Vitipastoralisme: Des animaux variés pour des objectifs différents
Si le mouton est l’animal le plus courant en vitipastoralisme, il n’a pas le monopole des usages agronomiques. Des vignerons ont fait le choix d’introduire des oies, poules, ânes, cochons ou vaches dans leurs parcelles. Voici ce qu’ils ont constaté.
Si le mouton est l’animal le plus courant en vitipastoralisme, il n’a pas le monopole des usages agronomiques. Des vignerons ont fait le choix d’introduire des oies, poules, ânes, cochons ou vaches dans leurs parcelles. Voici ce qu’ils ont constaté.
Les oies plutôt que les moutons
Grégoire Rousseau, du domaine Coquelicot, a essayé les moutons mais n’a pas été convaincu. "J’ai trouvé que ça tassait les sols et ça a fait des dégâts sur le palissage. Il y a trois mois, je me suis dirigé vers des oies, qui peuvent être dehors toute l’année. Une oie mange 800 g d’herbe par jour, donc deux oies, c’est l’équivalent d’un mouton. " Pour lui, le palmipède évite tout risque de tassement dans ses vignes majoritairement en enherbement naturel. "Il n’y a pas de recul pour la vigne, seulement quelques expériences en vergers ", regrette Grégoire Rousseau. La seule contrainte, qu’il voit c’est le renard. " Un renard a mangé les 7 oies que j’avais acheté. Je vais devoir m’équiper de fils électriques et d’un vrai chien de ferme !", confie-t-il. Le vigneron estime que pour être efficace, il faut compter 40 oies par hectare. "Ça peut être aussi un atout économique dans le cadre d’une diversification car à côté de chez moi il y a un abattoir de volailles", projette-t-il.
Une expérience mitigée avec les ânes
Le domaine a acquis trois ânes il y a six ans pour entretenir les abords de la propriété, et limiter le risque d’incendie. « L’idée était aussi de les utiliser pour la prétaille. On les a mis dans des parcelles peu sensibles mais nous avons arrêté car ils sont un peu trop gourmands. Sur certains ceps, ils descendent jusqu’à la souche. Il n’y avait plus assez de bois pour tailler. Peut-être que nous ne les avons pas assez bien éduqués", résume Jérôme Estève, le propriétaire. Ils ont une parcelle à demeure mais sont parfois transférés sur les parcelles qui vont être arrachées et qui sont ensemencées en méteil ou en céréales, pour apporter un amendement organique.
Les vaches stimulent la vie du sol
Si Didier Barral, vigneron au domaine Léon Barral, a introduit des vaches de race rustique dans ses vignes depuis une quinzaine d’années, c’est avant tout pour favoriser la démultiplication des vers de terre. Il veut privilégier ceux qui « perforent le sol en profondeur » et assurent la perméabilité du sol. « La bouse de vache est chaude l’hiver, et reste fraîche l’été. Les vers de terre remontent pour s’y nourrir et s’y reproduire. On favorise la complexité des sols », témoigne-t-il. Pour lui ce choix contribue à apporter à ses vins plus d’acidité et de fraîcheur. Il s’inscrit dans une démarche générale tournée vers le respect d’un écosystème.
Toutes ses parcelles sont « clôturées » de haies grâce à la plantation de 7 000 arbres depuis la fin des années 90. Pour éviter les animaux vermifugés, chose qu’il juge essentielle pour l’effet sur la vie des sols, il a créé son propre troupeau. Le domaine possède aussi quelques équins (mule, cheval et âne), des cochons « plus intéressants pour le frigidaire » et quelques chèvres. « Avec notre troupeau de 60 à 70 bêtes, il faut en gros six jours par hectare. S’il n’y a pas assez d’herbe, nous apportons du foin ». Pour Didier Barral, la présence d’animaux est « à coupler avec le non-labour » et une taille en gobelet. Il les laisse de fin novembre à mi ou fin avril. « Elles mangent le bout des sarments ce qui permet un prétaillage ». Ce troupeau nécessite de gros apports en eau « mais elles me le rendent avec en plus de l’urée, de l’azote, de l’ammoniaque ». Les animaux pâturent aussi sur des parcelles de vignes arrachées qui ne seront pas replantées avant une dizaine d’années. Au fil du temps, le domaine s’est forgé une expérience : mettre l’eau face au soleil en hiver, à l’ombre en été, déplacer les vaches avant le week-end pour qu’elles aient de l’herbe neuve et ne soient pas tentées de s’en aller, ou encore disposer des rouleaux pour qu’elles se grattent… Ses vignes s’étendent sur 35 ha, mais il a autant de surface supplémentaire où elles peuvent pâturer.
