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Fraise : la filière française des plants s’adapte pour maintenir une offre de qualité

Les producteurs de plants de fraisiers envisagent plusieurs pistes pour préserver une offre de plants de qualité. Si la filière est confrontée à de nombreux enjeux, la production de plants de fraisiers est relativement stable en France ces dernières années.

Les stolons servant à fabriquer les trayplants et mottes sont prélevés sur les pieds mères cultivés principalement en pleine terre jusqu’à présent. © Anjou Plants
Les stolons servant à fabriquer les trayplants et mottes sont prélevés sur les pieds mères cultivés principalement en pleine terre jusqu’à présent.
© Anjou Plants

Après avoir fortement diminué depuis dix ans suite à la délocalisation d’une partie des surfaces en Espagne et au Maroc, la production de plants de fraisier en France est relativement stable ces dernières années. Le secteur compte un peu moins de vingt pépiniéristes, certains ne faisant que l’élevage de plants après achat de stolons. Ces professionnels exploitent 207 ha de pépinières, essentiellement en Loir-et-Cher, Maine-et-Loire et Lot-et-Garonne. S’y ajoutent cinq laboratoires de production in vitro du matériel de base. « La production de plants de fraisiers nécessite des terres sableuses, précise Hugues de Boisgrollier, référent technique national « Semences et plants potagers certifiés » du Service officiel de contrôle et de certification des semences et plants (SOC) du GNIS, l’interprofession de la filière semences et plants. La délocalisation en Espagne et au Maroc a été liée aux débouchés en Espagne, au coût de la main-d’œuvre dans ces pays et à la présence de terres vierges, avec une qualité de plants équivalente et dans l’ensemble le respect des pratiques autorisées en France. Mais depuis cinq ans, les surfaces en France sont relativement stables. » En 2018-2019, 91 millions de plants ont été certifiés par le SOC selon le schéma de certification du Syndicat National des Producteurs de Plants de Fraisiers Officiellement Contrôlés (SNPPFOC), schéma qui garantit le maintien de la variété et la qualité sanitaire des plants. Globalement, le secteur réalise 25 M€ de chiffre d’affaires et occupe 800 ETP. 25 à 30 millions de plants sont par ailleurs importés du Maroc, d’Espagne, d’Italie (variétés Cléry et Murano, très cultivées en France et uniquement produites par des pépiniéristes italiens), des Pays-Bas et de Belgique, essentiellement sous forme de trayplants, stolons ou mottes.

Interdiction du métam-sodium

Le secteur fait toutefois face à plusieurs défis. Le différentiel de coût de main-d’œuvre est le point essentiel. Alors que la main-d’œuvre représente en France plus de 45 % du coût de production, d’autres pays producteurs de plants sont en situation plus favorable. La réduction des solutions phytosanitaires, notamment de désherbage est le second critère. « Le coût du désherbage augmente depuis plusieurs années, souligne Frédéric Angier, directeur commercial des pépinières Angier International. Les seuls herbicides autorisés sont un anti-germinatif avant la mise en place de la pépinière et un anti-graminées. Or, les possibilités de désherbage mécanique en pépinière sont très limitées. Il faut désherber manuellement. Pour 60 ha, cela représente 30 personnes pendant 4 mois d’été. » Un autre point a été l’interdiction fin 2018 du métam-sodium, utilisé en désinfection de sol et qui permettait d’assez bien gérer l’ensemble des pathogènes du fraisier (champignons, nématodes), avec également un effet sur les adventices. La seule substance autorisée en désinfection est désormais le dazomet (Basamid), molécule efficace contre les champignons et nématodes, mais avec un moindre effet sur les adventices et surtout beaucoup plus coûteuse que le métam-sodium. Avec l’obligation de bâchage et la gestion de la fin de vie des plastiques souillés, le coût de la désinfection est ainsi passé de 4 000 € par ha à 9 000 € par ha. « Alors que l’Espagne et l’Italie ont encore un usage autorisé du métam-sodium, mais aussi par dérogation de la chloropicrine, efficace sur champignons et très bon herbicide, et du dichloropropène, efficace contre les nématodes, note Jean-Jacques Pommier, consultant technique auprès du SNPPFOC. Ces molécules sont en cours ou en attente de réévaluation et seront peut-être interdites à court terme dans l’UE. Mais en attendant, des pays en disposent encore et il est difficile de se projeter dans l’avenir. » En novembre 2019, via le SNPPFOC, les pépiniéristes ont donc annoncé une augmentation des tarifs de 15 € aux 1 000 plants, pour compenser le surcoût de la désinfection. Malgré tout, l’augmentation du coût de la désinfection des sols est un défi pour la filière, alors que parallèlement, le nouveau règlement de santé des végétaux renforce les exigences de qualité sanitaire des végétaux.

