« Le forçage d'endives m'a permis de monter mon projet d’installation dans la Drôme »
Pour son installation agricole, Laurie Lunel a misé exclusivement sur le forçage d’endives. Une expérience dont elle tire aujourd’hui les premiers enseignements. [Article rédigé par Sophie Sabot]
Pour son installation agricole, Laurie Lunel a misé exclusivement sur le forçage d’endives. Une expérience dont elle tire aujourd’hui les premiers enseignements. [Article rédigé par Sophie Sabot]





Installée en 2021 à Saint-Vincent-la-Commanderie dans la Drôme, Laurie Lunel a produit la saison dernière près de 25 tonnes d’endives. En choisissant le forçage d’endives, la jeune femme de 34 ans souhaitait créer son activité agricole en mobilisant un minimum de foncier. « Après avoir été salariée agricole, j’ai monté en 2017 une entreprise de vente de produits locaux avec une amie, à la fois avec un camion itinérant et via un site internet. En 2020, l’activité a bien fonctionné grâce à l’engouement pour l’origine locale en pleine période Covid-19. Mais nous avions chacune l’envie de nous rapprocher de nos conjoints agriculteurs. Nous avons revendu notre entreprise en décembre 2020 », raconte-t-elle. Rapidement germe l’idée de produire des endives. La demande existe. Son expérience en commercialisation de produits locaux le lui a confirmé. Une place est à prendre sur le territoire où Laurie souhaite s’installer.
Une salle de forçage de 90 m2 tout en longueur
« Le forçage me permettait de monter un projet d’installation alors que je ne disposais que de quatre hectares de terre, le minimum requis pour mon statut MSA », commente la jeune femme. L’atelier endives est hébergé dans un tunnel de 40 mètres par 9 mètres. C’était à l’origine la maternité de l’élevage de lapins qu’exploitait sa belle-mère jusqu’en 2019. Avec l’aide de son conjoint, lui-même installé depuis 2013 en grandes cultures, elle a réaménagé le bâtiment. À l’intérieur, elle a fait installer une chambre froide de 20 m2 et une salle de forçage de 90 m2 en panneaux sandwich. Réalisés par une société spécialisée, ces deux équipements ont coûté 46 700 euros HT.
« Mais nous étions limités en hauteur à deux mètres cinquante à cause de la forme tunnel, ce qui m’a obligé à trouver un chariot élévateur d’occasion adapté qui m’a coûté 10 000 euros HT et une tête rotative neuve pour près de 4 000 euros HT. J’avais sous-évalué cette dépense dans mon prévisionnel. L’espace, tout en longueur, n’est pas non plus idéal pour organiser les lots au forçage ou tout simplement pour circuler », souligne-t-elle. Laurie Lunel s’est équipée de bacs de forçage hydroponique d’occasion, un investissement de 10 500 euros HT (70 euros par bac). Sa salle lui permet d’en empiler quatre en hauteur.
Chaque semaine, elle y place un nouveau lot de vingt-huit bacs en moyenne. Chaque lot y reste trois semaines. « Un bac me permet de mettre au forçage 500 à 600 racines, soit quatre bacs par palox de racines », détaille la productrice. Pour la saison 2024-2025, elle a précommandé 115 palox. « Je passe par deux intermédiaires basés dans le Rhône : l’association de forceurs d’endives Pas chicon que cha et l’EARL Le pied vert, une exploitation maraîchère de Caluire. Tous deux travaillent en direct avec des producteurs de racines », mentionne la productrice.
Un rendement encore trop bas
Sur la dernière saison, Laurie Lunel a produit en moyenne 47 kilos d’endives par bac. Un rendement insuffisant pour dégager un revenu mais qui lui a permis de couvrir ses charges, essentiellement la main-d’œuvre et le coût des racines. « En pleine production, j’embauche trois personnes du lundi au vendredi pour le tri des endives, la préparation des colis, la mise en bac des racines… Ma mère est là aussi en prestation de services. La main-d’œuvre, c’est le point fort de mon exploitation. J’ai la chance d’avoir une équipe fidèle et qualifiée », commente la jeune femme.