Les poules traquent les gastéropodes
Dans l’enceinte de la citadelle de Blaye, le Clos de l’Echauguette est une petite parcelle de 0,15 ha cultivée par le syndicat de l’AOC blaye-côtes-de-bordeaux. Au printemps 2018, des poules de Bresse sont introduites dans la parcelle grâce à un partenariat avec l’AP2B (Association des Pays de Bresse et de Blaye). L’endroit présente l’avantage d’être à l’air libre bien que fermé, et est entouré de douves, limitant ainsi les risques de prédation. « On leur a tout de même installé un poulailler avec distributeur d’eau et de graines de céréales », précise Émilie Paulhiac, responsable communication du syndicat. Les poules ont séjourné jusqu’à la véraison dans l’enceinte de la citadelle, « au-delà elles auraient commencé à picorer les baies », indique Émilie Paulhiac. Les membres du syndicat ont constaté que les poules mangeaient limaces et petits escargots qui peuvent occasionner des dégâts sur feuilles au début du cycle végétatif. « Cela fait gagner du temps car avant, on les retirait à la main », expose la responsable communication. Toujours selon leurs observations, les poules ont aussi joué un rôle sur l’entretien et l’aération du sol en éliminant les mauvaises herbes et en grattant le sol avec leurs griffes.
Les cochons éliminent efficacement le chiendent
Le Château de Tracy a totalement supprimé les herbicides chimiques depuis 2010. Les propriétaires on fait l’acquisition en 2018 de trois cochons de race rustique Pata Negra. Peu après les vendanges, le mâle et les deux femelles sont lâchés dans les parcelles enherbées naturellement jusqu’au mois d’avril suivant. Au total, les cochons ont entretenu 4 ha par lots de 0,5 ha, en tournant toutes les trois semaines. « C’est plus facile pour gérer la pose des clôtures et leur passage est plus efficace lorsqu’il est concentré sur une petite surface », expose Laurent Labaume, chef de culture au Château de Tracy. Une cahute est installée à proximité des parcelles avec un réservoir d’eau. Les animaux sont nourris en complément à l’aide de farine de céréales. Pour Juliette d’Estutt d’Assay, propriétaire du Château de Tracy, l’expérience est extrêmement positive. « Nous avons pu supprimer un passage de tracteur, et l’entrée dans nos parcelles au printemps est nettement plus aisée », témoigne-t-elle. « Nos sols de silex ont tendance à abîmer le matériel, donc chaque passage économisé est un bénéfice », complète Laurent Labaume. Mais le résultat le plus spectaculaire concerne la maîtrise du chiendent, cette mauvaise herbe contre laquelle il est très difficile de lutter par voie mécanique. « Avant nous étions obligés d’éliminer les rhizomes à la pioche. Les cochons sont la solution magique ! À l’heure actuelle nous n’en voyons plus, mais attendons de voir ce que ça donnera cette année », témoigne Juliette d’Estutt d’Assay. « Nous avons aussi constaté que les vignes étaient plus vigoureuses et elles n’ont pas souffert de stress hydrique », poursuit le chef de culture. La pose des clôtures, indispensable pour éviter la reproduction avec les sangliers, à un coût « finalement pas si élevé quand on voit les bénéfices », assure la vigneronne. Pour la surveillance, le système est assez simple: il suffit de klaxonner aux abords de la parcelle pour que les bêtes s'approchent. "Ils savent qui leur donne à manger", raconte Laurent Labaume. En 2019, le Château de Tracy va pouvoir mener l’expérience à plus grande échelle. Chaque femelle ayant eu une portée, ce sont maintenant 15 cochons qui sont prêts à entretenir les sols. « Les petits bossent aussi bien que les gros, qui ont d’ailleurs tendance à être plus feignants dès qu’il fait chaud », s’amuse Laurent Labaume. En ce début d’hiver, l’enherbement est tel que le chef de culture prévoit de mettre 5 à 6 cochons par hectare.
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