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Céréales : un marché sous influence russe et chinoise

À l’occasion du Paris Grain Day organisé par Agritel le 31 janvier, plusieurs experts internationaux ont confirmé le rôle déterminant de la Chine et de la Russie dans les orientations des marchés du blé et du maïs pour la campagne en cours et celles à venir.

Structurellement importatrice de céréales et en guerre économique avec les États-Unis, la Chine guide en partie les évolutions du marché mondial. © V. Motin
Structurellement importatrice de céréales et en guerre économique avec les États-Unis, la Chine guide en partie les évolutions du marché mondial.
© V. Motin

2019 serait moins favorable aux matières premières agricoles que 2018. C’est ce qu’a expliqué Philippe Chalmin, président fondateur de Cyclope, institut de recherche sur les matières premières et président de l’Observatoire des prix et des marges, à l’occasion fin janvier du Paris Grain Day, organisé par Agritel. « Nous sommes plutôt baissiers, a-t-il indiqué. Nous prévoyons un plafond sur le cours du blé à Chicago, une potentielle hausse sur le maïs et nous sommes très baissiers en soja. » En céréales, ce scénario s’avère plutôt partagé par les analystes russes, américains et chinois présents lors de l’évènement.

La Russie en route pour produire davantage de blé

80 millions de tonnes (Mt) de blé, voilà la prévision de récolte 2019 livrée par Andrey Sizov, directeur du Sovecon, société russe spécialisée dans le conseil sur les marchés agricoles. « Pour le moment, les conditions hivernales sont très bonnes, avec beaucoup de neige, il semble que l’on s’achemine vers des potentiels exceptionnels », a justifié le professionnel. À plus de 27 millions d’hectares, les surfaces de blé dépasseraient celles de l’an dernier, et comprendraient une proportion accrue de blé d’hiver. Avec le réchauffement climatique et la réduction du gel, les agriculteurs russes prennent de plus en plus souvent le risque d’implanter des variétés de type hiver, plus productives. Sans atteindre le record de 2017, la récolte 2019 s’annoncerait en hausse de près de 11 % par rapport à 2018. « Nous aurons à nouveau beaucoup de blé pour l’export », a précisé l’analyste. Ce dernier mise sur le développement de nouveaux marchés tels que l’Algérie qui, selon lui, pourrait s’ouvrir en 2020. Signalons que pour cette campagne, l’USDA (département américain de l’agriculture) prévoit une baisse des exportations globales du pays, à 36,5 Mt contre 41,4 Mt sur 2016/2017.

L’accord Chine/États-Unis pourrait changer la donne sur 2019/2020

De l’autre côté de l’Atlantique, aux États-Unis, les surfaces de blé d’hiver, de l’ordre de 13 millions d’hectares, sont plus faibles que prévu. « Les farmers n’ont pas réussi à semer cet automne dans certaines régions en raison des conditions climatiques », a souligné Dan Cekander, trader et président de DC Analysis LLC. Au total, la sole devrait tout de même progresser légèrement à 19,4 millions d’hectares (19,3 en 2018) grâce au soutien des blés de printemps. DC Analysis LLC envisage au final une progression de la récolte 2019 à 54 Mt (51,2 Mt en 2018). La production américaine participerait donc au rebond mondial : après deux années de baisse, la société prévoit une récolte en hausse de 5 % à 770 Mt.
Toutefois, l’accord Chine/États-Unis, encore en cours de négociation en février, pourrait modifier la donne américaine. En plus du soja, il inclurait le blé, le maïs, l’éthanol et le sorgho. Pour Dan Cekander, l’hypothèse la plus vraisemblable conduirait à une hausse des exportations de blé américain de 5 % sur la campagne en cours, de 22,5 % sur 2019/2020 puis de 15 % sur la campagne suivante. S’en suivrait une hausse des cours de l’ordre de 14 % sur 2019/2010. Cette dynamique encouragerait les farmers à ensemencer davantage, mais pas assez pour maintenir le niveau des stocks : le ratio stocks sur utilisation baisserait de 46 % à 28 % en moyenne sur les deux campagnes à venir. Le maïs pourrait lui aussi être concerné, avec une hausse de 6 % du volume exporté dès la campagne 2018/2019, qui se tasserait ensuite.

