Chez Hubert Pouzot, le lin de printemps a pris la place du colza et de la betterave
Depuis six ans, Hubert Pouzot s’est tourné vers le lin de printemps pour réduire ses surfaces de colza puis remplacer la betterave. La culture, qui fournit une marge brute intéressante, lui permet de mieux s’organiser sur sa ferme de 272 hectares qu’il gère seul.
« J’ai eu jusqu’à 70 et même 80 hectares de colza sur la ferme, mais c’était trop, explique Hubert Pouzot, qui exploite 272 hectares à Briarres-sur-Essonne, dans le Loiret. Il y a des parcelles où je ne pouvais plus en faire à cause des problèmes de géraniums. Alors lorsque la coopérative m’a proposé de faire du lin, j’ai tout de suite essayé ». L’aventure a commencé par du lin d’hiver, qui s’est avérée inadaptée au climat du Gâtinais. La coopérative de Puiseaux, avec laquelle Hubert Pouzot travaille étroitement, s’est donc réorientée vers le lin de printemps… Une culture qui s’inscrit parfaitement dans la rotation de l’agriculteur. Le lin grignote les surfaces de colza, tombées à 40 hectares. « Cela me permet d’avoir deux têtes de rotation et d’alterner blé-orge-colza avec blé-orge-lin », souligne l’agriculteur. Il aurait pu se tourner vers tournesol, mais « à la levée, les pigeons peuvent faire d’énormes dégâts, et en plus, il faut un équipement spécifique au semis et à la récolte », constate-t-il. Âgé de 31 ans et installé en 2009, Hubert Pouzot doit rembourser beaucoup d’annuités : plutôt qu’investir dans des cultures spécifiques, il cherche à amortir au maximum le matériel en place sur la ferme. Or c’est ce que lui permet le lin, qu’il sème avec un semoir à céréales et récolte avec une moissonneuse-batteuse classique. Cela en a même fait une culture plus avantageuse que la betterave. « Je n’avais que 10 hectares, précise l’agriculteur. À 25 euros la tonne, ce n’était plus intéressant pour moi, puisque n’étant pas équipé en matériel, je devais tout faire faire par un entrepreneur extérieur. »
Une marge brute qui rivalise avec celle du colza
Pour l’agriculteur, une bonne implantation et un désherbage soigneux sont les deux clés de réussite du lin. « Il faut un lit de semences très fin afin d’assurer un bon contact sol-graine, note-t-il. Je prépare donc le sol avec un labour, comme toutes mes cultures de printemps, puis je fais un passage de vibroculteur. » En cours de campagne, l’agriculteur surveille de près les adventices. « Le lin est une culture peu couvrante, il faut être très vigilant car elle ne supporte pas la concurrence : je passe deux fois à une semaine d’intervalle à la levée avec un antidicotylédones, puis je reviens avec un antigraminées au stade 10 cm. » S’ajoute à cela un raccourcisseur au stade 20 cm, pour ralentir la croissance et éviter la verse à la récolte, un fongicide faiblement dosé contre la septoriose (du Score à 0,2 l/ha) et selon les années, un ou deux insecticides. « Les altises peuvent faire de gros dégâts », remarque l’exploitant. En ce qui concerne la fertilisation, 70 unités d’ammonitrate suffisent. « En comptant les semences que j’achète à la coop, j’ai à peu près 375 euros/ha de charges opérationnelles. C’est un peu moins que mon autre tête de rotation, le colza, qui me coûte 413 euros/ha. » Côté produits, le lin ne se défend pas trop mal : « je suis en contrat avec ma coop qui me garantit un prix de 480 euros/t, indique Hubert Pouzot. Les graines sont valorisées en alimentation animale dans la filière bleu-blanc-coeur » (voir encadré). Lorsque le rendement est dans la moyenne, soit 23 q/ha, le lin fait presque aussi bien que le colza, rémunéré de l’ordre de 340 euros/t pour un rendement moyen de 34 q/ha. L’agriculteur vend toutes ses cultures à sa coop, en prix moyens sauf pour le lin qui est contractualisé à l’année. Les années difficiles, comme en 2015, où les rendements sont tombés à 15 q/ha, une valorisation à 480 euros/t n’est pas suffisante. Mais bon an mal an, le lin, avec sa marge brute à 681 euros/ha, s’avère compétitif par rapport aux 743 euros/ha du colza.
