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Des agriculteurs au chevet des abeilles sauvages

Sur le nord de la Charente, une étude initiée par la coopérative Océalia sur les abeilles sauvages a débouché sur la plantation de haies mais aussi des rencontres avec les agriculteurs autour de la biodiversité utile.

Il n’y a pas que l’abeille domestique à assurer la pollinisation de cultures entomophiles comme le colza et le tournesol. Des bourdons et abeilles sauvages remplissent aussi ce rôle et il y en a près d’un millier d’espèces en France. Leur présence est pour le moins méconnue dans les campagnes. C’est pour cette raison que la coopérative Océalia a eu l’idée originale de montrer le niveau de présence de cet indicateur de biodiversité au travers d’une étude où huit exploitations agricoles ont collaboré. « Sur une zone de 20 000 hectares dans le nord de la Charente, nous avons implanté 65 nichoirs à abeilles en 2016 et 102 en 2017. Ces nichoirs constitués chacun de 32 petits tubes en carton (loges) ont été occupés quasiment à 100 % sur les deux années avec un remplissage moyen des loges à 30-40 % », note Maud Jatiault, de la coopérative Océalia.

Contrairement à leurs cousines domestiques vivant en société, les abeilles sauvages sont à 90 % des espèces solitaires qui font leurs nids dans des cavités ou dans le sol. On peut détecter leur présence dans des trous qui sont refermés par des opercules une fois que les insectes y ont pondu un œuf qui deviendra une larve. Des études (1) ont montré que l’efficacité pollinisatrice des abeilles sauvages est plus élevée que celle des abeilles mellifères. Mais elles peuvent être plus rares dans les milieux agricoles. L’idéal est d’avoir les deux types de pollinisateurs dont les activités se complètent pour obtenir une pollinisation optimale des cultures.

Un projet de remembrement écologique avec plantation de haies

« Outre leur forte présence qui était bien prouvée par notre étude, nous avons mesuré que ces espèces marquaient leur présence plus particulièrement en juillet et en août pour quasiment disparaître ensuite. D’autre part, les nichoirs proches des surfaces boisées possèdent une colonisation plus importante tant en nombre qu’en diversité d’abeilles. Les habitats semi-naturels et naturels leur sont indispensables », analyse Maud Jatiault. Cette étude s’est faite sur la base d’un protocole scientifique (voir encadré). « Un objectif de l’étude et des agriculteurs qui y ont participé était de mettre en place un projet de remembrement écologique dans le but de pourvoir aux besoins alimentaires des pollinisateurs et autres auxiliaires de cultures », mentionne Benoît Chorro, du service agronomique d’Océalia.

En cette fin de février 2019 aux airs de printemps, Jean-Luc Lassoudière, agriculteur à Saint-Fraigne, est en train de planter une haie avec certains de ses salariés : 150 mètres en bordure nord d’une parcelle. « L’ombre projetée est faible sur la culture et n’a donc pas d’incidence négative. Mais l’effet brise-vent peut en revanche avoir un effet bénéfique pour la production végétale », explique l’agriculteur en devançant toute question sur les embêtements d’une haie dans un contexte de grandes cultures. Les quelque 150 mètres de plantation s’ajoutent à plusieurs kilomètres de haies de présence historique ou plantées récemment à la SCEA du Champ du Frêne sur la commune de Saint-Fraigne en Charente.

Une grande diversité d’essences dans les haies

Quatre autres agriculteurs ont emboîté le pas, puisque entre 3 et 4 kilomètres de haies ont été plantées récemment, suite à l’étude sur les abeilles sauvages. Au-delà de l’effet positif escompté sur les insectes pollinisateurs, les haies embellissent le paysage. « Elles apportent un équilibre sur le territoire entre les parcelles agricoles. Cela amène du bien-être, de l’oxygène quand l’on se déplace dans la campagne comme quand l’on écoute de la musique », ressent Jean-Luc Lassoudière. L’agriculteur a choisi une grande diversité d’essences pour ses plantations pour créer des strates hautes et basses apportant une harmonie globale et une ressource trophique dans la durée pour les oiseaux, insectes… « Des chênes, des érables champêtres, des merisiers constituent la strate haute des haies. J’implante également des noisetiers qui produisent des chatons (et du pollen, source de protéine) dès l’hiver, des arbres fruitiers (pruniers, poiriers, pommiers sauvages), du sorbier, du noyer, de l’églantier, du cormier… », énumère Jean-Luc Lassoudière en lisant les étiquettes des jeunes arbres qu’il vient de planter. Pour le moment, aucune utilisation n’est prévue des arbres et arbustes de ces haies, sinon de produire de la biodiversité utile à l’agriculture.

