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IRRIGATION
Pour une gestion durable de l’eau

Une gestion plus durable de l’eau utilisée en fertirrigation est aujourd’hui nécessaire. Un programme européen, Fertinnowa, a été initié pour favoriser le transfert de pratiques et technologies qui augmentent l’efficience de l’eau et des nutriments.

« L’augmentation de la demande en eau et la nécessité de préserver sa qualité entraînent une prise de conscience mondiale sur le fait qu’il faut améliorer l’efficience de l’eau utilisée pour la production des fruits et légumes », a souligné Esther Lechevallier, du Caté, chargée de projet Fertinnowa, lors d’une rencontre organisée à Saint-Pol-de-Léon (29) par Fertinnowa, le Caté et Végépolys. Or des pratiques et technologies permettent d’augmenter cette efficience et de réduire l’impact sur l’environnement. Un programme de trois millions d’euros associant 23 partenaires de dix pays (France, Espagne, Italie, Pays-Bas, Belgique, Royaume-Uni, Allemagne, Pologne, Slovénie, Afrique du Sud) a été initié en 2016 pour trois ans afin de recenser ces techniques et favoriser leur utilisation. Une enquête auprès de plus de 350 entreprises a montré que des techniques plus durables existent mais qu’elles ne sont pas toujours utilisées pour des raisons techniques, financières ou réglementaires. Il en ressort qu’il faut des techniques faciles à utiliser, sans trop de maintenance, peu coûteuses, que les politiques publiques doivent les encourager et qu’il faut des réglementations sur le long terme pour que les producteurs sachent si leurs orientations sont cohérentes.

Récupérer l’eau de pluie pour faciliter le recyclage

Une piste pour la production sous serre est l’utilisation de l’eau de pluie, qui permet de se dégager des problèmes de qualité minérale de l’eau et facilite le recyclage du drainage. La principale difficulté est le dimensionnement des bassins de stockage selon les besoins et la répartition des pluies. Dans les pays du nord de l’Europe (Pays-Bas, Belgique, France), on estime qu’une capacité de stockage de l’ordre de 6 000 m3/ha pour une culture de tomate en système recyclé permet une indépendance en eau. Mais les producteurs disposent souvent d’une capacité moindre et mélangent eau de pluie et eau de forage, ce qui limite à la fois les besoins en stockage et l’accumulation de minéraux. Aux Pays-Bas, 500 m3 par hectare de serre est une capacité minimale obligatoire. Une autre difficulté est l’accès au foncier pour mettre en place le stockage et l’absence d’aides pour ces aménagements. L’eau de pluie est en général filtrée (filtre à sable, etc.). La couverture des bassins est le meilleur moyen de les protéger de la pollution et des algues.

Recycler l’eau de drainage pour limiter les rejets

Mais d’autres solutions permettent de limiter la prolifération des algues : ajout d’acide sulfurique (qui diminue le pH, ce qui doit être pris en compte), de sulfate de cuivre ou calcium, de peroxyde d’hydrogène, poissons qui mangent les algues, apport d’un colorant alimentaire qui limite l’entrée du rayonnement solaire, implantation de lentilles d’eau qui forment un film sur le bassin et empêchent l’entrée de la lumière... Une autre piste pour les serristes est le recyclage des solutions nutritives qui limite les rejets et réduit le coût de la fertilisation. Dans les pays du nord, la technique est déjà très répandue. En 2027, les producteurs néerlandais ne devront plus rejeter le moindre kilo d’azote. Et dès le 1er janvier 2018, 90 % des eaux rejetées devront avoir la même qualité que l’eau entrante. « Le recyclage est donc essentiel, souligne Ben Nikaj, de Grodan. Alors qu’un hectare de serre sans recyclage entraîne un rejet de 945 kg N/an, celui-ci n’est plus que de 142 kg si 85 % du drainage est recyclé, avec par ailleurs une économie de 4 000 euros en fertilisants ». Au sud, le recyclage est moins développé, par crainte de l’accumulation de sodium et chlorure, notamment en Espagne où les eaux sont très salées, et par peur aussi des maladies, en particulier des virus. « La qualité de l’eau primaire est essentielle, insiste Ben Nikaj. L’idéal est d’utiliser l’eau de pluie, avec une source additionnelle traitée par osmose inverse. Mieux vaut aussi utiliser un substrat inerte, vérifier que le débit des goutteurs ne varie pas de plus de 8 %, gérer le drainage selon la saison, planifier les traitements phytosanitaires en fonction du drainage, avoir une capacité de stockage suffisante et éviter le drainage excessif ». Différents outils permettent de suivre l’évolution du drainage pour adapter au mieux la fertirrigation (ordinateur d’arrosage, balances pour la pesée du substrat, humidimètres). Et de nouveaux outils plus sophistiqués apparaissent (phytomonitoring ProDrain d’Hortimax, basé sur la balance de l’eau, outil d’aide à la décision Plant Voice d’Hoogendoorn, basé sur l’énergie, application pour smart-phone E-Gro de Grodan pour suivre l’état du substrat sur son mobile...). L’utilisation d’engrais moins chargés en sodium, mais plus coûteux, permet aussi de limiter l’accumulation de sodium.