Production hors-sol des stolons

Les pépiniéristes réfléchissent donc à d’autres moyens de lutte contre les pathogènes. La désinfection vapeur, très chronophage et gourmande en carburant, n’est pas adaptée au fraisier. L’utilisation de champignons antagonistes ou mycorhizes (Trichoderma, Rhizophagus, Gliocladium…) est envisagée, mais uniquement contre les champignons. Une autre piste est de faire des rotations plus longues par achat ou location de terres. « Toutefois, la disponibilité en terres sableuses est limitée et cela complique la gestion du personnel et du matériel », souligne Hugues de Boisgrollier. Une autre piste encore, déjà explorée par 30 % des pépiniéristes, est la production hors-sol des stolons utilisés pour les trayplants et mottes. Les pieds mères sont plantés en bac ou sac de substrat organique, au sol sur bâche ou sol bétonné, ou sur des gouttières, sous tunnel ou multichapelle. Les stolons sont prélevés en juin-juillet et repiqués pour produire les trayplants et mottes. Presque tous les stolons vendus par Marionnet et deux tiers de ceux de Planasa sont ainsi produits en hors-sol. « Le hors-sol pour la production de stolons est une vraie piste, estime Jacques Bertrand, responsable commercial des Pépinières Martaillac, qui veut passer toute sa production de stolons en hors-sol d’ici deux ans. Il implique par contre des investissements élevés dans des serres spécifiquement conçues pour la production de plants et en fertirrigation, mais ne nécessite pas de chauffage. La serre n’est de plus utilisée que cinq mois par an. » Le hors-sol n’est toutefois qu’une solution partielle. Il n’est pas possible pour les plants en racines nues. Et même pour les trayplants et mottes, une première phase de multiplication en sol reste nécessaire. « Par ailleurs, les fraisiculteurs qui autoproduisent leurs plants préfèrent souvent les stolons de sol, qu’ils jugent plus résistants et plus faciles à repiquer que les stolons hors-sol », note Jean-Luc Durand, directeur commercial des Pépinières Marionnet. « Le hors-sol permet de sécuriser la production de stolons, mais ne coûte pas moins cher que la désinfection », analyse Frédéric Angier. Dans ce contexte, les pépiniéristes cherchent à se démarquer par une offre de variétés gustatives, résistantes et productives et mettent en avant l’origine française des plants, la proximité, les facilités de négociation. Certains se lancent aussi dans le plant bio, même si la demande reste limitée. Quatre pépinières ont aujourd’hui la certification AB, pour 1 à 2 millions de plants. D’autres développent une offre de plants adaptés à la production de fraises Zéro résidu de pesticides, en bannissant les molécules les plus persistantes. « Beaucoup d’entreprises du secteur sont de petites structures qui n’ont pas les moyens d’investir dans le hors-sol ni dans la production de stolons au Maroc ou en Espagne, analyse Hugues de Boisgrollier. Une piste pourrait être qu’elles achètent des stolons au Maroc et se concentrent sur la production des trayplants et mottes. »

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75 % des surfaces en variétés françaises gustatives

Sur 40 variétés de fraisiers produites en France, 10 représentent près de 80 % des plants. Charlotte, Ciflorette, Cirafine, Gariguette et Mara des bois représentent 64 % de la certification, Anabelle, Cijosée, Gento, Magnum et Mariguette 15,5 %.

Quelles conséquences du Covid-19 ?

Le Covid-19 a eu jusqu’ici peu d’impact pour les pépiniéristes, l’essentiel des plants étant déjà en place ou livrés au début du confinement. Les opérateurs sont par contre inquiets pour cet été, les besoins en main-d’œuvre en juillet-août étant très importants et la filière faisant largement appel à la main-d’œuvre polonaise, portugaise, bulgare… Tous espèrent que la circulation de la main-d’œuvre européenne sera maintenue d’ici là. Le secteur s’inquiète aussi pour ses clients, producteurs de fraises et horticulteurs fournissant les jardineries, et donc pour ses débouchés. Un autre impact est l’incertitude sur la disponibilité en plants importés, notamment de la variété Cléry, exclusivement importée d’Italie. Des producteurs passent leurs commandes plus tôt cette année car ils ont des doutes sur la disponibilité en plants italiens.

Développement des trayplants et mottes

Plus de la moitié des plants sont désormais vendus en trayplants et plants mottes. La demande et l’offre s’orientent vers les « plants spécifiques ».

 

 
Près de 50 % des plants produits en France sont encore vendus en racines nues. Les plants frais ne sont pratiquement plus utilisés. L’essentiel est des plants frigo pour lesquels le stolon enraciné et développé est prélevé en phase de dormance et placé à -2°C. Il est ensuite planté en juillet, pour une récolte au printemps suivant. Par rapport au plant frais, le plant frigo apporte de la souplesse et une meilleure reprise. Il est peu coûteux, mais implique une longue durée de culture.

