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Labour : des spécialistes font le point sur le vrai du faux concernant cette pratique

Des spécialistes français se prêtent à l'exercice du vrai/faux concernant la pratique du labour : des défauts certes sur le plan agronomique et économique, mais des qualités qui peuvent faire pencher la balance sur l’utilisation de la charrue.

Un sol labouré ne contient pas moins de carbone qu'un sol conduit en non labour sur un profil de 0-30 centimètres. © V. Marmuse
Un sol labouré ne contient pas moins de carbone qu'un sol conduit en non labour sur un profil de 0-30 centimètres.
© V. Marmuse

Le labour déstocke le carbone du sol

FAUX. Le déstockage du carbone du sol est une des principales idées reçues à l’encontre du labour. À une époque où l’augmentation des gaz à effet de serre (GES) est au cœur de l’actualité climatique, les tenants de l’ACS (agriculture de conservation des sols) comme l’Apad mettent en avant « l’augmentation de la séquestration de carbone et la diminution des émissions de gaz à effet de serre » avec des techniques de non labour. Mais il n’y a pas de différence fondamentale entre les différents modes de préparation du sol si l’on considère le profil du sol exploré par les racines.

Sur la station d’expérimentation de Boigneville d'Arvalis, un essai « travail du sol » a été suivi pendant 47 ans, avec la comparaison de trois techniques : le labour annuel, le travail superficiel et le semis direct. « Le labour dilue les éléments du sol tel le carbone (matière organique) sur la profondeur du travail du sol tandis que le non labour concentre ces éléments en surface avec un accroissement dans le temps et une diminution en profondeur, constate Jérôme Labreuche, expert en agronomie chez Arvalis. En 2017 à l’issue des 47 ans d’essais, le carbone par hectare cumulé sur l’épaisseur de la couche labourée ne présentait aucune différence significative entre les trois modalités de travail du sol. »

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Alors pourquoi entend-on encore que le labour a un effet négatif sur le stockage de carbone ? « On disait cela il y a plusieurs années car la comparaison des résultats entre expérimentations de semis direct et de labour ne prenait pas en compte suffisamment de profondeur du sol, à savoir sur plus de 20 centimètres, ni la densité qui est plus importante en semis direct, souligne Fabien Ferchaud, de l’unité Agro-Impact à l’Inrae de Laon. La prise en compte de ces paramètres au travers d’une méta-analyse montre une différence faible de stockage de carbone entre labour et non labour. » 

D’ailleurs, une étude récente de l’Inrae conclut que le semis direct n’est pas une pratique intéressante pour stocker du carbone dans le sol. « La technique augmente le stockage additionnel dans l’horizon de surface mais cet effet n’est plus perceptible lorsqu’on considère la totalité du profil du sol », lit-on dans les conclusions de l’étude livrée le 13 juin 2019 sur le potentiel de stockage de carbone dans les sols en France. Un semis direct peut permettre un stockage de carbone important quand il est associé à un couvert végétal permanent utilisé dans ce système qui amène une entrée élevée de carbone au sol. Ce n’est pas le non travail du sol proprement dit qui génère ce stockage.

Le labour génère des pertes d’azote

FAUX. Comme pour le carbone, les stocks d’azote de la couche 0-28 centimètres ne sont pas statistiquement différents entre types de travail du sol dans l’essai de Boigneville. La teneur en azote présente le même profil de stratification dans le sol que celle en carbone entre les différentes techniques de travail du sol de l’essai.

Qu’en est-il du protoxyde d’azote (N2O), un GES puissant ? « Les mesures des effets du travail du sol montrent que les émissions du N2O sont équivalentes dans la majorité des cas entre techniques, sauf dans le cas de sols tassés et en climat humide où les semis directs génèrent davantage d’émission de N2O », explique Fabien Ferchaud. 

En ce qui concerne la volatilisation des engrais azotés et les pertes d’azote en découlant, il n’y a pas de différence fondamentale entre différentes techniques de travail du sol si ce n’est que l’enfouissement des apports est le levier le plus efficace pour lutter contre la volatilisation. « Le semis direct est incompatible avec une telle pratique », lit-on dans l’ouvrage Faut-il travailler le sol(1). Quant au risque de lixiviation de l’azote, le même ouvrage mentionne que « les résultats apparaissent contradictoires et ne permettent pas de dégager une tendance significative en faveur d’un type de travail du sol ».

