Chefs de culture, qui êtes-vous ?
Le nombre de chefs de culture est appelé à se multiplier : ils devraient occuper une place de plus en plus prépondérante au sein des exploitations agricoles. Pourtant, aucune statistique publique ou même professionnelle n’a cherché à les identifier. Une thèse inédite de sociologie qui porte sur le secteur des fruits et légumes met en lumière ces inconnus que sont les chefs de culture et qui pourraient devenir, selon son auteur Loïc Mazenc, « les têtes de pont d’un nouveau capitalisme agricole ».
Le nombre de chefs de culture est appelé à se multiplier : ils devraient occuper une place de plus en plus prépondérante au sein des exploitations agricoles. Pourtant, aucune statistique publique ou même professionnelle n’a cherché à les identifier. Une thèse inédite de sociologie qui porte sur le secteur des fruits et légumes met en lumière ces inconnus que sont les chefs de culture et qui pourraient devenir, selon son auteur Loïc Mazenc, « les têtes de pont d’un nouveau capitalisme agricole ».
Qui sont les chefs de culture ? En quoi consiste leur activité ? Il était difficile jusqu’ici de répondre à ces questions, comme ceux-ci étaient simplement rattachés, dans le cadre du recensement agricole, à la catégorie des salariés permanents non familiaux ou cadres salariés. Pour remédier à cette absence de données, Loïc Mazenc a mené une enquête sur le métier de chef de culture dans le secteur des fruits et légumes. Des travaux qui ont débouché sur une thèse de doctorat en sociologie, intitulée « Les chefs de culture : des interprètes contrariés du nouveau capitalisme agricole », récompensée par un prix de l’Académie d’agriculture de France.
Pourtant, les chefs de culture n’ont pas toujours été mésestimés. Se plongeant dans les archives de la Société des agriculteurs de France (SAF), de 1811 à 1945, Loïc Mazenc a découvert que les chefs de culture jouissaient d’une position privilégiée et d’un véritable statut, reconnus par la société. Ils se voyaient récompenser par des prix d’horticulture à l’occasion de concours et jouaient un rôle essentiel dans la modernisation de l’agriculture jusque dans les colonies. Et puis, au fil du temps, le salariat agricole a été relégué au second plan au profit de la figure du chef d’exploitation, mise en avant par les politiques agricoles au nom du refus d’une industrialisation de l’agriculture.
De la gestionnarisation des exploitations
« Sauf, qu’aujourd’hui, les typologies des entreprises agricoles évoluent. Il y a une tendance nette à l’agrandissement. Ces grandes exploitations ont besoin de chefs de culture et leur nombre devrait croître ». Loïc Mazenc a d’ailleurs concentré ses travaux sur des exploitations dont la surface avoisine les 2 500 ha de fruits et légumes et emploient une masse salariale importante qui va jusqu’à 500 salariés. « Il s’agit d’un type d’exploitations bien spécifique qu’on ne soupçonne pas forcément, car elles sont souvent dispersées sur plusieurs sites (départements ou pays) qui s’agrandissent par la location de terres ou le rachat d’exploitations non viables. Une accumulation qui s’appuie sur une gestionnarisation de l’exploitation en lien direct avec leur agrandissement. D’où la nécessité pour le chef d’exploitation de pouvoir compter sur un ou des chefs de culture. Dans les exploitations que j’ai étudiées, j’ai pu compter jusqu’à six chefs de culture. Le chef d’exploitation ne monte évidemment plus sur le tracteur, à charge pour lui d’aller négocier des contrats avec la grande distribution, de traiter avec les syndicats. Le chef de culture joue alors un rôle d’intermédiaire entre un agriculteur politique et stratège et un salarié exécutant. Ce qui fait des chefs de culture les têtes de pont d’un nouveau capitalisme agricole », analyse Loïc Mazenc. Et d’ajouter : « ceci est particulièrement vrai dans le secteur des fruits et légumes ». Toutefois, la profession de chef de culture ne s’exerce pas essentiellement dans la sphère des grandes exploitations étudiées par Loïc Mazenc. Sans données chiffrées ni investigations précises, les chefs de culture sont aussi présents dans des exploitations de tailles plus réduites et assurent des fonctions d’appui tout comme de partage de compétences avec le chef d’exploitation.
Des chefs de culture qui se rêvent chefs d’exploitation
Si, parfois, l’agriculteur qui a vu son exploitation rachetée devient le chef de culture de la nouvelle entreprise, ce n’est pas le profil le plus prisé par ces nouveaux acteurs de la production. « Ils sont à la recherche d’ingénieurs agri ou agro, ayant effectué des stages ou travaillé à l’étranger qui auront donc toutes les compétences requises pour exercer une fonction d’encadrement dans une grande entreprise », relate l’auteur. Bien que les écoles d’ingénieurs se féminisent, le métier de chef de culture est et devrait rester essentiellement masculin. « La première barrière à l’entrée dans le métier pour les femmes est le simple fait d’être une femme. Le sexisme demeure, même s’il n’est pas propre à l’agriculture et aux grandes entreprises », commente-t-il. Pour attirer ce profil de candidats et les fidéliser, les entreprises sont dans l’obligation d’aligner leur grille de salaire sur celle communément proposée à de jeunes titulaires d’un diplôme d’ingénieur.
Ainsi, selon Loïc Mazenc, dans ce monde agricole des grandes exploitations, les chefs de culture sont plutôt bien payés. « Cela peut aller jusqu’à 4 000 €. Un salaire souvent accompagné de nombreux avantages comme une voiture de fonction », précise le doctorant. Tout ceci contribue-t-il à en faire des salariés heureux ? « Nombre de chefs de culture que j’ai interrogés déplorent que le travail qu’ils font n’est pas celui qu’ils avaient souhaité. La gestionnarisation du métier, en particulier, les éloigne du contact avec la terre qui était leur motivation première et qu’ils considèrent comme le cœur de leur métier. Ces jeunes ingénieurs chefs de culture ont tous en tête l’idée, un jour, de s’installer et d’être chefs d’exploitation. Le fait de devenir chef de culture n’a jamais été une vocation. Cette situation de salariat est vécue comme subie ou, au mieux, comme une transition. Ce qui interroge même la notion de salariat avec l’idée qu’au fond, si celui-ci est bon pour l’industrie, en agriculture, rien ne peut supplanter le travail indépendant », conclut Loïc Mazenc. Une conclusion propre à l’auteur que les témoignages d’expériences de chefs de culture depuis plus de vingt ans au sein d’une même exploitation viennent relativiser (voir encadré).