[Edito] Guerre Russie-Ukraine : des blindés dans les blés
À l’heure où nous écrivons ces lignes, les troupes russes viennent de franchir les frontières de l’Ukraine au nord et à l’est du pays, plongeant le monde dans un inconnu menaçant. C’est bien sûr le cortège de drames humains et de dévastations matérielles, charrié par toute guerre, qui vient en premier à l’esprit. Par-delà ces fléaux, le conflit fait également peser une menace sur la sécurité alimentaire mondiale comme jamais depuis les événements qualifiés d’« émeutes de la faim » en 2008.
Le marché ne s’y est pas trompé : le jeudi 24 février, les bruits de bottes ont propulsé le blé en limit up à Chicago, la hausse maximale autorisée sur une journée, pour retrouver son plus haut niveau depuis dix ans. Le blé Euronext sortait également de ses gonds pour atteindre un nouveau record, dépassant en journée les 340 €/t.
Les chiffres donnent le tournis, même s’ils ne sont pas nouveaux : la Russie et l’Ukraine assurent à elles deux le tiers des exportations mondiales de blé et d’orge, les trois quarts pour l’huile de tournesol. En céréales, l’enjeu est vital pour l’Afrique du Nord : les deux pays fournissent 80 % des importations égyptiennes de blé, et se sont taillé de solides parts de marché sur le Maroc. Quant à l’Algérie, elle vient d’ouvrir ses portes au blé russe. Sans oublier que les importations européennes de maïs proviennent pour plus de la moitié d’Ukraine.
Quelle que soit l’évolution du conflit, cette crise va une nouvelle fois souligner l’importance géopolitique du contrôle des matières premières agricoles. Chacun y verra des arguments validant sa vision du monde et de la souveraineté alimentaire : nécessité de relocaliser la production au plus près de la consommation en réduisant la dépendance aux échanges mondiaux pour les uns ; besoin de soutenir la vocation exportatrice de l’Europe afin de ne pas laisser la Russie se doter d’une arme alimentaire redoutable. En espérant que les blés ne prennent pas la couleur du sang.