Une paille sociale dans le sainte-maure-de-touraine
La paille de seigle qui fait la spécificité du fromage est récoltée à l’ancienne et produite par un établissement de service d’aide par le travail (Esat).
Un des éléments de reconnaissance du sainte-maure-de-touraine est sa paille de seigle utilisée comme tuteur. En effet, ce long fromage avait tendance à se casser lors de sa sortie du moule, les fromagers y ont remédié en plaçant une paille de seigle en son cœur afin de le rigidifier.
Les pailles sont aussi un élément de reconnaissance et d’authenticité pour le sainte-maure-de-touraine sous appellation d’origine protégée (AOP). Elles comportent obligatoirement le nom d’appellation et le numéro d’identification de la fromagerie. Pour Florence Barreau, fromagère fermière en AOP, "ces pailles sont importantes car elles sont garantes de l’authenticité du produit".
Sept millions de pailles sont gravées chaque année pour l’ensemble des fromages de l’AOP. La culture, la récolte et la confection des pailles sont entièrement confiées à l’Esat (établissement de service d’aide par le travail) Les Tissandiers à Loche, au cœur de la zone de l’appellation. La confection de ces pailles permet à une trentaine de personnes en situation de handicap d’avoir accès à un emploi à plein-temps. Pour Pascal Méreau, directeur adjoint de l’Esat, la réalisation de ces pailles est "adaptée aux personnes en situation de handicap car, même si le travail est minutieux, il permet de prendre en compte la situation de chacun".
Du seigle moissonné à l’ancienne
L’Esat cultive sur ces terres une variété ancienne de seigle adaptée à la conception de ces pailles. Un hectare de seigle permet de réaliser deux millions de pailles. Le seigle est moissonné à l’ancienne grâce à de vieilles moissonneuses-lieuses des années cinquante qui permettent de réaliser des fagots.
Les fagots sont ensuite découpés à la main et dépoussiérés grâce à une souffleuse. Les pailles sont ensuite découpées en biseaux. La vérification du calibrage se fait à la main : elles doivent faire 16 centimètres de longueur. Une fois calibrées, elles sont gravées grâce à un graveur laser, acheté par le syndicat de l’AOP. Une fois gravées les pailles sont pasteurisées au four à micro-ondes afin d’être introduite sans crainte dans les fromages.
Yves Bouhier de L’Écluse, président de la fromagerie la Cloche d’or, estime que pour chaque producteur "une paille coûte environ six centimes, en comptant le temps de main-d’œuvre pour introduire les pailles dans le fromage".
L’AOP sainte-maure-de-touraine existe depuis 1990. C’est un fromage à pâte molle au lait de chèvre entier. Une de ses particularités est sa forme évasée tronconique d’un diamètre plus petit d’un côté que de l’autre. Elle serait due à la forme des moules conçus ainsi pour faciliter l’égouttage et le démoulage. Après démoulage le fromage est recouvert de charbon végétal qui lui donne sa couleur cendrée si particulière et favorisant sa transformation. Pour être appelé saint-maure-de-touraine, le fromage doit être produit dans la zone d’appellation qui correspond à l’ancienne province de Touraine et qui s’étale sur 270 communes de l’Indre-et-Loire et 170 communes de l’Indre, du Loir-et-Cher et de la Vienne. Détail important pour les producteurs, l’alimentation des chèvres doit provenir à 100 % de la zone d’appellation. Le fromage doit être affiné au moins 10 jours.
Une filière en pleine forme
La filière de l’AOP sainte-maure-de-touraine se porte bien. En 2015, 1 606 tonnes de fromages ont été commercialisées contre 1 140 tonnes dix ans plus tôt. C’est un fromage très présent dans la grande distribution puisque 80 % de ses volumes de production ont été commercialisés par ce biais.
L’appellation compte 43 fromagers fermiers, comme le président de l’appellation, François Laurent, qui produit plus de 15 tonnes de fromages avec ses 350 chèvres. Il y a aussi trois affineurs et sept fromageries qui récoltent le lait des 126 livreurs de lait. La coopérative Verneuil par exemple vend, selon son responsable, "300 à 400 tonnes de sainte-maure-de-touraine". Un autre gros vendeur est la Cloche d’or qui récolte le lait de "50 à 60 éleveurs et transforme et affine 300 tonnes de fromages".
Pour assurer sa promotion, l’AOP sainte-maure-de-touraine a même sa propre commanderie. Elle a été fondée en 1979 et compte 40 membres. On dénombre plus de 6 000 chevaliers du sainte-maure-de-touraine en France et dans le monde. En 2015 les membres ont participé à plus de 50 chapitres où ils ont fait découvrir ce fromage.
L’agrotourisme et sainte-maure-de-touraine
Florence Barreau et son mari Bertrand se sont installés à Dolus-le-Sec (37) en 2000. Ils commencent leur production avec 30 chèvres et en possèdent maintenant 160. Le couple de fromagers fermiers produit entre 200 et 230 fromages sous AOP sainte-maure-de-touraine par jour. Pour "valoriser au mieux leurs produits et rester en contact avec la clientèle", le couple écoule sa production principalement en vente directe : sur l’exploitation et sur les marchés gourmands. Pour le couple, il est "intéressant d’être en AOP car elle permet d’attirer les consommateurs". Cette AOP et l’élevage caprins sont aussi des atouts pour le tourisme et les deux éleveurs l’ont bien compris : ils se sont installés avec un projet d’agrotourisme. Ils gèrent un gîte qui peut accueillir 30 personnes sur l’exploitation. Florence Barraud confie d’ailleurs que "le gîte est plein tous les week-ends de mars à décembre". Ce projet de tourisme et d’exploitation permet au couple de se dégager 1 200 euros par moi "c’est peu pour le moment mais, dans quatre ans, les gros prêts seront remboursés et nous vivrons bien mieux". Le couple n’a pas une production très régulière et, grâce aux inséminations artificielles, ils ont entamé un travail sur la génétique afin de stabiliser et d’augmenter leur production. Ils emploient pour le moment un salarié et espèrent, grâce à cette augmentation, employer une quatrième personne. Leurs 36 hectares de surfaces fourragères utiles permettent à l’exploitation d’être autonome en fourrage les bonnes années.