Souplesse à la récolte et bon précédent
Pour l’agriculteur, la culture a également l’avantage de bien s’insérer dans son organisation de travail. « Quand on est seul comme moi, il ne faut pas viser la culture qui rapporte le plus, mais celle que l’on peut conduire et qui au final donne le meilleur optimum », analyse-t-il. Or justement, le lin lui offre une souplesse à la récolte. « Il est possible d’attendre les bonnes conditions pour moissonner : les graines sont enfermées dans des capsules, il n’y a pas de risque d’égrenage », souligne l’exploitant pour qui la moisson n’est décidément pas un frein contrairement à certaines idées reçues. « Si l’on attend que la culture soit sèche, la récolte peut aller très vite, ajoute-t-il. Il faut juste avoir une barre de coupe bien affûtée et fermer un peu les grilles car les graines sont petites. L’an dernier, j’ai fait mes 22 hectares en un après-midi. » Atout supplémentaire, la plante se révèle être un bon précédent. « Le lin est meilleur qu’un colza, je le place au niveau du pois », évalue Hubert Pouzot. Bonus : les lapins, nombreux dans les champs de l’agriculteur, ne l’aiment pas… Pas plus que les limaces.
Le lin de printemps a tout de même quelques défauts. « La floraison a lieu en juin, signale Hubert Pouzot. S’il y a un problème d’eau à ce moment-là, il peut y avoir de très grosses pertes de rendement comme nous avons eu en 2015. Je croise les doigts quand la culture revient sur mes terres superficielles… ». Quoi qu’il en soit, l’agriculteur ne regrette pas d’avoir persévéré car le lin lui rend au final pas mal de services.
5 cultures principales
272 hectares dans le Gâtinais, en terres de potentiels variés (argilocalcaires superficielles à limoneuses)
97 ha de blé améliorant (70 q/ha en moyenne), 68 ha d’orge de printemps (75 q/ha), 40 ha de colza (33 q/ha), 31 ha d’orge d’hiver (75 q/ha), 30 ha de lin de printemps (23 q/ha), 6 ha en jachère
Pas de stockage : toute la récolte est livrée à la moisson puis vendue à la coop de Puiseaux en prix moyens
« À la fois l’intérêt agronomique et économique »
« Nous collectons entre 250 et 300 hectares de lin oléagineux de printemps par an, pour un rendement moyen de 2 t/ha. C’est une petite culture au regard des céréales, mais elle est importante. Dans notre secteur du Gâtinais, nous avons des terres filtrantes comme en Beauce mais que nous ne pouvons pas irriguer. On ne cherche pas le rendement mais la qualité, le premier objectif de la coop étant le revenu de l’agriculteur. C’est l’une des raisons qui nous a poussé à développer le lin oléagineux de printemps : il nous fallait une tête d’assolement différente du colza, qui favorise le développement des adventices et des maladies comme le sclérotinia. Le lin fait lever des adventices différentes, que l’on traite avec d’autres familles chimiques. La marge n’est pas spectaculaire par rapport au colza, mais elle est sensiblement équivalente grâce à la commercialisation en filière bleu-blanc-coeur. Pour l’agriculteur, il y avait donc à la fois l’intérêt agronomique et économique ».
Un débouché qui reste fragile
« Valorex est l’acheteur unique de notre lin oléagineux », décrit Jean-Claude Legrand, directeur de la coopérative de Puiseaux. L’industriel breton destine la culture riche en omega 3 aux élevages en filière qualité bleu-blanc-coeur. S’il contractualise avec la coop de Puiseaux, c’est pour diversifier son bassin de production et sécuriser son approvisionnement. La coop et Valorex ont signé un premier contrat-cadre en 2012 pour trois ans. Il est depuis 2016 révisé tous les ans, Valorex ayant trouvé la formule triennale trop pénalisante. Ce contrat-cadre spécifie un prix minimum garanti pour un nombre d’hectare emblavés. La coop s’engage par ailleurs à utiliser des variétés de lin recommandées par l’industriel et à réduire au maximum les phytos.
« En six ans, les prix ont baissé, relate Jean-Claude Legrand. Au début, le prix garanti était de 550 euros pour la coop pour un prix payé aux producteurs de 520 euros. Aujourd’hui, nous sommes à 500 euros/t ce qui fait 480 euros/t pour nos agriculteurs. Il faut ferrailler chaque année ! ». En quelques années, la production s’est développée hors filière et Valorex trouve des producteurs qui peuvent lui vendre leur lin pour 365 à 380 euros/t. « En filière, les prix sont donc nettement plus chers, constate Jean-Claude Legrand. Heureusement, Valorex cherche à répartir les risques climatiques et nous faisons partie des bassins à développer. Cela montre toutefois que le débouché est fragile. »