[Covid-19] Les AOP fromagères peinent à retrouver des débouchés
Les stocks de fromages sous appellation d'origine protégée grimpent. La baisse de la collecte permet d'éviter le pire. Les filières des fromages sous AOP IGP demandent de l'aide pour sauver leur diversité.
Les stocks de fromages sous appellation d'origine protégée grimpent. La baisse de la collecte permet d'éviter le pire. Les filières des fromages sous AOP IGP demandent de l'aide pour sauver leur diversité.
Au 13 mai, alors que le pic de production laitière était dépassé, les fromages de qualité français ne voyaient pas encore le bout du tunnel. Des débouchés commençaient certes à se réouvrir, mais les volumes écoulés restaient bien en deçà de la situation avant confinement. Et malgré la baisse des fabrications de fromages, l'offre restait encore supérieure à la demande. « Nous avions estimé que le stock de fromages sans débouchés entre le 17 mars et la fin mai serait d'environ 2 000 tonnes. Nos nouvelles estimations donnent 5 000 tonnes de stock de fromages sur le deuxième semestre 2020 », chiffre Michel Lacoste, président du Cnaol.
Les vingt premiers jours ont été les plus durs
Sur les vingt premiers jours de confinement, le changement de comportement du consommateur a été terrible pour les fromages sous signe de qualité. « Il est passé d'une logique d'achat plaisir à une logique d'achat de produits de nécessité, achetés rapidement. Des crèmeries ouvertes nous ont fait part d'une baisse de 80 % de leur chiffre d'affaires au début du confinement », rappelle Michel Lacoste.
Ce phénomène a été renforcé par la fermeture des marchés de plein air, des rayons à la coupe des supermarchés et de certains crémiers. À cela s'est ajoutée la dégringolade des ventes à la restauration hors foyer (RHF) et la forte baisse de l'export. « Au total, on estime que les ventes ont baissé de 60 % en volume pour les fromages AOP IGP. Ces baisses ont pu dépasser les 70 % pour certaines PME et producteurs fermiers, voire pas de ventes du tout les quinze premiers jours du confinement. »
Des dons, du fromage fondu... pour éviter de jeter
Sur les 2 000 tonnes de fromages sans débouchés, 5 % ont été détruits, 10 % ont été donnés et 35 % ont été recyclés, c'est-à-dire fondus. Les premiers fromages qui ont été dépréciés ou jetés sont des pâtes molles, notamment celles très dépendantes des ventes sur les marchés de plein air comme le neufchâtel, des rayons à la coupe et des crèmeries comme le brie. « En fondu, la valorisation du lait est d'environ 1,5 €/kg de fromage voire 0,5 €/kg pour des pâtes molles, au mieux ! À comparer à une valorisation moyenne en AOP de 9 €/kg. » Les 1 000 tonnes restantes sont toujours en stock, ce qui représente 9 millions d'euros d'invendus. Sans compter les pertes liées au déclassement, au surstockage... qui restent difficilement chiffrables.
Les grands groupes ont amorti la crise
Les opérateurs ont réduit les fabrications de fromages AOP IGP, et réorienté le lait pour fabriquer d'autres gammes demandées par les grandes et moyennes surfaces (GMS), des produits stockables en cave, des caillés congelés, du beurre et de la poudre. « Le fait d'avoir des grands groupes dans nos appellations a constitué un atout dans cette crise. Ils ont pu massivement réorienter du lait vers leurs autres sites. Ils ont joué un rôle d'amortisseur en dégageant du lait qui sera mieux valorisé que ce qu'il a été sur le marché du lait spot (180 €/1 000 l en avril, 210 € en mai). »
Les TPE et PME fromagères ont été contraintes de vendre les excédents sur le marché du lait spot : 180 € départ usine, soit environ 150 €/1 000 l en enlevant les frais de collecte. À comparer aux 500 €/1 000 l de prix du lait moyen payé aux éleveurs en AOP.
