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Chili : l’arboriculture fruitière face au changement climatique

Depuis le début du boom des exportations au Chili il y a plus de quarante ans, la production fruitière a réussi à s’adapter au changement de rythme dicté par les marchés internationaux. Aujourd’hui, les défis liés au climat sont encore plus grands.

Cultures d'agrumes et d'avocats à Ovalle, à 400 km au nord de la capitale Santiago. Les vergers du nord de la zone traditionnelle de production fruitière sont de plus en plus dépendants de l'utilisation de puits. © Redagrícola
Cultures d'agrumes et d'avocats à Ovalle, à 400 km au nord de la capitale Santiago. Les vergers du nord de la zone traditionnelle de production fruitière sont de plus en plus dépendants de l'utilisation de puits.
© Redagrícola

La culture fruitière au Chili se caractérise par sa concentration sur l’exportation, principalement vers les marchés d’Asie, d’Europe et d’Amérique du Nord. Les espèces les plus produites sont le raisin de table, la vigne, les cerises, les noix, les prunes, les myrtilles, les pommes, les avocats, les noisettes et les olives, qui sont exportés frais ou transformés. La surface totale des cultures fruitières représente environ 400 000 hectares, vigne comprise. La zone fruitière traditionnelle est concentrée dans les 900 km qui séparent les villes de La Serena et Angol. Cela correspond à la partie centrale du Chili, pays de 4 200 km de long du nord au sud et de rarement plus de 300 km de large d’est en ouest. Depuis vingt ans, une augmentation de la surface des vergers vers le sud s’opère. Ces nouveaux secteurs de production présentent plus de précipitations et de disponibilité en eau. Dans un contexte de sécheresse prolongée, les vergers du nord sont eux de plus en plus dépendants à la ressource en eau, avec une forte utilisation de puits. « Les estimations de l’évolution des températures ne sont pas les mêmes pour les différentes zones de production », explique Fernando Santibáñez, de l’Université du Chili. De 40 à 60 km de la côte, l’influence de l’océan Pacifique limitera le réchauffement. Les températures y resteront similaires à celles d’aujourd’hui, tandis qu’elles augmenteront dans la vallée centrale. Les hivers perdent de 10 à 20 h de froid chaque année, et l’arrivée du froid est décalée de l’automne vers l’hiver, ce qui le rend moins efficace pour déclencher les processus physiologiques des arbres fruitiers.

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Dans le tiers nord de la zone de production fruitière traditionnelle, la consommation d’eau de l’agriculture devra vraisemblablement être réduite. Si les températures augmentent de 2°C, ce qui constitue un scénario très probable, la demande en eau augmentera de 12 %, la maturité des espèces fruitières avancera de six semaines, la baisse du rendement sera comprise entre 15 % et 25 % et le stress thermique affectera considérablement la qualité. Un climat plus variable crée de l’incertitude et nécessite de protéger les cultures face à d’éventuels événements extrêmes. « Notre agriculture va devenir plus chère, prédit Fernando Santibáñez. Je crois que l’avenir ne repose pas sur une solution unique. Nous ne résoudrons pas le problème uniquement avec des retenues d’eau, car la topographie ne permet pas toujours de les construire. Il y a un projet de route fluviale pour acheminer l’eau des rivières du sud vers le nord et je pense que c’est un bon choix, mais ce ne sera pas LA solution. Nous avons besoin de micro-retenues d’eau, qui peuvent être construites pour irriguer un minimum de 5 hectares, ainsi que de systèmes d’irrigation performants ». Autre problème engendré par la hausse des températures hivernales, la mortalité des ravageurs et des vecteurs de maladies diminue. « Aujourd’hui, un ravageur comme la mouche méditerranéenne des fruits ne peut survivre à l’hiver dans les conditions du centre du Chili car le froid tue les pupes, illustre l’entomologiste Renato Ripa. Si les températures hivernales augmentent, leur mortalité diminuera. » Il en sera de même pour de nombreux ravageurs comme les aleurodes ou les pucerons. De nouveaux parasites arriveront-ils dans le pays à cause du changement climatique ? Selon Ernesto Cisternas, entomologiste à l’Institut de recherche agronomique, « davantage que le changement climatique, la cause principale des déplacements des insectes dans le monde est anthropique. Les échanges commerciaux massifs et la circulation des personnes dans le monde augmentent la probabilité d’apparition de nouveaux ravageurs et maladies dans des zones où ils n’existaient pas auparavant. De plus, la superficie des nouvelles cultures a des répercussions sur l’établissement de nouvelles espèces. »

