Dossier Biocontrôle : « Il faut des produits robustes et pratiques »
Interview d'Emmanuel Pajot, consultant Innovations biointrants agricoles.
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Le biocontrôle doit franchir un cap
Quelles sont les clés du développement des produits de biocontrôle ?
Pour qu’un produit de biocontrôle se développe, il faut avant tout qu’il soit robuste, pas trop sensible aux conditions climatiques, qu’il fonctionne pour plusieurs espèces et variétés, qu’il ait une plage d’efficacité assez longue. Il doit aussi être facile à utiliser, avec une formulation adaptée, pour ne pas trop modifier les habitudes des producteurs et qu’ils n’aient pas par exemple à changer de matériel. Certains produits nécessitent un trempage, puis une heure d’attente avant application. Des micro-organismes, à base de spores notamment, doivent être réhydratés à température ambiante pour une efficacité optimale. Si on additionne les contraintes d’application, cela décourage les utilisateurs. Il faudrait aussi que les agents de biocontrôle soient compatibles avec les produits phytosanitaires conventionnels, car bien souvent, notamment pour les antifongiques, ils sont associés ou alternés avec ces produits. Une autre clé pour renforcer l’efficacité des agents de biocontrôle sera sans doute le développement de substances synergiques, qui n’ont pas d’efficacité propre mais démultiplient l’efficacité des agents de biocontrôle.
La recherche-développement doit-elle évoluer pour ces produits ?
Il faudrait faire évoluer les protocoles d’évaluation des produits de biocontrôle. Souvent, des agents utilisés seuls sont très efficaces en laboratoire, mais beaucoup moins aux champs à l’échelle de l’itinéraire technique qui fait intervenir de multiples facteurs. Intégrés dans un itinéraire les associant à des produits phytosanitaires, ils apportent une satisfaction globale, mais la performance reste dépendante des produits conventionnels. Des progrès dans la connaissance et le développement d’itinéraires techniques utilisant moins de phytos seraient nécessaires. Cela permettrait d’identifier rapidement les itinéraires les plus économes en intrants conventionnels et de limiter la dépendance des agents de biocontrôle. Pour cela, il faudrait développer des bio-tests permettant de modéliser et évaluer des itinéraires techniques en laboratoire. Ce type d’outils permettrait aussi de mieux prendre en compte la complémentarité entre la variété et l’agent de biocontrôle.
Comment favoriser la mise au point de produits de biocontrôle ?
Les politiques publiques en France sont a priori favorables au biocontrôle. La loi Egalim exempte les agents de biocontrôle de l’interdiction des rabais, ristournes, des obligations de mesures de protection des personnes pour traiter près des habitations, de la séparation du conseil et de la vente. Ce dernier point est toutefois discutable, car il implique que le producteur ait une source de conseil pour les phytos et une autre pour le biocontrôle, ce qui semble peu cohérent. Il faudrait aussi accompagner les acteurs du biocontrôle dans les procédures d’homologation. De 2011 à 2017, la moitié des substances enregistrées au niveau européen sont des bio-pesticides. Mais pour une start-up, les procédures pour y arriver sont longues et coûteuses. Pour obtenir une AMM en biocontrôle, il faut 36 à 48 mois et 1,5 à 5 M€. Il faudrait mieux accompagner financièrement les petites structures dans le développement technique des produits. Aujourd’hui, la croissance du marché du biocontrôle attire de nouveaux acteurs, issus notamment de l’agroalimentaire. Ces opérateurs, même s’ils en ont la capacité financière, ont besoin d’appui pour définir leur stratégie et bien comprendre les barrières notamment réglementaires à l’entrée de ce marché.
Et comment inciter les agriculteurs à les utiliser ?
Il faudrait développer l’information et la formation des agriculteurs et des techniciens qui interviennent auprès d’eux. Mais un agriculteur qui veut se lancer dans le biocontrôle doit avant tout être décidé et convaincu. Il doit être prêt à passer plus de temps en observation, tout du moins au début, car l’introduction du biocontrôle ne se fait pas simplement en substituant un produit à un autre. Certains voudront sécuriser leur production en associant le biocontrôle à des produits phytosanitaires à dose réduite ou en alternance. C’est aujourd’hui une des solutions privilégiées. Et si tous les producteurs adoptaient le biocontrôle en diminuant les doses de produits phytosanitaires, cela permettrait probablement d’atteindre les objectifs de réduction de 50 % du recours aux produits phytosanitaires d’ici 2025.
Développer la formation
Les besoins étant importants, des formations sur le biocontrôle se mettent peu à peu en place.
Le domaine du biocontrôle étant relativement nouveau et très technique, la formation est un élément majeur pour permettre son développement. « Il y a nécessité à développer la formation », insiste Denis Longevialle, secrétaire général d’IBMA France. Le manque de formation et d’accompagnement est même cité par 41 % des agriculteurs comme l’un des principaux freins à une plus large adoption des produits de biocontrôle, dans l’enquête réalisée pour IBMA France (voir page 10). Dans l’objectif de répondre à ce besoin, l’association, en partenariat avec l’organisme de formation Leno, a fondé en 2013 l’Académie du biocontrôle et de la protection biologique intégrée. Composée d’experts du biocontrôle, l’Académie propose depuis 2017 des formations clés en main (formations inter-entreprises) ou à la carte (formations intra-entreprise) de deux à cinq jours, à destination des conseillers, distributeurs, enseignants, formateurs, agriculteurs, étudiants. Objectifs des formations clés en main : connaître la réglementation dans le domaine de la protection biologique intégrée et du biocontrôle, comprendre les mécanismes d’action et la mise en œuvre des produits de biocontrôle (les différents types) et appréhender une démarche globale, du diagnostic à l’élaboration d’un programme de protection. Plusieurs sessions sont prévues en 2019 à Bordeaux, Angers, Paris, Montpellier, Lyon, Lille.
Un outil de formation européen
Une autre initiative dans le domaine est le projet européen BET (Biocontrol e-training), mené en partenariat avec Erasmus +, qui vise à créer un outil de formation européen et à distance sur le biocontrôle. L’outil s’adresserait aux formateurs (organismes de formations, universités, écoles, chambres d’agriculture, instituts techniques), ainsi qu’aux étudiants, aux agriculteurs et à tous les professionnels de la filière. Une enquête est en cours pour identifier les besoins en formation dans le domaine du biocontrôle. Le biocontrôle prend aussi peu à peu sa place dans l’enseignement supérieur agricole et agronomique, des écoles comme AgroParisTech, Montpellier SupAgro, l’ISA de Lille ou AgroCampus Ouest proposent désormais des formations spécifiques sur le biocontrôle. Enfin, des formations sur le biocontrôle sont aussi de plus en plus proposées par les fabricants de produits, les instituts techniques, les organisations de producteurs, les prescripteurs, les distributeurs…