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Ce " sans gluten " qui interpelle la filière

De plus en plus de consommateurs rejettent les produits issus des céréales pour choisir des aliments sans gluten. Le gluten serait-il devenu si présent au point d'être insupportable ou assiste-t-on à un simple effet de mode ? Décryptage au travers du grain de blé, du pain, des intestins et de la tête des consommateurs.

Gluten free, no glu, zéro gluten... Les produits et régimes sans gluten ont la cote depuis quelques années en France. Partie de presque rien, la consommation de ces produits augmente de plusieurs dizaines de pourcent par an. Les données de la société d'étude de marché IRI France reprises par le magazine 60 millions de consommateurs font état d'une progression de 32 % en 2013 puis de 42 % en 2014. « Une enquête menée sur un échantillon de consommateurs avec les partenaires de la filière meunerie a fait ressortir que 15 % de Français se déclaraient sensibles au gluten, rapporte Valérie Mousques-Cami, ANMF(1). Ces chiffres sont décalés par rapport à la réalité médicale et cela ne signifie pas que ces consommateurs achètent tous des produits sans gluten mais cela interpelle. » La vague du no glu nous est venue des États-Unis. « Un fort pourcentage d'Américains consomme ces produits, confirme Brigitte Jolivet, présidente de l'Afdiag(2), et en Australie, il s'agit de 10 % de la population ! »

Mais qu'est-ce que le gluten ? C'est ce que l'on obtient quand on passe une pâte de farine de blé sous l'eau. L'amidon est entraîné et il ne subsiste qu'une pâte visco-élastique ne contenant plus que des protéines insolubles. Par extension, on dénomme gluten ces protéines du grain propres aux céréales à paille(3) que sont les gliadines et les gluténines. Le grain de blé tendre est le plus riche en gluten. Et c'est là que le bât blesse : la filière meunerie s'alarme du rejet du gluten. La consommation du pain est déjà en diminution constante depuis des lustres (325 g par jour et par individu en 1950, 120 g aujourd'hui) pour des raisons diverses. L'explosion de produits sans gluten qui seraient meilleurs pour la santé ne portera pas le coup de grâce à notre bonne baguette. Mais les filières meunerie et boulangerie se posent la question : comment des protéines que nous consommons depuis des millénaires seraient subitement devenues dangereuses pour notre organisme ?

Des variétés qui s'appauvrissent en protéines du gluten

Auraient-elles changé dans le temps, en qualité et en quantité ? Passons au microscope le grain de blé et l'évolution de ses protéines au fil de la sélection variétale. « La teneur en protéines a diminué au cours du temps car on a orienté la sélection variétale vers l'augmentation des rendements. Or ce caractère est corrélé négativement avec celui du taux de protéines dans le grain, mentionne Catherine Ravel, ingénieur de recherche à l'équipe Biologie intégrative dans la composition du grain (BIG) de blé à l'Inra de Clermont-Ferrand. Cette tendance est nette quand l'on compare les variétés modernes aux anciennes, plus riches en protéines. Toutes les protéines ont baissé, y compris les gliadines et gluténines. Mais le rapport gluténines sur gliadines augmente légèrement au fil du temps, de même que celui entre les gluténines de haut poids moléculaire (HPM) et celles de faible poids moléculaire. »

Les gluténines sont capables de s'agréger entre elles avec des liaisons intermoléculaires solides. Dans la pâte, celles de HPM sont à la base du squelette du réseau de protéines expliquant sa résistance (ténacité) aux manipulations technologiques. Elles sont importantes pour la force boulangère (W). L'orientation variétale vers davantage de ces gluténines est logique puisqu'elle répond aux besoins du principal débouché du blé tendre en France : le pain. Le hic, c'est que ces gluténines sont pointées du doigt dans les difficultés de digestion. C'est une hypothèse qui va être étudiée dans le cadre d'un projet de recherche qui démarre cet automne (voir encadré).

« Outre les caractères variétaux, des conditions de production induiraient l'agrégation de ces gluténines en polymères de très grande taille, comme l'augmentation des températures de fin de printemps et de début d'été telles que nous les connaissons avec le réchauffement climatique, ajoute Catherine Ravel. De même, la fertilisation azotée en fin de cycle favoriserait la formation de gluténines de HPM. » Tout cela demeure, encore, des hypothèses de travail.

