"200 g de lait en plus par jour et par chèvre en moyenne par rapport à l’année dernière"
Grâce au suivi génétique de son troupeau, Éric Bilheu est parvenu à améliorer les performances individuelles de ses chèvres, mais aussi la morphologie et leur longévité. Un travail de patience récompensé par le trophée Gènes Avenir Saanen d’or cette année.
Grâce au suivi génétique de son troupeau, Éric Bilheu est parvenu à améliorer les performances individuelles de ses chèvres, mais aussi la morphologie et leur longévité. Un travail de patience récompensé par le trophée Gènes Avenir Saanen d’or cette année.
Éric Bilheu a créé son atelier caprin en 1987 sur la ferme familiale avec son frère à La Chapelle-Saint-Laurent, dans les Deux-Sèvres. « Je n’y connaissais rien à l’élevage de chèvres, j’ai suivi une demi-douzaine de formations… les premières années n’ont pas été faciles, se remémore l’éleveur. Aujourd’hui, les jeunes sont heureusement mieux formés lorsqu’ils s’installent. » La passion de l’élevage caprin et le virus de la génétique le gagnent rapidement. Passion qui vient d’être récompensée par le trophée Gènes Avenir Saanen d’or remis par CapGènes (lire encadré ci-contre).
« Au-delà des résultats sur l’élevage, je ressens une fierté lorsque des animaux sont sélectionnés par CapGènes »
L’exploitation familiale élevait à l’origine des vaches allaitantes auxquelles les ateliers caprin et horticole sont venus s’ajouter au fil des installations. Jusqu'en 2018, le Gaec a compté quatre associés : Éric Bilheu, son frère, sa belle-sœur et sa nièce. Au départ en retraite de son frère et de sa belle-sœur, l’exploitation a été scindée. Éric conserve les chèvres, 55 ha de terres, et il arrête les vêlages en bovins pour ne conserver qu’un atelier d’engraissement de génisses en filière Bleu-Blanc-Cœur.
Avoir les informations
L’éleveur est resté seul une année, puis a cherché à recruter. Après avoir travaillé un an avec des salariés du service de remplacement, il a accueilli en apprentissage Laura Bigot, aujourd’hui salariée. L’entente est très bonne entre la jeune femme et l’éleveur qui lui a transmis la passion de l’élevage caprin et de la génétique.
« J’ai adhéré au contrôle laitier dès mon installation et à CapGènes en 1992, à la création du programme Gènes+ (aujourd’hui Gènes Avenir). J’ai toujours géré la reproduction de mes chèvres avec de l’insémination artificielle. Mon objectif est double : ne pas introduire sur l’élevage d’animaux de l’extérieur, pour des raisons sanitaires, et avoir accès à une multitude de boucs pour améliorer mon troupeau. »
140 chèvres à l'insémination artificielle
À son installation, le troupeau est désaisonné avec des mises bas en novembre. Mais les résultats de reproduction ne sont pas satisfaisants. « Les meilleures chèvres ne prenaient pas à l’insémination artificielle, ce qui complexifiait la sélection, explique Éric Bilheu. Aujourd’hui, en saisonné, les résultats de fertilité se sont améliorés et les chevrettes potentiellement support de renouvellement sont plus nombreuses. Chaque année, 140 chèvres sont inséminées et 160 sont en saillie naturelle avec des boucs issus d’insémination artificielle. »
Éric accorde beaucoup d’importance aux filiations, base de la sélection. Pour cela, il faut être rigoureux au moment de la mise à la reproduction et présent aux mises bas. Si cette contrainte allonge le temps de traite d’une quinzaine de minutes pendant dix à quinze jours, il juge que ce n’est pas trop contraignant par rapport au bénéfice. Il connaît de façon certaine le père et la mère de chaque chevreau naissant.
Un code couleur par lot
La chèvrerie est aménagée pour réaliser facilement des lots avec un système de barrières amovibles. « Toutes les chèvres et chevrettes ont un collier de couleur différente par lot : rouge pour les chèvres en accouplement programmé, vert pour les mères à bouc… Les boucs sont également équipés en fonction du lot dans lequel ils sont introduits. Un animal qui sortirait de son lot sera rapidement identifié. » Mais les barrières sont hautes et c’est arrivé une seule fois.
Les chèvres à l’insémination artificielle sont séparées des autres pendant huit jours. Ensuite, les lots sont mélangés pour les retours avec un bouc pour 35-40 chèvres. Les chevrettes sont par lot de 20 et toutes filiées également. En 2022, Éric a testé le protocole simplifié «éponge et effet bouc» sur 36 chèvres et est satisfait des résultats. 50 % des chèvres inséminées suivront ce protocole en 2023.