La Chine en mesure de doper le marché du maïs

De 11,2 %, le ratio stocks sur utilisation en maïs est nettement plus faible que pour le blé et contribue à soutenir les prix américains… Même si « les farmers de l’Illinois peuvent faire plus d’argent avec le soja qu’avec le maïs », a rappelé Dan Cekander. En accroissant les volumes exportés, un accord Chine/États-Unis jouerait sur cette tendance. La Chine a structurellement besoin d’importer. D’une part, les stocks constitués depuis 2010 par l’État commencent à se réduire et d’autre part, le gouvernement veut baisser les surfaces (- 3,1 % entre 2015 et 2020) au profit du soja (+ 7 %). Les besoins seront probablement un peu moindres en 2019. « À cause de la fièvre porcine, les animaux sont abattus en masse et les éleveurs les vendent beaucoup moins chers que d’habitude », a précisé Renault Quach, directeur général adjoint de Donlink international, une société qui fait du trading de produits agricoles. Mais dès 2020, la demande repartira à la hausse : « la consommation de viande est corrélée au PIB, c’est pourquoi nous pensons qu’elle va augmenter dans les années à venir, et donc avec elle la consommation de maïs », a indiqué l’expert.

Des besoins croissants en éthanol dans l’empire du Milieu

La demande chinoise en maïs est également soutenue par les marchés de l’éthanol et de l’amidon. Si ces débouchés absorbent autour de 70 Mt de grains contre plus de 200 Mt pour l’alimentation animale, ils s’accroissent depuis 2013/2014 sous l’effet des soutiens du gouvernement. « Concernant l’éthanol, l’objectif de production de 4 Mt pour 2020 est dépassé puisque l’on était à 5,2 Mt en 2017 », a indiqué Renault Quach. Sauf que, de 217 millions de voitures en 2017, le parc automobile pourrait passer à 280 millions en 2020. Et l’usage de l’E10 (essence à 10 % d’éthanol), qui ne concerne aujourd’hui que quelques villes et provinces, devrait être encouragé dans tout le pays à partir de 2020. « C’est une façon de réduire notre dépendance grandissante au pétrole », a expliqué le professionnel. L’accord Chine/États-Unis pourrait inclure un volet éthanol qui viendrait dynamiser la consommation de maïs aux États-Unis… Et le marché mondial.

Pour 2019, « un quota d’importation de 7,2 Mt d’importations est prévu, a signifié le professionnel. 60 % seront alloués aux entreprises d’État, 40 % aux privés. L’origine des achats dépendra de l’accord signé avec les États-Unis ». Il faut que la taxe punitive de 25 % sur les importations de maïs américain soit levée pour que celles-ci puissent l’emporter sur le maïs ukrainien, actuellement plus compétitif.

2018/2019 : encore du blé en stock

Les greniers russes seraient-ils déjà vides de blé ? Non, a répondu Andrey Sizov, Sovecon, au Paris Grain Day. Pour le professionnel, les stocks ne sont pas aussi faibles que pourraient le laisser penser les statistiques de l’État car elles ne prennent pas en compte le grain détenu par les « petites fermes », soit celles enregistrant moins de 10 millions d’euros de revenus… Selon Andrey Sizov, la Russie pourra exporter 2 Mt par mois jusqu’à la fin de campagne sans souci. « Cela peut même monter à plus s’il n’y a pas de restrictions à l’export et pas de pression des officiels », a-t-il précisé. Au besoin, le pays ira piocher dans les réserves en blé de qualité du Kazakstan.

De l’autre côté de l’Atlantique, les farmers thésaurisent. En pleine forme, l’industrie du pétrole mobilise les trains en partance du nord du pays et des grands lacs pour descendre vers le golfe du Mexique, faisant monter le coût du fret. « Les coûts élevés au départ du Kansas ou de Chicago encouragent les farmers à stocker leur blé », a expliqué Dan Cekander, DC Analysis LLC. Les disponibilités sont donc moindres sur cette fin de campagne.

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