« Les éléments semi-naturels du paysage sont d’une importance cruciale à la fois pour les abeilles domestiques et les espèces sauvages. Elles trouvent dans cette flore une alimentation diversifiée qui leur permet de combler l’ensemble de leurs besoins nutritionnels. Dans ce contexte, les haies se montrent d’autant plus intéressantes qu’elles contiennent différentes strates arborées et le maximum d’espèces différentes pour diversifier les sortes de pollen offertes, expliquent Benoît Chorro et Maud Jatiault. En outre, il faut que cette flore variée le soit tout au long de la saison. » Domestiques ou sauvages, les abeilles sauront en tirer profit.

(1) Lire ouvrage Les abeilles, des ouvrières agricoles à protéger, éditions Acta et France Agricole.

EN CHIFFRES

Beaucoup d’arbres à la SCEA le Champ du Frêne

2 associés, Jean-Luc Lassoudière et Hélène Audouin-Lassoudière ; 4 salariés

240 ha de cultures dont 80 irrigables (maïs et cultures porte-graines), 30 de vigne (27 pour le cognac), le reste en blé tendre, colza, tournesol…

+ 10 km de linéaire de haie et lisières de bois dont près de 4 km plantés depuis 1995 (1 km en 2013)

• Membre du réseau Dephy Ecophyto Océalia depuis 2011.

Plantations subventionnées et journées de rencontres

La fondation Lisea biodiversité

a apporté un financement à l’étude sur les abeilles sauvages, initiée en 2015-2016 avec un apport de 10 000 euros. Elle soutient des projets de préservation et de restauration du patrimoine naturel en compensation de la ligne à grande vitesse créée entre Tours et Bordeaux. Lisea est la société privée concessionnaire de cette LGV.

Pour la plantation de haies,

il a été fait appel à Prom’Haies en Nouvelle Aquitaine. Cette association accompagne les agriculteurs dans leurs projets de plantation de haies en subventionnant 80 % du coût des plants et des protections gibier. Restent à la charge du planteur, le diagnostic technique (120 euros), 20 % du coût des arbres et protections, le paillage, les travaux du sol et de plantation, l’adhésion à Prom’Haies (35 euros pour les structures agricoles).

Un festival s’est tenu sur le thème de l’agroécologie

à Empuré en 2017 et 2018, le festival d’essaims Anim’Haies, en référence à celui mondialement connu de la bande dessinée à Angoulême, préfecture de la Charente. Par ailleurs, Océalia a organisé des réunions de rencontres entre agriculteurs et apiculteurs, pour « briser la glace » sur les relations parfois tendues entre les deux professions. Avec les pionniers du réseau Dephy, des actions sont en cours avec des groupes de fermes 30000 pour prôner les pratiques agroécologiques.

Un observatoire agricole de la biodiversité

Sous la houlette notamment du Muséum national d’histoire naturelle, les démarches de science participatives sur la nature se multiplient dans l’hexagone et l’observatoire agricole de la biodiversité (OAB) en est une. Les agriculteurs y sont acteurs avec des organisations agricoles comme les chambres d’agriculture, des coopératives… Quatre types d’animaux sont suivis avec l’OAB : les papillons de jour, les invertébrés terrestres, les vers de terre et les abeilles sauvages. Ce sont ces dernières qui rencontrent le plus de succès avec, en 2017, 366 parcelles agricoles suivies. L’OAB a comme objectifs de mesurer l’impact des pratiques agricoles et des aménagements sur ces animaux. Ainsi, on remarque que les haies associées à des bandes enherbées sont particulièrement favorables aux abeilles sauvages.

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