 

Le hors-sol utilise du trayplant

De plus en plus toutefois, la demande et l’offre s’orientent vers les « plants spécifiques » produits à partir de stolons prélevés sur les pieds mères, repiqués sur du substrat et élevés en aire d’élevage de 3-4 semaines à 4-5 mois, avec en général une prise de froid en frigo. Les plus demandés et les plus coûteux sont les trayplants, pour lesquels le stolon est repiqué sur une grosse motte et élevé 4 à 5 mois. Il est ensuite planté de novembre à mars, pour une arrivée en production en 2 à 3 mois, avec un potentiel précoce de rendement. On trouve aussi des minitrays, repiqués sur une motte intermédiaire, élevés 2 à 3 mois, plantés de décembre à mars. Moins coûteux que le trayplant, le minitray permet un rendement plus linéaire, avec un premier jet précoce inférieur. Enfin, le plant motte, surtout utilisé en sol, est repiqué sur une petite motte, élevé 3 à 4 semaines pour être planté en août et produire au printemps suivant. Moins coûteux que le trayplant, mais plus que le plant frigo, il a un potentiel de rendement inférieur au plant frigo et une longue durée d’occupation de la parcelle. « Et plus la motte est petite, plus la production sera non programmée », souligne Jean-Jacques Pommier. A peu près tout le hors-sol utilise aujourd’hui du trayplant, qui produit en 60-90 jours et assure une grosse production au premier jet, quand le marché est le plus porteur, ou parfois en minitrays en variétés remontantes. 90 % des Gariguettes, dont le plant se conserve mal en frigo, sont cultivées à partir de trayplants. « Et la pression de ravageurs comme Drosophila suzukii renforce encore l’intérêt du trayplant qui permet de faire le rendement au printemps, avant l’arrivée des ravageurs », note Eugène Floc'h, directeur d’Anjou Plants. L’interdiction du métam-sodium, qui devrait renforcer l’orientation vers le hors-sol, devrait aussi favoriser le trayplant.

Questions à

Jacques Bertrand, président du Syndicat National des Producteurs de Plants de Fraisiers Officiellement Contrôlés (SNPPFOC)

Le règlement européen de santé des végétaux aura-t-il un impact sur l’offre de plants ?

Pour les pépiniéristes français, il change peu de chose. Grâce au schéma de certification du SOC, la production de plants de fraisiers en France répondait déjà à la plupart des exigences du règlement. Il y avait déjà l’obligation de rotation d’au moins 4 ans entre deux cultures et des contrôles des principaux organismes nuisibles, phytophtora, nématodes, maladies du sol en général. Le nouveau règlement, qui se substitue aux réglementations nationales, remet tous les Etats membres sur un pied d’égalité.

Les contrôles seront-ils renforcés ?

Il y avait déjà des autocontrôles par les pépiniéristes et 4 contrôles par an du SOC, à chaque étape de la production de plants. Le règlement met en avant les autocontrôles, qui se font selon une grille d’évaluation des risques établie selon la dangerosité de l’organisme nuisible et son occurrence. Les protocoles sont désormais formalisés et harmonisés et il y aura toujours 4 visites par an du SOC. Pour les pépiniéristes, cela représente plus de travail d’enregistrement, mais dans l’ensemble, les garanties apportées restent les mêmes.

Avis d’expert :

Jean-Jacques Pommier, consultant auprès du SNPPFOC pour les questions phytosanitaires

 

 
« Un nouveau règlement en santé des végétaux »

« Depuis le 14 décembre 2019, le règlement européen 2016/2031 définit le cadre de la circulation des végétaux au sein de l’UE. L’objectif est d’éviter l’introduction et la dissémination dans l’UE d’organismes nuisibles aux végétaux. Les pathogènes sont classés en Organismes de Quarantaine, prioritaires ou de zone protégée, et en Organismes Réglementés Non de Quarantaine. Le fraisier est concerné par 37 organismes réglementés non de quarantaine. Pour se conformer au règlement, les pépiniéristes ont dû lister les organismes nuisibles potentiellement présents, faire une analyse des risques pour chaque étape de production et définir un plan de gestion des risques et d’autocontrôle. Le règlement établit aussi de nouvelles règles pour le Passeport Phytosanitaire qui garantit la qualité sanitaire des végétaux commercialisés. Le passeport qui suivait la documentation de livraison est désormais apposé sur l’unité commerciale et son contenu et son format sont harmonisés au niveau européen. Les plants arrivant des pays tiers devront par ailleurs avoir une équivalence au règlement européen. »

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