Stéphane Le Foll, ancien ministre de l’Agriculture, auteur du livre “La première graine” :
« Il faut utiliser le débat public pour changer les intérêts privés »
La Fondation Jean-Jaurès a proposé à l'ancien ministre de l'Agriculture de défendre dans un essai son projet agroécologique. A l’occasion de la sortie de son livre, l’AFJA (association française des journalistes agricoles) a organisé, le 18 octobre, une rencontre-débat avec Stéphane Le Foll, animée par Nicole Ouvrard, présidente de l’AFJA et directrice des rédactions de l’agence Agra. Compte-rendu.
La Fondation Jean-Jaurès a proposé à l'ancien ministre de l'Agriculture de défendre dans un essai son projet agroécologique. A l’occasion de la sortie de son livre, l’AFJA (association française des journalistes agricoles) a organisé, le 18 octobre, une rencontre-débat avec Stéphane Le Foll, animée par Nicole Ouvrard, présidente de l’AFJA et directrice des rédactions de l’agence Agra. Compte-rendu.
Dans votre livre, vous parlez du mythe du “paysan”, du monde rural merveilleux…
Stéphane Le Foll : Le bouleversement des années 70-80 m’a vraiment marqué. En l’espace de deux ans dans les Côtes-d’Armor, on a vu arriver le remembrement du bocage, les porcheries industrielles... Cette révolution industrielle s’est faite à une vitesse incroyable, avec des conflits parfois violents : perte des terres, suicides… Je suis petit-fils d’agriculteur, j’ai eu une enfance dans le monde rural, avec des bocages, des petits tracteurs… Pour les enfants qu’on était, c’était un monde merveilleux. Mais mythifié. J’ai considéré ce monde rural comme un monde idéal mais, en même temps, il y avait déjà quelque chose qui n’allait pas. Le bien-être animal n’existait pas, l’exode rural était une vraie réalité, on ne gagnait pas beaucoup sa vie. C’est pour ça qu’on a un débat biaisé. “Les vraies valeurs du paysan qui laboure sa terre”, ce sont des foutaises ; malgré son rôle nourricier, l’agriculteur a toujours été en bas de l’échelle sociale. Aujourd’hui, avec les défis nouveaux, le cultivateur va pouvoir reprendre la place qui est la sienne. D’autant plus que la société agricole est capable tout le temps de réinventer des modèles, de se réinventer une modernité. Ce qui n’est pas le cas des autres secteurs.
Comment est née l’agroécologie ?
S. L. F. : Mon expérience de député européen a beaucoup joué. Quand je suis retourné au Parlement européen -à la Commission agricole-, j’avais arrêté l’agriculture depuis dix ans. Et je me suis rendu compte que les débats étaient toujours les mêmes, du moins dans ma formation politique : la baisse du nombre de paysans, l’opposition des gros contre les petits, le conventionnel contre le bio… Je voulais un renouvellement sur un modèle qui avait besoin de plus d’espaces et qui consomme de la forêt. Ça me semblait difficile. Et puis j’ai rencontré les pionniers de l’agroécologie, comme Philippe Pastoureau. La solution est venue du terrain ! Et pas de la recherche publique ou de nos instituts techniques ! Ce sont gens très pointus, ils n’appliquent pas un modèle, ils cherchent un modèle. Dans cette “France des diplômes”, c’est problématique que la solution vienne d’eux . Aujourd’hui, des défis nouveaux se présentent : on passe d’un modèle fondé sur la machine, la chimie et la génétique à une nouvelle modernité fondée sur la maîtrise des écosystèmes, de la photosynthèse et des sols. Tous ces cultivateurs qui expérimentent et qui étaient dans l’ombre, et bien, aujourd’hui, avec la photosynthèse ils vont entrer dans la lumière.
Pourquoi ce nom ?
S. L. F. : Agronomie plus écologie ! C’est vrai, le terme “écologie” a pu faire peur à certains. La FNSEA s’est construite sur son propre modèle “machines-chimie-génétique”, ça va prendre du temps de faire changer les mentalités. Mais un nom c’est important pour la communication dans le débat public. Et il faut utiliser le débat politique et l’opinion publique, c’est comme ça qu’on pourra faire basculer les intérêts privés. Pour une fois, ce n’est pas venu du ministère de l’Écologie. En revanche, de nouveaux noms fleurissent de partout par exemple la Nouvelle Agriculture de Terrena, au Canada ils parlent d’agriculture de régénération... C’est confusant. Le nom agriculture raisonnée, au niveau com’, c’est zéro cacahuète.
Quel modèle agricole français imaginez-vous ?
S. L. F. : La France se caractérise par de “petites” surfaces comparées à certains de nos voisins, avec une population importante, ce qui joue sur le coût du foncier. Mais nous avons des avantages : des saisons longues, un climat tempéré, et une expertise très avancée. Le modèle français doit donc être intensif -au regard des surfaces disponibles-, qualitatif -sinon les autres vont nous bouffer-, collectif et capable de nourrir tout le monde, le tout dans une bioéconomie avec des agriculteurs acteurs de l’économie verte. Et après le remembrement, je propose le “ré-arbrement” ; l’agroforesterie en fait partie. Ça existait avant le développement des monocultures. Par exemple, dans le Sud-Ouest on faisait pousser du haricot tarbais dans les tiges de maïs. On gagne de la place et on utilise le carbone pour faire pousser des légumes, des fruits…
Que pensez-vous du débat sur le glyphosate ?
S. L. F. : Le glyphosate, c’est un débat biaisé, on fait le procès de Monsanto -ce qui est légitime- mais on confond la symbolique. Il ne faut pas appréhender ce débat sous l’angle binaire « j’interdis le glyphosate, je suis un écolo, je l’autorise, je suis un salaud. » Il faut aussi remettre dans le contexte l’utilisation du glyphosate : elle est complètement différente de chaque côté de l’Atlantique. Au lieu de parler d’autorisation ou d’interdiction, il faut poser le sujet : y a-t-il une alternative au glyphosate dans un mode de production acceptable ? Car remplacer une molécule par une autre ne changera pas le fond du problème.
Que pensez-vous des pistes sorties des EGalim ?
S. L. F. : Je ne voulais pas parler politique mais bon… La construction du prix, l’approche filière : on brasse les mêmes débats qu’il a y dix ans. Il faut aller chercher la valeur la plus haute que le consommateur est prêt à payer. Il faut que les filières s’organisent. Quand la FNSEA demande de baisser les charges sociales car elles seraient la cause du problème, je rappelle qu’il ne faut pas oublier les charges opérationnelles (emprunts, phytos, etc.). L’idée c’est de ne plus être dépendant de l’amont (agrofourniture) et de l’aval (surplus). Lorsqu’aux EGalim, on veut caler les prix sur les coûts de production, il faut faire attention. Avec la baisse du prix du pétrole, les coûts de production diminuent. Ça veut dire qu’il faut baisser les prix ? C’est le revenu qui devrait être pris en compte.
Quel bilan tirez-vous de vos cinq ans en tant que ministre de l’Agriculture ?
S. L. F. : Il est trop tôt. Les projets que j’ai portés, l’agroécologie, l’initiative 4 pour 1 000…, sont de gros projets impliquant des gros changements.