La firme sous l’œil des juristes
La « grande entreprise agricole » ou « firme » était le thème du dernier congrès de l’Association française de droit rural à Bourges.
La « grande entreprise agricole » ou « firme » était le thème du dernier congrès de l’Association française de droit rural à Bourges.

La notion de firme
La firme renvoie à quelque chose qui n’est pas forcément sympathique, admet François Purseigle. « Cette notion nous déstabilise car la République française s’est construite autour de l’image du petit paysan, d’où la difficulté à penser une agriculture sans agriculteurs, un travail agricole non familial », convient le sociologue. Les pays du nord de l’Europe, notamment les Anglais, ont fait un choix différent du nôtre qui a toujours été pensé sur une population familiale nombreuse. « Le concept de firme regroupe quatre figures », propose l’expert (voir Repères). Ces différentes figures de la firme agricole sont portées par de nouveaux acteurs de la production agricole (grandes familles d’entrepreneurs, fonds d’investissement, industriels, etc.) et reposent sur une multiplicité des unités de prises de décision, un recours plus important au salariat et un niveau d’investissement financier et technologique conséquent.
Une nouvelle typologie qui interpelle
Il y a une augmentation du nombre des très grosses exploitations (mais aussi des très petites). La concentration capitalistique concerne tous les secteurs et, contrairement à ce que l’on pourrait croire, le secteur des céréales connaît plus de diversité. De même, on n’a pas attendu les Chinois pour découvrir les grosses exploitations, déjà objets des investisseurs français. Actuellement, 90 % des fermes françaises sont proches du modèle familial contre 10 % aux allures de firmes. Parmi ces dernières, 6 % sont familiales et 4 % non familiales et intéressent surtout la viticulture et la production maraîchère. Le basculement vers l’agriculture de firme se produit avec l’industrialisation et la rationalisation en même temps qu’une structure organisationnelle plus complexe. Cette firme peut miser sur l’amont comme le groupe italien Bovina qui produit 20 000 têtes de bétail par an. Nécessitant anticipation, réactivité et innovation, la firme peut également être positionnée sur le circuit court. En Angleterre, une entreprise de maraîchage fournit plusieurs milliers de paniers par semaine à ses abonnés. En attendant, la firme suscite de nombreuses questions : Est-elle en mesure de proposer des prix attractifs pour l’aval sans pour autant ruiner l’agriculture ? Peut-elle offrir des produits de qualité obéissant à l’éthique ? Avec ce modèle d’exploitation, que devient le territoire ? Quelle est la taille critique de la firme à un moment où la permaculture est en vogue ?
Réguler la firme ?
Pour Fabien Barthe du cabinet Racine, cabinet d’avocats spécialisé en droit rural et particulièrement dans la défense des organisations professionnelles, il faut déterminer dans quelle mesure la firme agricole doit faire l’objet d’une régulation spécifique par le contrôle des structures en raison de ses conséquences potentielles sur l’évolution de notre agriculture. En outre, tenter d’empêcher son développement par le droit rural ne suffira pas nécessairement à sauvegarder le modèle familial. Et la régulation par le droit de l’environnement ? Pour Me Franck Barbier, avocat rennais, cette agriculture de firme ne paraît pas particulièrement handicapée par la mise en œuvre des règles de protection de l’environnement. D’ailleurs, elle semble plus en mesure d’y répondre du fait de ses capacités financières et techniques à pouvoir réaliser des investissements pour maîtriser les impacts environnementaux. Mieux, elle peut transformer les contraintes environnementales en nouvelles sources de profit grâce à la méthanisation, par exemple. Pour le Fisc, la méthanisation ne relève pas du revenu agricole mais commercial, pointe Christophe de Langlade, avocat du barreau de Compiègne. Enfin, pour Luc Bodiguel (CNRS Nantes), les firmes agricoles doivent se préparer à anticiper le passage de l’ère de l’irresponsabilité sociale à celle de l’éthique d’entreprise.
Guy Laluc
Le terme de firme est utilisé au sens générique d’une organisation productive qui s’éloigne du modèle familial et qui tend à épouser les caractéristiques des entreprises des autres secteurs de l’économie (industriel et/ou commercial).
Repères
4 figures de la firme agricole
La grande firme à dominante tant financière et spéculative qu’agricole, qui explore de nouvelles façons de créer du profit, inversant de façon significative le sens de la relation entre finance et production, entre objectif et activité, entre support financier et réalités d’entreprise.
La firme de groupe s’incarne au travers d’associations de producteurs ou de réseaux d’entreprises à la recherche de complémentarités et d’économies de gamme.
La firme commerciale de production qui s’appuie sur de nouveaux consortiums de sous-traitants et de nouvelles figures de gestionnaires de biens.
La firme appliquant de nouvelles formes d’intégration vers l’amont agricole.