Oui au lait cru !
En voulant protéger les jeunes enfants de fromages au lait cru, les autorités sanitaires négligent les atouts santé de la diversité microbiologique dans l’alimentation.
En voulant protéger les jeunes enfants de fromages au lait cru, les autorités sanitaires négligent les atouts santé de la diversité microbiologique dans l’alimentation.
La filière des fromages au lait cru commence à bouillir. Les récentes communications du ministère de l’Agriculture sur la consommation de fromage au lait cru par les enfants de moins de cinq ans inquiètent fortement les producteurs de fromages fermiers et les laiteries ne pasteurisant pas.
L’administration rappelle ainsi sur son site agriculture.gouv.fr que « la consommation de lait cru ou de fromages au lait cru peut présenter un risque important d’infection bactérienne chez l’enfant, surtout pour les moins de 5 ans. Ce risque particulier diminue avec l’âge jusqu’à 15 ans où il rejoint la normale d’après les données scientifiques. » Les autorités sanitaires leur préférant les fromages à̀ pâte pressée cuite, les fromages fondus à tartiner et les fromages au lait pasteurisé́. La même recommandation devant être suivie pour les femmes enceintes, les personnes immunodéprimées et les personnes âgées.
Ce message de prévention, qui faisait suite à plusieurs alertes sanitaires, a été doublé d’une note de service envoyé le 2 mai aux préfets puis relayées largement aux mairies et collectivités. Cette note indique que « les enfants de moins de 5 ans ne doivent en aucun cas consommer ces produits, les cas observés ces dernières années confirment la sensibilité des enfants de cette tranche d’âge, chez lesquels les symptômes peuvent être dramatiques ».
Plus récéement, c'est l'Anses qui préconise lui "d'éviter le lait cru et les fromages au lait cru" pour les enfants de moins de dix ans, les femmes enceintes et les personnes âgées, dans ses nouvelles recommandations alimentaires pour les populations spécifiques, présentées le 25 juin. Ces repères alimentaires constitueront la base scientifique des futures campagnes de santé publique.
Ces messages ont eu un impact immédiat et direct sur les producteurs de fromages fermiers. Dans certains cas, les restaurants scolaires ont refusé du jour au lendemain de prendre des produits au lait cru alors même qu’ils s’approvisionnaient régulièrement et depuis de nombreuses années auprès de ces producteurs. Les restaurants scolaires alimentant souvent les primaires et les maternelles, le risque est grand que l’approvisionnement en fromage au lait cru soit stoppé pour tous. Pour la Fédération des éleveurs de chèvres (Fnec), « toute la dynamique d’approvisionnement local et fermier est complètement cassée, démarche qui pourtant n’a de cesse d’être encouragée par les pouvoirs publics ! »
Ne stigmatisons pas le lait cru
Par leur formulation, le message de prévention du ministère et la note de service mettent un focus très négatif sur les productions fromagères au lait cru. « Sous prétexte de principe de précaution, collectivités comme grand public peuvent l’interpréter comme une interdiction de consommer des fromages au lait cru pour les moins de 5 ans, ce qui aura de toute évidence pour conséquence que les collectivités ne s’approvisionnent plus du tout en produits au lait cru », regrette ainsi la Fnec.
Pourtant, les 6 200 producteurs fermiers comme les 380 laiteries traitant le lait cru maîtrisent la gestion des risques sanitaires de leurs produits. Les fromagers fermiers ont ainsi mis en place des outils professionnels approuvés par les autorités sanitaires françaises, et plus récemment par la Commission européenne avec le Guide de bonnes pratiques d’hygiène européen en transformation du lait à la ferme. « Nous ne cessons de travailler en lien avec les techniciens qui interviennent auprès de nos producteurs laitiers fermiers à la professionnalisation et la responsabilisation des producteurs et le travail porte ses fruits sur le terrain », indique ainsi la Fnec dans un communiqué daté du 19 mai. Cette attaque contre le lait cru est d’autant plus dommageable que « la proportion des produits au lait cru dans les toxi-infections alimentaires collectives reste mesurée et extrêmement faible », notait pour sa part la Confédération paysanne dans un communiqué.
