[Exploitations laitières] Une forte disparité dans le renouvellement des générations en France
Alors qu’une grosse vague de départs en retraite est en cours, et que des abandons du lait ont lieu, le remplacement des départs de chefs d’exploitation est problématique dans de nombreuses régions.
Comment préserver une dynamique laitière en France dans les prochaines années ? Tel était le thème du colloque organisé par la Confédération paysanne avec le soutien du Cniel et du Criel Normandie lait le 18 novembre dernier(1). La question ne date pas d’aujourd’hui. Mais elle se pose d’autant plus que la baisse du nombre de chefs d’exploitations s’accélère ces dernières années. « Nous sommes face à des transformations intenses dans un secteur de poids. Le secteur laitier bovin est encore le premier secteur pourvoyeur d’emplois agricoles non salariés. Mais c’est aussi celui où la réduction du nombre de chefs d’exploitation est la plus rapide », a expliqué Christophe Perrot, de l’Institut de l’élevage.
Le nombre de chefs d’exploitation en système bovins lait et mixte a reculé de 2,9 % par an en moyenne entre 2010 et 2020. La réduction est deux fois plus rapide que la moyenne générale en agriculture (-1,3 %). « En intégrant toutes les exploitations laitières (y compris polyculture-élevage), la chute est même de 4 % par an depuis 2016. »
Le plus mauvais taux de remplacement en agriculture
Le renouvellement des chefs d’exploitation dans les années à venir sera d’autant plus problématique que près de la moitié d’entre eux ont plus de 50 ans. Le taux de remplacement des départs dans le secteur laitier est en moyenne de 45 % sur 2017-2018. Ce taux tient compte des départs des actifs mais aussi du fait qu’un certain nombre d’actifs arrêtent le lait sans pour autant arrêter l’agriculture. « C’est de loin le plus mauvais de tous les secteurs agricoles français. »
Le flux d’actifs s’installant en production laitière restant stable depuis dix ans (environ 2 000 par an, dont 1 sur 6 à plus de 40 ans), le déséquilibre démographique ne provient donc pas des entrées mais du nombre de départs très importants du fait de la pyramide des âges.
Cette tendance générale cache cependant de fortes disparités selon les territoires. Christophe Perrot insiste sur le fait que le déséquilibre de la dynamique laitière entre les territoires est multifactoriel. « Les quotas avaient permis d’accrocher la production laitière à des territoires très variés. Avec la sortie des quotas, ces territoires ont évolué de façon très différente et les taux de remplacement des départs varient de 35 à 85 %. »
Les taux de remplacement varient de 35 à 85 %
Certains territoires tirent assez bien leur épingle du jeu. « La « vocation naturelle » de certaines zones, avec des prairies et un climat favorable à la pousse de l’herbe telles que les zones herbagères de l’Ouest de la Normandie, et le plateau franc-comtois, est un atout pour le renouvellement des chefs d’exploitation. »
Les montagnes de Franche-Comté, avec leurs AOP, génèrent un taux de remplacement des chefs d’exploitation de 85 % avec un très bon maintien du lait dans les exploitations. La politique de régulation de la production pour maintenir un équilibre entre l’offre et la demande, et un prix du lait rémunérateur, a été citée comme exemple pour préserver une dynamique laitière sur un territoire, lors de ce colloque.
La Normandie connait une situation plus contrastée. Les zones plus herbagères de la Manche, de l’Orne et du Calvados bénéficient du taux de remplacement le plus élevé pour une zone laitière de plaine, mais qui reste faible pour l’agriculture française. En revanche, le déséquilibre démographique est plus fort dans l’Eure et en Seine-Maritime.
Un scénario plus inquiétant en Bretagne qu’en Normandie
En Bretagne (taux de renouvellement de 48 % dont 42 % avec maintien du lait), le scénario est plus inquiétant. « La pyramide des âges est très déséquilibrée en Bretagne et en particulier dans le Finistère, notamment au Sud. » Dans ce département, 20 % seulement des chefs d’exploitation ont moins de 40 ans et 33 % ont plus de 55 ans contre 28 % en moyenne dans l’Hexagone. Les politiques socio-structurelles (aide à la cessation d’activité, dispositif de préretraite-installation…) menées en France ont conduit à des installations massives de jeunes au début des années 1990. Ces derniers se retrouvent aujourd’hui en âge de partir en retraite.