100 g de lait en plus pour les primipares
Aujourd’hui, la production laitière correspond aux objectifs d’Éric et l’éleveur axe son travail sur l’amélioration des taux. La morphologie et son impact sur la longévité des chèvres est aussi un caractère important. « Avec les nouveaux logiciels d’accouplement, c’est plus facile aujourd’hui de trouver les meilleures associations en fonction de ses objectifs. Les chevrettes qui viennent de débuter leur lactation sont magnifiques et elles produisent 100 g de plus que celles de l’année précédente ! » En salle de traite, Éric et Laura prennent le temps d’échanger sur les chèvres et d’apprécier la qualité des attaches avant, arrière et la hauteur du plancher des mamelles.
En complément du contrôle laitier sur sept traites, Éric note matin et soir le volume de lait au tank et a créé des feuilles Excel pour suivre ses chèvres. « Cela permet de se comparer au jour le jour, d’une année sur l’autre. Cette année, nous produisons en moyenne 200 grammes de lait en plus par chèvre et par jour que l’année dernière au même nombre de jours de lactation. Il y a probablement une partie liée à l’intégration dans la ration d’enrubannage de luzerne de bonne qualité. J’ai peut-être aussi augmenté la quantité de concentré un peu plus rapidement à la suite de problèmes sanitaires en début d’année. »
En 2022, la production moyenne a été de 1 155 kg de lait par chèvre sur 290 jours de lactation, avec un TP à 32,7 g/kg et un TP à 34,8 g/kg.
Difficile de choisir
Le choix des chèvres pour l’insémination est réalisé avec le contrôle laitier en fonction des index, de la morphologie et des précédents résultats de reproduction. Pour les boucs, l’objectif est d’utiliser ceux avec le plus haut niveau génétique théorique, si possible indexés.
« Je garde beaucoup de chevrettes issues de chevrettes pour l’élevage, plus toutes celles issues d’insémination artificielle. C’est difficile de choisir lesquelles vendre, je n’ai pas envie de m’en séparer, de passer à côté d’un potentiel », explique Éric.
Sur 380 mises bas, 160 femelles sont vendues à Chevrettes de France et à un éleveur, 110 sont conservées pour le renouvellement et une trentaine de mâles sont conservés et vendus en tant que reproducteurs. Les autres sont cédés à un engraisseur.
Il faut de la rigueur et de la patience pour améliorer au fil des ans le potentiel génétique et les performances de son troupeau. « Au-delà des résultats sur l’élevage, je ressens une fierté lorsque des chèvres sont choisies pour être mères à bouc et quand ils partent au centre de CapGènes, encore plus si l’un d’entre eux est inscrit au catalogue ! » s’enthousiasme-t-il.
Importance des filiations
Bien sûr, la génétique ne fait pas tout, encore faut-il permettre aux animaux d’exprimer leur potentiel. La ration au pic de lactation, à 4,8 kg de lait par chèvre en moyenne, est composée de 900 g de foin de luzerne, 1,2 kg d’enrubannage de luzerne, 2 kg de chèvre laitière 18 et 240 g de correcteur azoté. L’éleveur a fait le choix du distributeur automatique de concentré (DAC) il y a vingt ans lorsqu’il a voulu automatiser la distribution d’aliment au passage en ration sèche. La structure de la charpente ne permettait pas de supporter un rail. Il y a trois DAC par lot, environ un pour 30 chèvres.
L'année 2022 a fait exception à l’autonomie fourragère de l’exploitation. Exceptionnellement, la récolte de luzerne en enrubanné, plutôt qu’en foin, a permis d’avoir un bon fourrage, que les chèvres consomment bien et auquel elles semblent bien répondre. « L’avantage de l’enrubannage est que j’ai réussi à garder plus de feuilles et de la fibrosité », constate Éric.
Exprimer le potentiel
Les 55 hectares d’un seul tenant de la SAU sont en fermage. Ils comprennent 21 ha de prairies naturelles, 8 à 10 ha de triticale, 6 à 7 ha de maïs grain et 8 à 10 ha de luzerne. Entre 7 et 10 ha sont en prairies temporaires. Un des assolements est une succession ray grass-trèfle, maïs grain, triticale ou encore luzerne, triticale, ray grass trèfle.
Éric a la possibilité d’irriguer une partie de ses surfaces grâce à deux étangs. Les sols sableux sont parsemés de nombreuses roches affleurantes, demandant de l’attention lors des travaux.