Face à ces messages anxiogènes de l’administration, la profession réagit et veut rappeler la richesse du lait cru et l’intérêt de la diversité de flores microbiennes. La Fnec, la FNPL et le Cnaol poursuivent les rencontres avec l’administration sanitaire pour qu’elle propose des messages plus pédagogiques. Ils construisent aussi un argumentaire pro lait cru, qui se retrouverait sur le futur site fromageaulaitcru.fr, qui rappelle les précautions à avoir mais surtout les efforts réalisés par les producteurs ainsi que les bénéfices du lait cru sur la santé, le lien au terroir ou la gastronomie. Peut-être faudrait-il, comme le proposait Daniel Rizet de l’AOP charolais, inscrire le fromage au lait cru au patrimoine mondial de l’humanité ?
Pour Jean-Philippe Bonnefoy de la Fnec, "nous devons être acteurs de notre communication, nous, les fermiers, qui nourrissons les hommes et les femmes grâce au lait cru. Nous avons pour la plupart élevé nos enfants et même avons été élevés en mangeant et buvant du lait cru. À nous d’informer nos clients et les décideurs politiques avec le pus de transparence possible. La confiance du public a été confirmée envers les agriculteurs, appuyons-nous sur cela pour changer la donne."
en chiffres
En savoir plus
Avis d'éleveur : Dominique Chambon, vice-président du syndicat de l’AOP rocamadour et du Cnaol
« Contrebalancer les aspects sanitaires »
« Les autorités sanitaires ont appliqué le principe de précaution et je ne pense pas qu’elles reviennent en arrière. En stigmatisant le lait cru, nous avons une vraie crainte que les fromages au lait cru soient, à terme, bannis des cantines scolaires. Au-delà de la perte de part de marché pour les fromageries, c’est surtout le souci de se priver de l’éducation au goût les consommateurs de demain. Pourtant, le programme européen « Lait et produits laitiers à l’école » appelle à faire découvrir les laitages aux enfants, à leur donner le goût de produits parfois moins connus et à leur présenter le patrimoine gastronomique français. À nous de rappeler le bienfait des fromages au lait cru. On s’est endormi sur nos recherches des atouts du lait cru. Nous voulons de nouveau mettre en avant les points positifs du lait cru pour contrebalancer les aspects sanitaires. Il y a certes un risque sanitaire infime avec le lait cru mais il y a surtout des bienfaits en termes de santé, d’environnement ou d’occupation du territoire. »
Avis d’expert : David Bazergue, délégué général de la fédération des fromagers de France
« Les crémiers-fromagers solidaires des producteurs »
« 80 % de la gamme que vend un crémier est composée de fromages au lait cru, il est inscrit dans l’ADN de notre métier et nous travaillons tous à la valorisation de ces produits. Les fromagers ont pris conscience d’une double responsabilité : envers le consommateur, auquel il doit apporter conseils éclairés et informations sur les produits et envers le producteur, dont il doit être l’ambassadeur auprès du consommateur. C’est pourquoi la Fédération des fromagers s’attache à diffuser des données objectives sur les fromages au lait cru, en prenant du recul par rapport aux informations stigmatisantes publiées par le ministère de l’agriculture. Le lait cru est une facette de notre patrimoine gastronomique national mais nous ne sommes pas dans l’opposition des modèles. Les fromages au lait cru sont complémentaires de ceux au lait pasteurisé. Le consommateur qui va acheter du fromage chez un crémier est presque aujourd’hui un militant. Il cherche une alimentation de qualité et plus sûre, en opposition aux dérives de l’agroalimentaire. Le crémier doit donc assister ses clients dans cette démarche en étant transparent avec eux. Nous avons transmis à nos adhérents une plaquette récapitulative des risques liés aux fromages au lait cru, pourquoi et qui cela concerne, ainsi qu’un rappel des précautions à prendre dans la conservation des produits. Trois axes de communication sont ainsi proposés aux crémiers qui souhaitent rassurer leurs clients et leur donner des consignes après l’achat : les fromages doivent être stockés à bonne température, le fromage est un produit vivant, il va encore évoluer après l’achat et, enfin, il faut choisir le fromage en fonction de ses goûts, de son état de santé et de son âge. »