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Brexit : les grossistes de Londres font preuve de résilience

Certains grossistes fruits et légumes de New Covent Garden à Londres sont spécialisés dans le produit français, et cela depuis plusieurs décennies. Avec le Brexit, s’approvisionner est devenu un jeu compliqué.

Situé sur la rive sud de la Tamise, à seulement trois kilomètres du centre de Londres, New Covent Garden approvisionne restaurants étoilés, pubs, étals de marché, écoles, hôpitaux, semi-grossistes et aussi Sa Majesté la Reine. Pas étonnant que le produit français y ait trouvé sa place.
© Tommy Leighton

Principal marché de gros au Royaume-Uni, New Convent Garden, à Londres a assuré un chiffre d’affaires global en 2021 a atteint 489 M£ (566 M€) ; les fruits et légumes y ont participé à hauteur de 333 M£ (386 M€). Cette performance doit être tempérée car elle fait suite à la difficile période de pandémie qui a fortement perturbé l’activité. On peut considérer que le chiffre d’affaires normal de New Covent Garden est d’environ 650 M£ par an (753 M€).

European Speciality Food (ESF) et The French Garden sont deux grossistes en fruits et légumes bien connus sur le marché de Rungis. Toutes deux gèrent la situation engendrée par le Brexit en assurant une présence directement en France (The French Garden dispose d’un entrepôt pour massifier ses achats dans le bâtiment C3 de Rungis).

Une offre française maintenue

Tim Garrett, directeur général d’European Speciality Food, explique : « Les Français sont encore assez contrariés que nous soyons partis. Ils étaient convaincus que nous ne partirions pas. Nous ne nous attendions pas non plus à partir. Le Brexit a été la pire décision que la Grande-Bretagne ait prise depuis la Deuxième Guerre mondiale, mais nous achetons 80 % de tout ce que nous vendons à la France, donc nous savions que nous n’aurions pas d’autre choix que de trouver un moyen de nous en sortir. À mon avis, les choses se sont avérées beaucoup plus difficiles qu’elles n’auraient dû l’être ».

 

 

En revanche, pour l’instant, l’offre en fruits et légumes français demeure, comme il le confirme : « Nous achetons à peu près la même gamme que nous avons toujours eue. La principale différence est que nous avons un choix moindre de fournisseurs. J’avais cinq fournisseurs de tomates mélangées. Aujourd’hui, c’est deux, par exemple ».

Le son de cloche est similaire du côté de The French Garden : « Rien n’a beaucoup changé en termes de produits que nous achetons. En revanche, nous achetons sur Rungis plus que nous ne l’avons jamais fait auparavant, précise Ian Furness, directeur général de The French Garden. Notre filiale dédiée à la RHF “Le Marché” en est la principale raison : elle source la majorité des produits français à The French Garden ».

Dédouaner directement en France

Directeur de The French Garden, Nathan Humphries explique la difficulté de s’approvisionner en France. « Nous chargeons entre cinq et neuf camions par semaine à partir de Rungis et la plus grande difficulté est que nous pouvons avoir 2 000 colis pour 250 commandes différentes sur un seul véhicule, précise-t-il. Alors que nous avions l’habitude de charger et de partir et que tout se passait en un seul mouvement, nous devons maintenant avoir toute une documentation (codes de marchandises, noms, poids etc.) pour chacun des produits. Nous avons toujours eu nos propres documents internes et un manifeste quotidien, bien sûr, mais maintenant nous devons produire divers documents douaniers en plus. »

ESF a aussi passé le pas de l’installation en France. « Nous avons créé une société de droit français pour acheter et dédouaner parce que les autorités françaises ne nous laissaient pas traiter directement avec eux », explique Tim Garrett.

Cela fait toute la différence. ESF ne paye que 75 € par camion (six fois par semaine sur Rungis) : autrement, la société aurait à payer 75 € par ligne de commande. « Si nous ne faisons pas tout correctement, une erreur peut coûter beaucoup d’argent. Mais nous appliquons la loi à la lettre et, en général, cela nous a été d’une grande utilité », se félicite-t-il.