Le labour favorise l’érosion des sols

VRAI. Dans les situations à risque élevé d’érosion, il est déconseillé de labourer ses sols. « Ou alors, il ne faut effectuer un labour qu’avant les cultures où le risque d’érosion est faible. Par exemple, dans le Lauragais, mieux vaut labourer avant un blé qu’avant une culture de printemps », juge Jérôme Labreuche. Dans cette région du Sud-Ouest, les orages printaniers peuvent être destructeurs sur des sols nus. Les facteurs pouvant réduire l’érosion sont la teneur élevée de matière organique en surface qui améliore la stabilité structurale du sol ainsi que la présence de résidus de cultures atténuant les effets mécaniques destructeurs des gouttes de pluie. 

Seules les techniques de travail superficiel ou de semis direct permettent de parvenir à ce résultat. « Un labour peu profond peut réduire la dilution de la matière organique dans le profil de sol mais l’effet est assez timide et il ne se mesure que sur le long terme sur la résistance à l’érosion », remarque le spécialiste d’Arvalis. « Ce type de labour par l’utilisation de charrues déchaumeuses par exemple ne suffit pas à régler les problèmes de battance », confirme Damien Brun, ingénieur agroéquipement chez Arvalis.

Le labour tasse le sol

FAUX. Le labour ne génère pas plus de tassement que n’importe quelle autre technique de travail du sol. « Sur un sol sablo-limoneux de la vallée du Rhône très sensible au tassement, nous avons suivi le profil du sol soumis à plusieurs techniques de préparation du sol, notamment en inspectant l’état des mottes produites, en termes de porosité et de tassement, note Joséphine Peigné, de l’Isara de Lyon. Dans notre expérimentation, il apparaît que le labour est la technique qui permet d’avoir le moins de tassement sévère. En fait, les tassements élevés apparaissent surtout lors des années humides comme ce fut le cas en 2013-2014. Les très forts tassements étaient visibles surtout sur les sols conduits en travail du sol très superficiel. Tous les ans, un labour bien conduit émiette le sol et produit de la motte poreuse. » 

Rappelons que le tassement du sol est dû avant tout au passage d’engins agricoles trop lourdement chargés. En situation de non labour, la fissuration sous l’effet du climat, l’activité biologique (organismes comme les vers de terre, actions des racines et des couverts végétaux) créeront la porosité nécessaire au maintien d’une bonne structure du sol.

Avec le labour, les rendements sont mieux préservés

VRAI. Un déficit de 7,3 % en rendement du semis direct par rapport au labour a été relevé en Europe : c’est la moyenne qui est ressortie d’une méta-analyse de données de différents pays européens publiée en 2012. Ces différences se rencontrent dans d’autres régions du monde. En France, on les retrouve en situation de sols humides ou hydromorphes et pour les cultures de printemps et d’été. 

Le risque d’échec au semis est plus élevé lorsque l’implantation d’un blé, d’un colza ou d’une orge d’hiver est réalisée sans labour dans ces sols. « C’est dû à l’asphyxie racinaire causée par le tassement du sol. Une forte réduction du travail du sol peut être synonyme de lit de semences moins favorable à la levée ou de structure du sol présentant moins de porosité qu’en technique conventionnelle », indique Jérôme Labreuche. Beaucoup de cultures de printemps ou d’été présentent moins de capacité de compensation à la levée que des cultures d’hiver et se montrent donc plus sensibles à la compaction des sols. D’autre part, le réchauffement du sol au printemps est plus rapide derrière un labour qu’un non travail du sol, avec une levée plus rapide à dates de semis égales.

À noter que les différences de rendement sont notoires en agriculture biologique entre labour et non labour. « À cause des adventices et du tassement du sol, des essais en micro-parcelles ont montré des pertes de rendements de 7 % en blé, de 20 % en maïs et de 26 % en soja cultivé en travail très superficiel comparé à un labour », mentionne Joséphine Peigné.