La digestion du gluten du pain en question

Avec leur évolution à la baisse, les teneurs en protéines des variétés modernes de blés en France peuvent difficilement être tenues pour responsable du rejet du gluten par les consommateurs, même si Christian Rémésy, chercheur de l'Inra retraité, appelle à « mettre un terme à la sélection de variétés de blé avec des profils de gluténines à trop haut poids moléculaire ». Au-delà de la génétique du blé, il reste de multiples pistes pour essayer de trouver une raison au succès du sans gluten. Le mode de fabrication actuel, du pain, premier aliment issu du blé tendre, pourrait-il être mis en cause ? « L'intensification du pétrissage génère un réseau de gluten plus résistant à la digestion, selon Anthony Fardet, de l'unité de nutrition humaine à l'Inra de Clermont-Ferrand. D'autre part, l'utilisation de levure plutôt que de levain naturel et un temps de fermentation raccourci ne favorise pas une 'prédigestion' du gluten par les enzymes », résume le spécialiste. On incrimine aussi l'ajout de gluten à la pâte qui tend à devenir une pratique courante ainsi qu'un temps de cuisson insuffisant pour obtenir un gluten bien cuit et donc plus digeste. L'évolution du pain, au moins pour les pains industriels, ne met pas le gluten dans une forme où il serait facilement digestible. Tous les pains ne sont pas à mettre à la même enseigne et le gluten se retrouve ailleurs : pâtes, biscuits, bière...

Il est même devenu un produit de marché à part entière commercialisé pur sous le nom de gluten vital. Celui-ci entre dans la composition de différents plats préparés, des patisseries... Il sert à améliorer la cohésion de certaines préparations culinaires. Il peut y avoir du gluten y compris dans des produits qui n'étaient pas issus des céréales à l'origine.

Un effet placebo à l'envers, dû à la suppression d'un produit

Trop de gluten dans la nourriture ? C'est un argument mis en avant par les tenants des régimes sans gluten comme ces vedettes du sport, de la musique ou du cinéma qui vantent les produits sans gluten à grands coups de spots publicitaires... Il y a une part d'effet de mode dans le sans gluten avec, en arrière-plan, la toute puissance du marketing de grands groupes agro-alimentaires. « Par rapport à leurs homologues avec gluten, les produits sans gluten sont deux à deux fois et demie plus chers », pointe le mensuel 60 millions de consommateurs. Cela peut s'expliquer par une fabrication plus coûteuse en cherchant des substituts au gluten notamment. « Ces substituts peuvent d'ailleurs poser question sur le plan nutritionnel », remarque Anthony Fardet. Mais ces produits ont un écho auprès de consommateurs ayant un pouvoir d'achat plutôt élevé. Ils sont donc bien profitables aux industries qui les commercialisent. Par ailleurs, les campagnes médiatiques poussent diverses personnes à essayer le régime sans gluten en en ressentant les bienfaits sur leur santé. « On crée une forme de bulle d'angoisse sur les produits contenant du gluten relayée par l'engouement médiatique pour le régime sans gluten. On arrête le gluten dans l'alimentation et on se sent mieux. L'effet est psychologique et il est appelé 'nocebo' en opposition à placebo, car il est dû à la suppression d'un produit », explique Anthony Fardet.

Il ne faut pas traiter la chose par le mépris. Des personnes sont véritablement sensibles au gluten ou à des produits issus des céréales. La question est d'expliquer les raisons de l'explosion récente du rejet du gluten par les consommateurs.

(1) Association nationale de la meunerie française.

(2) Association française des intolérants au gluten.

(3) Céréales avec gluten : tous les blés (tendre, dur, de Khorasan « kamut »), épeautre, seigle, orges, avoines, triticales. Céréales sans gluten : maïs, sorgho ?, millet, riz, sarrasin, quinoa.

Voir aussi article " Trois pathologies reconnues en relation avec le gluten "


En savoir plus

. Divers sites internet informent sur le gluten. Attention : il y a à boire et à manger et il faut prendre du recul par rapport à certains sites alarmistes.

. Quelques sites professionnels

initiativegluten.com (à l'initiative de l'Observatoire du pain)

afdiag.fr (association des intolérants au gluten)

. Des campagnes de communication. La plus récente est celle de Passion Céréales en partenariat avec l'Afdiag. Près de 40 000 dépliants sont remis depuis le 26 septembre 2016 dans 1400 cabinets médicaux et à des médecins généralistes en visant plus particulièrement les villes de plus de 100 000 habitants.

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