Le défi de la gestion des ressources en eau

Au cours des dernières décennies, l’efficacité de l’irrigation a considérablement augmenté. Cependant, la pénurie croissante d’eau et l’augmentation des températures associées au changement climatique font que la gestion des ressources en eau constitue l’un des principaux défis de l’arboriculture fruitière. L’expérience des organismes d’irrigation de la région de Coquimbo, au nord de la zone de production fruitière du pays, est instructive. Les agriculteurs souffrent ici des effets de la sécheresse depuis plus de dix ans. José González, directeur de la Comunidad de Aguas Sistema Embalse Paloma (organisme privé qui distribue l’eau d’irrigation), indique avoir réalisé des progrès dans le revêtement des systèmes d’adduction d’eau, en rendant l’utilisation des canaux plus efficace et en maximisant l’exploitation des volumes disponibles. « Depuis au moins cinq ans, nous accordons la priorité à la consommation humaine et à l’utilisation domestique dans notre bassin-versant, ajoute José González. Si un comité rural de l’eau potable manque d’eau, nous lui en fournissons par un canal. Avoir le droit d’utiliser l’eau ne nous donne pas le droit d’en priver les gens pour leur consommation. » 

[note de la rédaction : au Chili, la gestion de l’eau est aux mains de propriétaires de « droits d’eau ». Ces droits sont acquis à perpétuité et peuvent être utilisés ou vendus librement par leurs propriétaires. Aucun usage de l’eau prioritaire n’est défini par le Code de l’eau chilien, en vigueur depuis 1981. Ce système est controversé pour les conflits qu’il engendre entre les différents usages de l’eau : consommation humaine, activité minière, agriculture…].

 

Cet article, paru dans le journal agricole chilien Redagrícola, a été rédigé dans le cadre du Club de la presse international du Sival. Sept journalistes du monde entier, de la presse spécialisée de l’agriculture et des fruits et légumes, ont travaillé sur la thématique de l’impact du changement climatique sur la production de fruits ou de légumes dans leurs pays respectifs. Les articles issus de ce travail ont été présentés au cours d’une conférence au Sival 2020.

Le Chili n’est plus protégé des bioagresseurs

 

 
Pour le phytopathologiste Jaime Auger, de l’Université du Chili, l’une des plus grandes menaces du changement climatique est liée à la perte de l’avantage qu’a le pays d’être une « île phytosanitaire ». D’après ce concept, les barrières naturelles du Chili l’ont pendant longtemps protégé des bioagresseurs. Aujourd’hui, le développement des échanges mondiaux a supprimé ces barrières. La perte de celle-ci, combinée au changement climatique, font que de nombreux agents pathogènes de maladies majeures comme le chancre des agrumes ou le feu bactérien pourraient s’établir au Chili. L’oïdium, une problématique qui touche surtout le nord du Chili, s’est progressivement déplacé vers le sud, car les températures ont augmenté.

 

Produire avec moins d’eau

La pénurie d’eau a amené les producteurs chiliens à augmenter l’efficacité de l’eau utilisée pour l’irrigation. Selon Cristián Carrión, directeur de l’association des Canalistas du canal Camarico, « de nombreux producteurs de raisin de table utilisent désormais 6 000 m3/ha/an contre 8 000 m3 auparavant. Nous avons appris à irriguer de manière durable : la vigne nécessite de 3 500 m3 à 4 000 m3 et une vigne palissée environ 4 500 m3. Mais en 2014-2015, nous avons irrigué avec 1 000 m3/ha, avec un minimum de taille. En conséquence, il y a eu un prix à payer : le taux de mortalité des plants a été d’environ 10 %. »

 

 

 

« Nous avons l’obligation d’être efficaces dans la distribution et le partage de l’eau, souligne José González, directeur d’un organisme privé qui distribue l’eau d’irrigation. Cependant, ce n’est pas à nous de dire aux agriculteurs quoi planter. C’est à chacun de prendre ses décisions. Mais nous devons leur parler du contexte dans lequel nous nous trouvons. Au-delà de la réunion annuelle et des réunions mensuelles du conseil d’administration, il vaut mieux avoir des réunions sectorielles à grande échelle pour présenter toutes les informations essentielles aux agriculteurs. Certaines personnes critiquent la culture des avocatiers. Ce n’est pas la faute des avocatiers ou des noyers, mais celle des décisions individuelles. Et pour prendre les bonnes décisions, il faut avoir les bonnes informations. »

En chiffres

Production fruitière au Chili en 2017

Vigne et raisin de table 215 000 ha 2 000 000 t

Pomme 36 000 ha 1 774 000 t

Pêche et nectarine 16 000 ha 327 000 t

Prune 17 000 ha 286 000 t

Avocat 30 000 ha, 132 000 t

Cerise 25 000 ha 130 000 t

Noix 35 000 ha 80 000 t

source FAO stat

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