Pour faciliter le cassage, l’épluchage et le tri, elle a acheté d’occasion pour 2 100 euros une éplucheuse rotative à couteau et une console de conditionnement. Laurie et sa mère assurent également les livraisons aux clients dans les 24 heures après le cassage. Objectif : garantir une endive extra fraîche pour démarquer son produit.
L’objectif est d’atteindre 60 à 70 kilos par bac
Si elle ne parvient pas à améliorer ses rendements, la productrice s’interroge sur l’avenir de son atelier. « Il me faut progresser au niveau technique même si des échanges avec d’autres producteurs m’ont rassurée sur mes résultats la saison dernière. Les rendements ont été bas pour de nombreux forceurs », constate Laurie. En cause, notamment, la qualité des racines liée aux conditions climatiques de la campagne 2023. Elle peine aussi à trouver des références techniques correspondant au dimensionnement atypique de son outil de production.
« Je ne suis ni sur un petit atelier de complément comme certains maraîchers, ni sur un gros atelier. Mon objectif serait d’atteindre 60 à 70 kilos par bac. 80 % du rendement se joue sur la qualité des racines. J’ai toutefois choisi de ne pas réaliser de traitement fongique avant forçage. Je ne suis pas équipée pour. Je n’utilise pas d’engrais non plus. Les engrais en solution servent à aller chercher les derniers kilos. Vu mes rendements, ce ne serait pas une dépense pertinente », estime la productrice. Elle cherche encore les leviers qui lui permettront d’améliorer la rentabilité de son atelier. Sans quoi elle pourrait renoncer à forcer des endives. « J’ai l’opportunité de reprendre soixante hectares de céréales en agriculture biologique, confie-t-elle. Ce sera une porte de sortie si jamais je ne dégage pas encore de revenu avec les endives cette année. »
Repères
- Période de forçage : fin octobre-fin mars.
- Première récolte de la saison 2024-2025 : 18 novembre.
- 3 à 4 variétés tout au long de la saison : Darling, Ecrine, Topscore, Daufine.
Eau en circuit fermé
Laurie Lunel porte la plus grande attention à la température de sa salle de forçage et à celle de l’eau qui circule dans les bacs. « Les trois à quatre premiers jours du lot, j’utilise de l’eau claire provenant d’un ballon. Ensuite, je bascule en circuit fermé grâce à trois cuves, une par lot, de 400 à 500 litres. Elles sont équipées d’une résistance avec thermostat et d’un flotteur pour conserver le niveau », précise Laurie Lunel. En début de saison, sur les variétés précoces, la température de l’eau est de 22 à 23 °C, celle de l’air est de 20 °C. Elle diminue ensuite progressivement pour éviter une croissance trop rapide des bourgeons jusqu’à atteindre 17 °C pour l’eau et 16 °C pour l’air en fin de saison (mars-avril). Après chaque lot la productrice réalise un nettoyage de la cuve au peroxyde. Une opération qu’elle effectue également en cas de problème sanitaire en cours de lot.
Commercialiser au plus près de l’exploitation
Laurie Lunel se concentre sur des débouchés locaux, à moins de 30 kilomètres de son atelier. Cette année, elle comptabilise une vingtaine de clients. « Je travaille avec un primeur, avec des revendeurs sur les marchés, avec des maraîchers qui ont besoin d’endives pour compléter leur gamme… Je livre aussi en dépôt-vente trois magasins de producteurs. C’est là que je valorise le mieux mes endives », explique Laurie Lunel. Elle propose à ses clients professionnels des colis « 1er choix » de 5 kilos au prix cette année de 3 € HT/kg. Elle mixe également 1er et 2e choix en colis de 5 kilos pour les magasins qui disposent de casiers automatiques, au prix de 2,80 € HT/kg. Enfin, elle commercialise une petite part en direct aux particuliers en colis de 4 kilos (2e choix) au prix de 10 € TTC le colis.