Améliorer la fertirrigation des cultures en sol

La gestion de l’eau et des nutriments dans les cultures en sol est une réelle difficulté. Des outils permettent de suivre l’état hydrique du sol (tensiomètres, sondes capacitives). Mais les producteurs ne savent pas toujours combien il faut en installer, où les positionner, comment les interpréter. Du conseil et de la formation seraient nécessaires pour favoriser leur utilisation. Beaucoup jugent aussi ces outils coûteux et fragiles, ce qui amène des opérateurs à s’intéresser à la modélisation. Un logiciel de pilotage de l’irrigation basé sur la modélisation a ainsi été mis au point dans le cadre du programme EVE (Végépolys, Agrocampus Ouest, Météo France, Irstea, Aria, Terrena). Fonctionnel pour le maïs, il pourrait être étendu à d’autres cultures, notamment aux légumes. Un autre projet, Redung, est mené en Belgique sur l’irrigation de la salade sous abri. L’objectif est de raisonner l’irrigation à partir de la modélisation pour limiter l’accumulation de sels et l’irrigation excessive et éviter le lessivage des nutriments. Le modèle d’évapotranspiration mis au point associé à l’utilisation de fertilisants moins chargés en sels de ballast permet la production de laitues de qualité toute l’année et semble prometteur pour aider les producteurs à réduire le lessivage des nutriments.

Orasa®, pour bien positionner ses sondes capacitives

Lors des journée Fertinnowa, la société Corhize (47) a reçu le prix de l’innovation pour son système Osara qui associe la pose de sondes capacitives, qui mesurent l’humidité et la température du sol tous les 10 cm de profondeur, et une cartographie de la conductivité des sols. Il est ainsi possible de positionner les sondes dans les zones les plus homogènes de la parcelle.

AVIS DE PRODUCTEURS

FAMILLE KERBRAT, producteurs de tomates à Taulé, dans le Finistère

Nous irriguons neuf hectares de serres à l’eau de pluie

« Nous exploitons neuf hectares de tomate grappe. En 2014, lors de la construction de nouvelles serres, nous avons décidé de stocker et utiliser l’eau de pluie collectée sur les serres. L’eau de forage que nous utilisions alors est chargée en chlorure de sodium et le sodium avait tendance à s’accumuler. Un autre forage est chargé en fer. Nous avons creusé un bassin de 50 000 m3 qui s’ajoute aux 7 000 m3 que nous avions déjà et allons y rajouter un autre bassin de 7 000 m3. L’investissement s’est élevé à 200 000 €. L’eau de pluie est filtrée sur sable et désinfectée au chlore. Avec l’eau de pluie, on se dégage des problèmes de qualité minérale de l’eau et de la législation autour des forages. De plus, cela permet de recycler tout le drainage. En moyenne sur l’année, le drainage représente 25 % de l’eau fournie. Il est désinfecté au dioxychlore, traitement qui nécessite peu d’investissements mais n’est pas très efficace et demande beaucoup de suivi. La station de fertilisation fabrique la solution nutritive à Ec 4 pour une journée. Puis la solution est envoyée dans chaque serre où elle est diluée. L’irrigation est gérée par un ordinateur climatique, à partir d’une horloge et de l’ensoleillement, et nous contrôlons la laine de roche avec des humidimètres et visuellement. Malgré la désinfection, le biofilm dans le réseau et l’Agrobacterium restent des vrais problèmes. La sédimentation dans le bassin demande aussi une vigilance accrue au niveau des filtres et nous projetons d’installer des pompes flottantes. »

GILLES LE BIHAN, producteur de tomates et mini-poivrons à Plouénan, dans le Finistère

La biofiltration me permet de recycler 90 % du drainage

« J’exploite 2,8 ha de serres sur fibres de coco en tomates de diversification et mini-poivrons. L’irrigation est basée sur de l’eau de forage filtrée sur maërl pour la stabilité du pH. En 2005, je me suis équipé d’une biofiltration de 7 m3/h pour pouvoir recycler le drainage et ainsi économiser l’engrais. L’investissement est important mais la technique ne demande aucun entretien ni suivi et fonctionne sans problème. J’ai juste réensemencé le biofiltre il y a quatre ans. La filtration lente permet d’obtenir un équilibre bactériologique dans l’eau qui réduit le risque de développement rapide d’un pathogène. Cela me permet de recycler 90 % du drainage et ainsi d’économiser 40-50 % d’engrais. Il y a par contre une forte présence d’Agrobacterium. Comme j’utilise de plus en plus d’engrais à base d’algues, qui peuvent favoriser la formation de biofilms dans le réseau, j’ai fait installer en 2015 un système Aqua 4D de traitement électromagnétique de l’eau pour prévenir leur formation ».

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