La pratique du labour est onéreuse

VRAI. La pratique du labour est plus coûteuse à l’hectare qu’un travail superficiel du sol et qu’un semis direct. Avec le risque sur l’érosion, c’est le principal travers du labour. Ce coût est surtout dû à la consommation de carburant, émetteur de GES par ailleurs. Sur le site agriculture-de-conservation.com, Frédéric Thomas, agriculteur, chiffre à 100 l/ha la consommation de gasoil avec le labour, contre 70 l/ha en TCS et 35 l/ha en semis direct. Il évalue à 65 000 € l’économie en coût de mécanisation en passant d’un labour à un semis direct sur une ferme de 200 hectares (325 €/ha). Cependant, le prix de l’équipement n’est pas pris en compte, plus important en semis direct. En prenant en compte les barèmes d’entraide qui calculent les coûts de chantier, le déficit en défaveur du labour se situe aux alentours de 60 euros de l’hectare dans le contexte de l’Aisne. Le labour est suivi d’un semis avec une préparation spécifique du sol (herse), ce qui génère un coût total de 110 €/ha. Ce qui n’est pas le cas pour le semis direct avec un seul passage à 47 €/ha. D’autres études montrent des différentiels moins importants entre les deux techniques.

(1) Faut-il travailler le sol, éditions Quae et Arvalis.

 

 
Le brome est une graminée détruite efficacement avec le labour. © C. Watier

La charrue, la meilleure alliée de l’agriculteur contre les graminées résistantes

En ces temps de remise en cause du glyphosate et plus généralement de l’utilisation des pesticides, le labour sort son atout majeur de la manche : la destruction des adventices. Des producteurs en non labour confrontés à des infestations de graminées résistantes aux herbicides choisissent de ressortir la charrue pour cette raison. Quel est l’effet du labour ? La charrue enfouit les semences des adventices. Les graines de certaines espèces ont une durée de vie relativement courte. En profondeur dans le sol, elles ne peuvent germer et finissent par mourir. Une année peut ne pas suffire à détruire une proportion suffisamment importante de ces graines selon les espèces et, dans ce cas, le labour annuel n’est pas la bonne stratégie car il remet en surface des semences encore viables. Le labour alternatif tous les deux ou trois ans peut être plus approprié. Un labour peu profond moins onéreux en coût de chantier peut suffire à contrôler les adventices, comme les vulpins et ray-grass. La plupart des adventices présentent des graines incapables de produire des plants si elles sont enfouies en dessous de 15 cm de profondeur, à l’exception de deux d’entre-elles, importantes : le gaillet qui peut germer jusqu’à 20 cm et la folle-avoine jusqu’à 30 cm. Par ailleurs, avec le retrait programmé du glyphosate, le labour est une alternative pour enfouir les adventices à l’interculture.

 

 
Les vers de terre sont de deux à trois fois moins présents dans un sol travaillé qu'en semis direct.

La biodiversité du sol souffre du passage de la charrue

Le travail du sol bouleverse la vie des vers de terre en en détruisant une bonne part. Mais il subsiste des lombrics sous un labour. « Tout travail du sol, labour ou autre, a pour effet de réduire les populations de vers de terre, souligne Joséphine Peigné. Seul le semis direct permet de bien les préserver à condition d’avoir une bonne couverture du sol. » Nombreux sont les essais qui le démontrent. Exemple : trois techniques de travail du sol ont été comparées par la chambre régionale d’agriculture de Bretagne à Kerguéhennec pendant sept ans. Entre labour conventionnel et travail superficiel, il y avait très peu de différences en termes de population de lombrics dans cet essai. En revanche, sous semis direct, cette population était deux à trois fois plus importante. L’étude mettait en œuvre différents types de fertilisation pour démontrer que des apports organiques (fumier de volailles par exemple) compensaient partiellement l’impact négatif du labour sur les lombrics. Les vers de terre sont connus pour améliorer la structure grumeleuse du sol et ainsi sa capacité de rétention en eau.

Équilibres différents chez les micro-organismes entre labour et semis direct

Dans un sol labouré ou non travaillé, la communauté des micro-organismes est différente sans disparaître dans le ratio entre bactéries et champignons. Les sols travaillés intensivement sont dominés par des espèces bactériennes, tandis que ceux non ou peu travaillés favorisent le développement de populations fongiques. « Les champignons se retrouvent plutôt sur les premières décompositions de matière organique ligneuse, des résidus de culture et sont donc plus présents en non labour où ces résidus sont laissés en surface, explique Joséphine Peigné, Isara Lyon. Les bactéries prennent le relais de cette décomposition. Des essais montrent qu’il y a plus de micro-organismes sur les sols les moins travaillés et donc un potentiel de minéralisation plus important. » Jérôme Labreuche remarque que sur le long terme, les différences s’estompent sur la biomasse de micro-organismes entre labour et non labour, comme si les micro-organismes s’adaptaient à la perturbation du sol.

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