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Noces de diamant pour les chevriers et le syndicalisme national

La Fnec a célébré le 60e anniversaire de sa création à l’occasion de son assemblée générale. C’était en avril dernier en Saône-et-Loire.

En plein cœur de la Bourgogne, dans l’AOP viticole Saint-Véran, plus de 110 chevriers venus de toute la France se sont réunis pour partager un moment de (re) découverte et de convivialité à l’occasion de l’assemblée générale de la Fédération nationale des éleveurs de chèvres (Fnec). Le lycée agricole de Davayé, aux alentours de Mâcon, a hébergé l’événement qui s’est étalé sur deux jours. Le site comprend également un centre de formation pour adultes (CFPPA), un atelier viticole dont les grands crus bios ont fait le bonheur des participants et une exploitation de 200 chèvres alpines. L’atelier de transformation fromagère permet la fabrication du fameux mâconnais AOP à partir des 120 000 litres de lait produits. « Le lycée de Davayé est la référence caprine en Bourgogne-Franche-Comté et tente de remédier à la carence dans cette région en formation pour cette production », expose Jean-Philippe Bonnefoy, président du syndicat caprin de Saône-et-Loire et vice-président de la Fnec. Les participants ont pu se régaler de saucissons de chèvre, pâtés de chevreau et des deux AOP caprines de la région, le mâconnais (83 tonnes produites en 2016) déjà évoqué et le charolais (63 tonnes produites en 2016), un des plus gros fromages de chèvre français sous appellation.

Un lien historique avec l’élevage caprin

Historiquement la Saône-et-Loire a toujours compté des ateliers caprins en complément et diversification des ateliers bovins allaitants ou des vignes. La production caprine s’est professionnalisée au cours du temps, s’est structurée et a petit à petit fait remonter le besoin d’une représentation nationale. Si bien qu’il y a 60 ans, naissait la Fédération nationale des éleveurs de chèvres, sous l’impulsion de plusieurs départements et régions, dont la Bourgogne, aime à rappeler Jean-Philippe Bonnefoy. Esquivant la pluie et profitant d’un doux soleil printanier, les participants, venus de toute la France, ont pu visiter deux exploitations locales, avec deux systèmes différents, un éleveur livreur pour Agrial et un couple d’éleveurs fromagers vendant leur production en direct. Dans la bonne humeur et avec les explications enjouées de l’animateur du syndicat caprin départemental, Jean-Luc Nigoul, les membres de la Fnec ont débuté leur tournée chez Frédéric Vallensant, éleveur de 220 chèvres saanen à Germolles-sur-Grosne. Cet éleveur de 47 ans s’est installé une première fois sur une exploitation à quelques kilomètres de là en 1998 avec un associé. En 2008, il a voulu passer à un système plus herbager tout en souhaitant travailler seul et a donc migré avec son cheptel sur la colline d’en face. « L’installation n’a pas été de tout repos, il y a eu une conjoncture de facteurs négatifs à cette période, témoigne l’éleveur qui livre la totalité de sa production à Agrial. Je suis passé d’une alimentation en bâtiment à un maximum de pâturage, mes chèvres ont donc perdu en production. En même temps, il y avait la crise du lait de chèvre et, à peu près au même moment, j’ai eu des problèmes sanitaires, dus au regroupement de deux troupeaux, qui ont fait chuter la production. Somme toute, cela ne fait que trois ans que je me dégage réellement du revenu ». Frédéric Vallensant a enfin atteint son point d’équilibre, avec un bon nombre de chèvres, mais avec une moyenne de production comprise entre 700 et 750 litres de lait par chèvre. Il souhaiterait parvenir à augmenter les volumes. Pour cela, il travaille sur la qualité de l’herbe de sa trentaine d’hectares de prairies naturelles, qu’il complète de dix hectares de luzerne et de trèfle violet. Il travaille également sur la génétique par une sélection de boucs ayant une descendance de bonnes laitières autant en qualité qu’en quantité.

Les installations compensent à peine les arrêts

En 2017, il valorisait en moyenne les 1 000 litres à 850 euros. Sa production part sur le site Agrial de Valcrest, dans la Drôme. Clémence Duplessy, technicienne d’Agrial pour la filière caprine dans le sud-est, a fait part des objectifs et inquiétudes du groupe coopératif à l’occasion de la présentation de la filière caprine régionale : « la production de lait de chèvre dans la région a de l’avenir. Son salut passera notamment par la valorisation des produits par les prix et les marques. Cependant, nous sommes tous conscients de la problématique des reprises d’exploitations qui sont toujours trop peu nombreuses et aujourd’hui, alors que nous voudrions voir notre production de lait français augmenter, les nouvelles installations compensent tout juste les arrêts ». Frédéric Vallensant est un exemple de persévérance couronnée puisque, aujourd’hui, après tant de difficultés lors de son installation, il parvient à vivre de son travail.