Une réduction de la production nécessaire
Début mai, le Cnaol a enquêté à nouveau les filières AOP IGP, et l'équilibre entre l'offre et la demande s'était légèrement amélioré grâce à différentes mesures. Des dispositifs pour contraindre les éleveurs à réduire leurs livraisons de lait, de 8 %, 14 %, 20 % voire 30 % ont été mis en place. Avec des volumes prix différenciés et un prix de dégagement allant de presque zéro à 200 €/1 000 l. Et dans certains cas, une non-collecte des volumes excédentaires. « Nous n'avons pas encore les chiffres consolidés de la collecte, mais des laiteries de Savoie parlent de -10 % à -15 % de collecte sur fin avril-début mai », indique Michel Lacoste.
Des supermarchés et des collectivités jouent le jeu
Les opérateurs ont trouvé de nouveaux débouchés. Les consommateurs ont recherché à nouveau des produits locaux et de qualité. La hausse des ventes des magasins de producteurs, ou des ventes par correspondance, ou par drives improvisés en témoigne. Le foisonnement d'initiatives de producteurs fermiers, collectivités territoriales, associations... est porteur d'espoir.
Interpellées par les appellations, des GMS ont mis en avant les fromages AOP IGP, avec trois types d'action : des fromages préemballés vendus en libre service, une offre de fromages de terroir en drive et des réouvertures de rayon à la coupe. « On sent depuis le 20 avril un retour aux achats de fromages AOP IGP, mais même si nous n'avons pas encore de chiffres, on est encore loin de l'avant confinement », estime Michel Lacoste.
Les collectivités territoriales prennent aussi des initiatives pour soutenir le patrimoine fromager. « Par exemple, les communautés de communes et d’agglomération de Savoie ont prévu 300 000 euros de budget pour acheter des fromages à donner aux plus démunis, et ainsi amplifier les dons déjà faits par les opérateurs et ODG. Le conseil régional d'Auvergne Rhône-Alpes a prévu 300 000 euros pour que la collecte soit assurée et valorisée par un collectif d'entreprises. »
Un geste fort du gouvernement attendu
« Le ministère de l’Agriculture a géré l’urgence et aujourd’hui on peut dire que l’industrie agroalimentaire s’en sortira. À présent, il faut qu’ils s’occupent des « petits ». Les mesures d’aides nationales ne sont pas adaptées à nos filières. Nous demandons donc un dispositif spécifique, pour sauver des TPE, PME et des élevages. Sans cela, des fleurons de la gastronomie française et des entreprises importantes pour le tissu rural, disparaîtront. La diversité est l’essence même des AOP. Si les AOP s’uniformisent, cela les remettra en question », s’inquiète Michel Lacoste, président du Cnaol.
Le Cnaol regrette que le ministère n’ait pas adapté le dispositif d’aide au stockage privé du fromage (18 394 t pour la France) pour qu’il bénéficie avant tout aux AOP IGP, et pas essentiellement aux fromages commodités des grands groupes.
Enfin, le Cnaol sollicite les pouvoirs publics pour doper l’utilisation des produits de terroir en restauration collective dès la reprise des cantines.
Des effets sur le chiffre d'affaires des élevages à moyen terme
Les factures de lait d'avril et de mai des éleveurs en AOP IGP vont pâtir des systèmes de volumes prix différenciés, avec des prix de dégagement très faibles, mis en place pour contraindre la baisse des livraisons de lait. Puis le prix du lait reflètera les conséquences des invendus et des déclassements.
La baisse du chiffre d'affaires des élevages – baisse des volumes et du prix du lait – risque à terme d'avoir raison d'un certain nombre d'élevages. « Pour réduire de plus de 10 % la production ce printemps, les leviers actionnés auront des conséquences sur la production future. Les principaux leviers actionnés par les éleveurs ont été l'anticipation du tarissement et des réformes. Mais il y a eu aussi de la décapitalisation », indique Michel Lacoste.
Chiffres clés
219 816 t de fromages AOP et IGP (vache, chèvre, brebis) vendus en 2017, dont :
8,5 % sont exportés
78,5 % des achats des ménages français se font en GMS, dont 38 % au rayon à la coupe
18,5 % des achats des ménages ont lieu dans des magasins de proximité (6,1 %) et en crèmerie-fromagerie (12,4 % en boutique et marché de plein air)
3 % se font par internet
Source : Cnaol