Le tarissement se fait sur une semaine, avec une réduction progressive du concentré à 100-200 g par chèvre, et monotraite. Une trentaine de chèvres non gestantes ont poursuivi leur lactation cet hiver pour conserver leur potentiel génétique. Ce nombre pourrait augmenter dans les années à venir. Éric souhaite réduire l’étalement des mises bas les prochaines saisons, et va limiter les retours à trois et toutes les chèvres non gestantes seront conduites en lactation longue.
Chiffres clés
Aux petits soins pour les chevrettes
En 2022, Éric Bilheu a investi dans une nouvelle nurserie pour ses chevrettes en construisant une extension à la chèvrerie. À la naissance, il désinfecte le nombril et sonde les chevreaux au colostrum préalablement thermisé. Pesé, seul le colostrum au-dessus de 20-21 est ingéré par les chevreaux. Ensuite, ils boivent du lait en poudre à la louve.
Dans ce nouveau bâtiment, l’éleveur a testé une litière 100 % copeaux de bois les trois premières semaines. « Je ne produis pas assez de paille et dois en acheter, alors mon objectif est d’en utiliser moins. Nous avons beaucoup de haies sur l’exploitation, c’est une ressource disponible. Autre bénéfice, les copeaux isolent bien du sol. J’ai testé avec 8-10 cm de copeaux, il faudrait monter jusqu’à 15 cm, même si l’humidité a bien été absorbée. »
Élodie Aumont, technicienne référent CapGènes
Une forte progression des index et des boucs performants
« Éric Bilheu a démarré avec un troupeau non sélectionné à son installation. Il a fait preuve de beaucoup de patience et de rigueur pour obtenir les résultats d’aujourd’hui.
Sur les cinq dernières années, il a gagné 18,8 points d’IPC (index production caprine), 1 point d’IMC (index morphologique caprin), et 1,9 point en ICC (index combiné caprin). Les index de son troupeau sont à 119 d’IPC, 102 d’IMC, et l’ICC moyen du troupeau est à 2,2. Pour mémoire, la base 100 des index représente la moyenne de la population indexée.
Toutes les qualités
Le trophée Gènes Avenir Saanen d’or reçu cette année vient récompenser ces progressions et la production de jeunes boucs issus de l’élevage. En moyenne, 14 mères à boucs sont proposées chaque année en accouplement programmé et 10 jeunes boucs génomiques issus de chez Éric Bilheu sont actuellement au catalogue CapGènes (nés en 2020, 2021 et 2022).
Il y a toutes les qualités recherchées dans ses boucs : du lait, de la morphologie, du potentiel laitier ou fromager. Ils sont très complets, c’est aussi une force.
Pour obtenir ces résultats, Éric Bilheu travaille sur des bases solides avec le suivi du contrôle laitier, et 100 % des filiations connues sur le renouvellement. Cela permet de sélectionner avec toutes les femelles, aucun index ne manquant.
Notre rôle en tant que technicien est d’accompagner les éleveurs en fonction de leurs objectifs. Mais cela demande de la patience. Il faut au moins trois à cinq ans pour voir les effets de la sélection d’un caractère. Et une fois le caractère visé bien fixé, on peut travailler un autre objectif.
Récompenser l’excellence génétique
Pour la cinquième année consécutive, CapGènes a organisé dans le cadre du concours général agricole le trophée Gènes Avenir, récompensant les éleveurs les plus impliqués dans le schéma de sélection caprin français.
Les trophées Gènes Avenir 2023 de CapGènes ont été remis au Salon de l’agriculture à Paris aux éleveurs adhérents qui représentent l’excellence de la génétique caprine.
Les critères d’évaluation sont : la participation annuelle, le pourcentage de mères à boucs retenues pour les accouplements programmés, les mâles mis à l’épreuve sur descendance et proposés en monte publique, l’évolution de la valeur génétique du troupeau en quatre ans sur la production, et l’évolution de la valeur génétique troupeau en quatre ans sur la morphologie mammaire.
Palmarès 2023 :
Saanen d’or : Éric Bilheu (Deux-Sèvres)
Saanen d’argent : Gaec Le Vieux Chêne (Deux-Sèvres)
Saanen de bronze : Louis-Marie Russeil (Deux-Sèvres)
Alpine d’or : Les Saapines du Ribon (Ardèche)
Alpine d’argent : Gaec Lepin (Rhône)
Alpine de bronze : Damien Bouteille (Aveyron)