 

 

 

Passer la frontière : une aventure !

Le passage de la frontière est toujours un moment délicat. « Les problèmes à la frontière signifient que nous voyons souvent nos camions retardés par la paperasse, souvent parce que le site web des Douanes britanniques est en panne ! Et d’autres problèmes se greffent : je suis en attente d’une palette de purée d’ail et c’est en retard parce que mon fournisseur ne peut pas obtenir de pots en plastique. Je n’ai jamais connu cela auparavant », se lamente Tim Garrett.

The French Garden sécurise ses transports, mais cela n’empêche pas quelques déconvenues. « Nous n’éprouvons pas trop de problèmes de retards avec nos propres véhicules, car nos documents sont corrects, explique Nathan Humphries, mais les retards peuvent être engendrés par des entreprises tierces, car tout le monde n’est pas aussi vigilant. »

Un avenir toujours incertain

L’obligation de certificats phytosanitaires devait entrer en œuvre en juillet. Le gouvernement britannique a préféré la repousser à fin 2023.

Cela ne réassure pas complètement les opérateurs londoniens. « C’est une bonne chose, mais nous savons que cela va arriver. L’incertitude sur le moment où ces changements interviendront rend la planification très difficile », reconnaît Ian Furness. Tim Garrett considère néanmoins que « le gouvernement sait que s’il met en œuvre cette réglementation, cela va avoir un impact financier très lourd pour les entreprises du pays. Je m’attends à ce qu’il édulcore le texte ou ne le mentionne plus ».

 

 

Pour la suite, c’est toujours le flou. « Personne ne sait à quoi s’attendre, que ce soit en France ou au Royaume-Uni, reconnaît Ian Furness. Je pense qu’il y a plus d’infrastructures en place pour faire face au changement au Royaume-Uni – nous nous préparons parce que nous savons que nous devons le faire. Mais en France, les gens le font à leur propre rythme. Il est toujours très bénéfique pour les exportateurs Français de vendre aux entreprises britanniques, car nous achetons de gros volumes, mais tout le monde est en difficulté et nous devons tous y faire face à notre manière. »

Merci à Tommy Leighton, responsable presse de New Covent Garden, pour son aide précieuse.

« Nous achetons à Rungis plus que nous ne l’avons jamais fait auparavant » : Ian Furness, directeur général de The French Garden.

« Nous achetons à peu près la même gamme que nous avons toujours eue. La principale différence est que nous avons un choix moindre de fournisseurs » : Tim Garrett, directeur général d’European Speciality Food.

Brexit : le coup de gueule d’un logisticien anglais

Le Brexit frappe aussi fortement les activités logistiques du pays. Le report de la mise en place des contrôles phytosanitaires à l’entrée du marché britannique en juillet a été une vraie bombe pour la profession. Les médias locaux se sont fait l’écho des déboires de Portsmouth : pour assurer le contrôle aux frontières, le port a investi 25 M£ (29,34 M€) dans un bâtiment flambant neuf de 4 500 m² avec 14 quais de chargement, zones de contrôles réfrigérées et de détention bio-sécurisées…qui pour l’heure ne sert à rien !  Au point que l’association des ports britanniques entend assigner le gouvernement devant un tribunal.

Une action en justice, c’est ce qu’envisage aussi PML Ltd, un logisticien de référence dans le domaine du transport des denrées périssables. Son PDG, Mike Parr ne décolère pas : « Nous nous sommes toujours efforcés de garder une longueur d'avance sur tout changement prévu dans la législation susceptible d'avoir un impact sur nos clients. À une époque où nous luttions également contre les défis associés au Covid-19, nous avons engagé d'énormes ressources pour nous assurer que nous étions prêts à adapter notre entreprise aux nouvelles exigences du Brexit. Ce nouveau revirement du gouvernement a engendré des coûts importants pour notre entreprise et qui pourrait signifier la disparition de nombreux transitaires qui sont désormais sérieusement fragilisés. Nous sommes les victimes de pensées chaotiques et de stratégies irréfléchies qui non seulement causent des perturbations et du mécontentement, mais infligent également des difficultés financières ».

 

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