même vers l’Afrique, les exportations tricolores sont loin d’avoir partout la même régularité qu’à destination de l’Algérie. Sur le Maroc, par exemple, les expéditions ont varié de moins d'1 Mt à 2,5 Mt depuis 2013-2014. Le constat est encore plus flagrant sur l’Égypte, débouché sur lequel la France est parfois totalement absente (60 000 t en 2017-2018), ou peut charger plus de 2 Mt (en 2014-2015). « Dans les faits, on entend encore des opérateurs expliquer certaines années qu’il n’y aura pas besoin de faire d’Égypte car cela n’est pas nécessaire pour le bilan », raconte un bon connaisseur du secteur. Vous avez dit variable d’ajustement ?

UE ou pays tiers, des approches différentes de l’export

L’export vers l’UE s’approche des conditions de commercialisation du marché français, et dépend fortement de la demande animale. Le contexte est très différent pour les exportations extracommunautaires.

L’approche de l’export n’est pas la même si l’on considère les expéditions vers l’Union européenne ou les ventes à destination des pays tiers. Dans le premier cas, les conditions sont proches de celles qui prévalent sur le marché français (libre circulation des marchandises, cahier des charges affichant de nombreux points communs…). Par ailleurs, les exportations au sein de l’UE dépendent fortement de la compétitivité entre le blé et les autres céréales en alimentation animale. Les années où le blé est très attractif face au maïs et à l’orge, le potentiel d’export de la France s’en trouve accru (notamment vers l’Espagne et le Nord UE), à condition d’être compétitif face aux autres blés de l’UE. La concurrence est ainsi parfois rude à destination des fabricants d’aliments du sud de l’UE (face aux blés roumains et bulgares).

À l’inverse, l’export de blé tendre sur pays tiers est destiné quasi exclusivement à l’alimentation humaine. La performance tricolore repose donc sur la qualité de la récolte française, et sur la compétitivité face aux autres blés, notamment de la mer Noire. Au début des années 2000, l’export extracommunautaire a monté en puissance et a dépassé les volumes en partance pour l’UE. Mais, en 2016-2017 et en 2017-2018, ce sont les ventes intracommunautaires qui ont repris le dessus du fait du recul des exportations sur l’Afrique du Nord et l’Afrique subsaharienne.

Une poignée de structures impliquées dans l’export en France

À côté des grandes maisons internationales de courtage (ADM, Cargill, Bunge, Louis Dreyfus), le nombre d’opérateurs français impliqués dans l’export vers pays tiers est très restreint. Soufflet Négoce occupe une position centrale, tandis que les groupes coopératifs In Vivo et Granit (dépendant d’Axéréal), ont vu leur activité reculer ces dernières années. D’autres acteurs français sont bien ancrés dans la filière export, tels que la CAM, Lecureur (associé à la Scael) ou encore le groupe BZ (ex-Beuzelin).

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