Les laiteries vont devoir mettre le prix qu’il faut

Le président de la Fnec, Jacky Salingardes, conclut la visite : « la production est à la croisée des chemins. Nos éleveurs sont vieillissants, il est plus que nécessaire d’en installer des nouveaux et pour cela, il faut que la filière attire, il faut du revenu et de la main-d’œuvre. Les laiteries vont devoir augmenter les prix du lait si elles veulent pallier le manque de lait français ». D’un élevage spécialisé en caprin, les participants à l’assemblée générale sont ensuite passés à un système d’élevage traditionnel charolais, sur la ferme familiale de Nathalie Gamot et Claude Nugues. Ce dernier s’est installé en 1993 sur l’exploitation de ses parents avec un atelier comptant 85 vaches allaitantes et 150 brebis. Il a été rejoint cinq ans plus tard par sa compagne. Ensemble, ils ont mis en place une troupe de 50 chèvres, en réduisant progressivement le cheptel ovin. Aujourd’hui, il ne reste qu’une vingtaine de brebis, qui valorisent des petits bouts de terrain non mécanisables. Elles font face aux jolies chèvres poitevines dans le bâtiment. Nathalie avoue avoir été conquise par la beauté de cette race et a été sensible à la menace de disparition qui planait alors au-dessus des Poitevines. Le couple ne regrette pas ce choix et Nathalie détaille : « la Poitevine ne fait pas un lait avec plus de taux, mais il est différent, il ne se travaille pas de la même façon que pour les autres races. En plus, la Poitevine valorise très bien l’herbe, elle est rustique et, ce qui ne gâche rien, elle est vraiment câline ! Le seul problème est de trouver des bons boucs ». En effet, le troupeau n’est pas suivi par Capgènes et il manque de référence en termes de reproducteurs. Petit à petit, la ferme de La Chazère a su faire reconnaître la qualité de ses boucs et les éleveurs viennent de toute la France pour en acquérir.

La vente directe demande un sacrifice en main-d’œuvre

Le couple transforme toute la production laitière en fromages, vendus en direct sur les marchés et à la ferme. « Nous avions commencé à vendre à un grossiste, mais la valorisation n’était vraiment pas suffisante. Nous avons donc pris les choses en main et nous nous sommes chargés de la commercialisation », retrace Nathalie. Ils ont alors réduit les effectifs des troupeaux pour pouvoir dégager du temps pour la vente. Néanmoins cela leur pose un problème de main-d’œuvre sur la ferme. Claude et Nathalie parviennent à valoriser leur litre de lait transformé autour de 1,90 € (soit 10 centimes de plus que la moyenne régionale), mais il leur a fallu creuser pour se faire une clientèle locale et fidèle. Ils misent également sur leur image de producteurs fermiers, avec des pratiques proches du bio, avec des soins et de la prévention en phytothérapie. « Les frais vétérinaires par chèvre et par an sont globalement inférieurs à 10 € », précise Claude. Finalement les chèvres constituent un complément de revenu intéressant pour l’exploitation, mais le couple avoue rester vigilant face à la concurrence farouche avec des prix très bas pratiqués par des livreurs qui se diversifient avec la vente directe.

La Fnec face aux problématiques de la filière

Le revenu des éleveurs, la compétitivité et la concurrence, l’équilibre entre laitiers et fromagers, les crises sanitaires et économiques, ces deux élevages ont retracé en un après-midi les problématiques auxquelles fait face la Fnec depuis maintenant 60 ans et sur lesquelles elle a construit et structuré la production. Le soir, pendant le dîner de gala, lors d’une courte rétrospective avec les anciens présidents de la Fnec présents, Kacem Boussouar, deux fois président de la Fnec, rappelait également que, à l’image de son propre parcours, « la filière caprine a permis à beaucoup de gens de toutes origines de devenir éleveurs, qu’ils soient issus ou non de l’agriculture ». François Etevenon, président de la Fnec de 1987 à 2000, revenait sur les événements marquants de l’histoire de la Fnec : « la création en 1983 de l’Anicap, et sa reconnaissance, a vraiment structuré la filière. Et la création de l’Institut de l’Élevage avec la fusion notamment de l’Itovic a permis à la filière caprine d’avoir sa place dans des instances telles que le CNE, aux côtés des plus grosses filières d’élevage ».

Les éleveurs ont soif de réponses sur les attentes sociétales

L’assemblée générale a également été le théâtre d’un débat autour du bien-être animal et de son impact dans la société. Les éleveurs sont toujours désemparés face aux accusations que les extrémistes de la cause animale portent à leur encontre mais sont également avides d’informations sur le sujet pour améliorer leur travail, leur communication et donc l’image globale de l’élevage. « Nous devons mettre en valeur notre travail pour continuer à bien faire les choses. Nous sommes des hommes et des femmes, nous avons nos limites et nous recevons des attaques face auxquelles nous devons être solidaires dans la filière et entre toutes les filières d’élevage », lance Jean-Philippe Bonnefoy. La table ronde d’experts sur la question du bien-être comptait Francis Wolff, philosophe et maître de conférences spécialisé dans la relation homme-animal, Aurélia Warin, éthologue et conseillère en bien-être animal, et Bruno Dufayet, président de la Fédération nationale bovine et de la CNE et responsable de la commission enjeux sociétaux d’Interbev. Le débat a été très apprécié par les éleveurs qui ont pu aborder un grand nombre de questions « tabou » ainsi que des explications rationnelles sur les motivations et les raisons des accusations.

Ne pas confondre welfariste et animaliste !

Aurélia Warin a pour sa part tenu à ce que différence soit bien faite entre welfaristes, qui souhaitent l’amélioration des conditions de vie et d’abattage des animaux, et animalistes, qui veulent la fin pure et simple de toute « exploitation de l’animal par l’homme ». Bruno Dufayet a insisté sur l’importance de la communication aujourd’hui dans le métier d’éleveur, avec les visiteurs de l’exploitation, les clients de la ferme ou bien sur les réseaux sociaux. « Nous avons laissé toute la place à nos détracteurs sur le web. Il est temps de se montrer aussi ! », a-t-il déclaré.

Pour Jacky Salingardes, cette assemblée générale et le soixantième anniversaire de la Fnec sont une réussite. « Notre but est de donner envie aux futurs éleveurs ainsi qu’à ceux que l’on compte déjà dans nos effectifs, de franchir le pas et de s’impliquer un peu plus dans la filière ».

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