Croisement limousin x angus : des résultats qui bousculent les modèles
Connue pour élever un troupeau limousin bio en autonomie alimentaire depuis plus de vingt ans, la ferme expérimentale de Thorigné-d’Anjou croise, depuis 2019, toutes les génisses avec un taureau de race angus. Les produits de ce croisement sont des animaux plus précoces en finition.
Connue pour élever un troupeau limousin bio en autonomie alimentaire depuis plus de vingt ans, la ferme expérimentale de Thorigné-d’Anjou croise, depuis 2019, toutes les génisses avec un taureau de race angus. Les produits de ce croisement sont des animaux plus précoces en finition.
L’inadéquation entre l’offre et la demande constitue l’éternelle épine dans le pied de la filière viande bovine : les Français consomment plus de femelles (77 %) que ce que la production peut leur fournir. À son échelle, la viande bovine biologique connaît le même phénomène : seulement un mâle sur trois est valorisé dans le circuit AB. Ces pratiques entraînent une perte de valorisation locale pour la filière, ce qui s’éloigne des idéaux du bio.
Parmi les autres « idéaux du bio », il faudrait également s’affranchir des compétitions feed/food, améliorer le bilan carbone, privilégier l’autonomie alimentaire à l’échelle des exploitations, et, à l’échelle du pays, atteindre la souveraineté alimentaire. Cerise sur le gâteau des requêtes : la filière voudrait des petites carcasses.
Un nouveau modèle animal
« Tous ces constats nous interrogent sur l’adéquation entre ce que demande la filière et ce que l’on est en capacité de produire à l’échelle des fermes », décrit Julien Fortin, responsable de la ferme expérimentale de Thorigné-d’Anjou, dans le Maine-et-Loire, à l’occasion des portes ouvertes le 16 mai dernier.
Forte de ses vingt-cinq années d’expérience, Thorigné est, en effet, capable de produire des bœufs et des femelles de race limousine correspondant « au mieux » à la demande du marché. Mais malgré l’optimisation des itinéraires, ces animaux ont encore besoin de 800 kg de céréales pour être finis et, en outre, ils produisent des carcasses de plus de 460 kg.
Pour coller davantage à la demande, Thorigné a imaginé un nouveau modèle : « Nous avons opéré un croisement réfléchi et structuré, soulève Bertrand Daveau, ingénieur à la ferme expérimentale. Nous avons choisi la race angus, car elle a été sélectionnée depuis longtemps sur sa précocité à atteindre l’état adulte et à déposer du gras. »
Suivi de lots nés au printemps et à l’automne
Le croisement est réalisé uniquement sur les génisses, mises à la reproduction à 14 mois pour deux périodes strictes de vêlages (printemps et automne) à 24 mois. Outre les avantages attendus en précocité des produits, la race Angus assure la facilité de vêlage avec des veaux de petits gabarits.
Thorigné produit vingt animaux croisés limousins x Angus par an, génisses et bœufs, selon deux itinéraires techniques. Les animaux nés au printemps (graphique 1) passent toute leur vie en plein air, avec pâturage hivernal le premier hiver et bale grazing le second hiver. Leur finition se fait à l’herbe, avec un peu de concentré fermier (triticale-pois). Ils sont abattus à 27 mois. Ceux nés à l’automne (graphique 2) débutent leur croissance en bâtiment, où ils reçoivent un peu de complémentation. Ils sont ensuite au pâturage pendant 18 mois, avant de rentrer en bâtiment pour leur finition.
Les résultats techniques présentés par Thorigné en ce mois de mai 2024 concernent deux lots d’animaux nés au printemps (19 animaux) et un lot d’animaux nés à l’automne (8 animaux). Au total, sur l’ensemble de leur vie, les animaux nés au printemps ont consommé, en pourcentage de matière sèche, 77 % de pâturage (herbe et colza fourrager), 20 % de stock, et seulement 160 kg brut de concentré. Ceux nés à l’automne auront consommé 61 % de pâture (herbe et colza fourrager), 30 % de stock, et 420 kg brut de concentré.
D’étonnantes performances de finition
Les animaux nés au printemps ont une période d’engraissement de 84 jours passant de 526 à 654 kg de poids vif, alors qu’ils sont au pâturage complémenté avec seulement 1,8 kg/j de mélange triticale-pois. L’efficacité alimentaire est de 128 g de GMQ par UF ingéré. Ces résultats de croissance sont « une très belle surprise », selon les ingénieurs de Thorigné. Les animaux nés à l’automne présentent eux aussi une belle efficacité alimentaire de 121 g de GMQ par UF ingérée passant de 550 à 642 kg en 83 jours, avec 9 kg/j d’enrubannage et 3 kg/j de triticale-pois.
Pour tenter d’évaluer l’intérêt économique de l’engraissement de croisés, les ingénieurs ont modélisé trois scénarios (tableau) à partir de leur gain de 16 ha de surface (récupérée en partie avec la réduction de l’âge au vêlage). Avec ces 16 ha, ils ont calculé l’intérêt de produire soit 20 animaux croisés finis, soit 13 bœufs finis, soit d’avoir 12 vêlages supplémentaires (scénarios qui permettent de maintenir le niveau d’autonomie totale). Les calculs, qui prennent en compte les aides, les coûts et les prix réels (la viande des croisés est payée 0,50 euro de moins au kg que celle des purs limousins) sont à l’avantage de la production de croisés, notamment en raison des économies de charges variables.
Selon Julien Fortin, ces premières conclusions sur les croisés sont très encourageantes, car elles permettent de répondre aux attentes de la filière, avec des itinéraires très économes.
Faire accepter des animaux croisés au pays de la race pure
« Ça n’a pas été facile de convaincre la filière, reconnaît Julien Fortin, quand on leur a proposé des animaux croisés, ils ont eu peur. Mais quand on les a amenés à l’abattoir et que leurs bouchers ont vu les carcasses, ils ont changé d’avis. Ils ont estimé qu’elles étaient supérieures à la moyenne et ont été très intéressés par leur petite taille. »
Ces appréciations ont été objectivées par des résultats scientifiques. Par rapport au standard (vache charolaise de 5 ans), la viande des croisés ne présente pas de différence significative en composition chimique ou en couleur. L’aspect visuel (persillé) et la tendreté sont même légèrement supérieurs.