« Dans Sud du Finistère, cela se conjugue avec une dynamique économique et résidentielle assez spécifique dans laquelle la production laitière conventionnelle a du mal à se faire une place dans toute une zone côtière assez large, de Quimper à Vannes », précise Christophe Perrot. Des transmissions compliquées entre Entremont et Sodiaal et la grève du lait auraient également laissé des traces.
Du blé meunier à 300 €/t est un signal fort
L’intérêt pour d’autres alternatives agricoles complique parfois le renouvellement dans le secteur laitier. « En plaine, en dehors du fer à cheval laitier, la densité d’exploitations est faible sur de très larges zones. Du blé meunier à 300 euros la tonne est un signal très fort dans certaines zones en faveur des cultures et au détriment du lait. En 2007-2008, ce même signal y avait déjà provoqué des réductions inédites du nombre d’exploitations laitières. »
L’attrait pour les bovins viande en montagne et, à certains moments, pour l’aviculture et l’élevage de palmipèdes gras dans le Sud-Ouest a également détourné des chefs d’exploitation du secteur laitier. « Le Sud-Ouest est entré dans une déprise laitière. Un certain nombre de départs sont remplacés (41 %) mais seulement 35 % pour faire du lait », souligne Christophe Perrot.
Dans le Massif central, là où il y a une mixité lait-viande, le taux de remplacement des sorties d’éleveurs laitiers est correct (74 %). Mais, lorsque l'on intègre les départs qui traduisent une reconversion avec arrêt du lait en faveur de la production de viande bovin, ce taux tombe à 50 %.
Coup de frein sur les étables de plus de 100 vaches
Par ailleurs, après une phase de migration du cheptel laitier et de rattrapage de croissance dans les exploitations des bassins les plus laitiers, les fermes se détournent de la croissance depuis l’automne 2019. « Le rythme d’apparition des étables de plus de 100 vaches laitières qui avait connu une brusque accélération de 2012 à 2019 a été divisé par trois. » En cause ? le prix du lait et la marge par litre, le coût de capitalisation, la pénurie de main-d’œuvre et la concurrence entre les productions agricoles.
Les inégalités de dynamique laitière renforcent le processus d’abandon du lait. « Dans les zones à faible densité laitière, les coûts de production et de collecte du lait sont plus élevés. La concurrence entre les fournisseurs de services et de matériel n’est pas suffisante pour bénéficier de services à meilleur coût, qualité et disponibilité. Le désavantage semble se creuser aux dépens des petites exploitations laitières de montagne », constate Christophe Perrot.
« La rémunération des producteurs laitiers et la compréhension mutuelle des stratégies entre l’amont et l’aval interviennent positivement dans les montagnes franc-comtoises, mais aussi les zones herbagères normandes (Coopérative d’Isigny…). La politique de Danone dans le Gers est l’aboutissement d’un effet inverse. »
Cette diversité de situations nécessite des solutions adaptées. Au-delà d’un prix rémunérateur et de l’attractivité du métier, l’économiste indique que les politiques publiques (ICHN, aides aux investissements, politique environnementale…) ont par le passé eu une grande influence sur le secteur laitier et continuent à le faire. Est-ce que la loi Egalim 2 jouera son rôle sur le prix du lait et la dynamique des installations ?
Un arrêt assez net de la progression du salariat
L’accélération de la baisse du nombre de chefs d’exploitation s’est accompagnée d’un phénomène nouveau. « Nous constatons un arrêt assez net de la progression du salariat dans les exploitations laitières depuis la crise de 2015-2016 par rapport à la sortie progressive des quotas, pendant laquelle il y avait eu création nette de quelques milliers d’emplois salariés. D’où une problématique main-d’œuvre qui s’accroit dans les exploitations laitières (-3,9 % UTA totales par an)», explique Christophe Perrot. Cette pénurie de main-d’œuvre pèse sur l’évolution de la production mais aussi sur l’attractivité du métier.