Dans le Vaucluse

Les mains dans la bouche des chèvres

À Perne-la-Fontaine, à une trentaine de kilomètres d’Avignon, les chèvres de Julie Christol sont attirées par l’étrange table que Pol Jaspart, dentiste équin et caprin, a disposée dans leur aire de détente. Elles tentent de jouer avec le matériel. Mais lorsque l’éleveuse tente d’attraper la plus vieille, elle est bien décidée a ne pas se laisser faire, comme si elle savait ce qui l’attend. Julie finit cependant par y arriver, en la tenant par les cornes, pour l’amener entre les mains du dentiste. À l’aide d’un manche de marteau, il ouvre la bouche de la chèvre et met ses mains à l’intérieur afin d’examiner sa dentition. Pol Jaspart examine les chèvres avec du matériel improvisé. « Il n’y a pas de matériel spécifique à la dentisterie caprine donc on fait avec ce qu’on peut… Je bricole avec des outils et à partir de ce que j’utilise pour les chevaux ». Pas de problèmes pour cette première patiente qui, malgré son âge, a une dentition en bonne santé. Pour le dentiste, chez les chèvres, comme chez tous les ruminants, les problèmes viennent généralement avec l’âge et une alimentation mal adaptée. Julie ramène une autre chèvre, plus docile cette fois, et Pol décèle un problème. Il commence donc par lui rincer la bouche à l’aide d’une grande seringue afin d’enlever l’herbe coincée dans la bouche. Le praticien a détecté une surdent chez cette chèvre. En effet, lorsque les deux mâchoires se désaxent, notamment à cause de l’âge, des dents peuvent trop pousser et gêner la mastication. Si l’on garde les chèvres peu longtemps, moins de cinq ans, il n’est donc pas forcément nécessaire d’examiner les dents.

L’alimentation en cause dans les problèmes dentaires

Ce problème peut aussi être dû à « l’alimentation artificielle moins abrasive pour les dents. Les chèvres qui vont en extérieur ont généralement moins de problèmes de dentitions que les chèvres toujours en intérieur » remarque Pol Jaspart. Afin de régler le problème de cette chèvre, il va donc utiliser un outil qu’il emploie sur les chevaux et qui permet de limer les dents. « Ça fonctionne mais c’est vrai que c’est un peu grand pour la bouche d’une chèvre. Il faut faire deux fois plus attention qu’avec les chevaux et puis on n’a pas d’ouvre-bouche spécifique donc à la moindre inattention, on se retrouve mordu. J’ai bien plus souvent été mordu par des chèvres que des chevaux et pourtant j’en vois beaucoup moins ». Une fois les dents bien limées, la chèvre provençale retourne à ses activités, un peu perturbée mais elle va pouvoir remastiquer correctement. Julie a fait appel pour la première fois à Pol il y a quelques années. Elle avait reçu un courrier de sa conseillère caprine lui indiquant la présence d’un dentiste caprin dans la région. Lorsqu’une de ses vieilles chèvres a commencé à maigrir elle a décidé de "tenter le coup". Le dentiste a examiné et soigné la chèvre et, après son intervention, la chèvre a recommencé à manger correctement, à regrossir et à augmenter sa productivité. Quand la dentition d’une chèvre est abîmée, la mastication n’est pas assez efficace et elle ne digère pas correctement les végétaux, ce qui l'empêche d’en tirer les éléments nécessaires pour leur nutrition. Elles peuvent donc maigrir et diminuer leur productivité malgré le fait qu’elles continuent à manger. "Ça valait le coup, confie Julie. Au lieu de la réformer, j’ai pu la garder quelques années de plus. Quand on a de bonne laitière, c’est vraiment intéressant de faire appel à lui. Si c’est un problème dentaire, c’est vite réglé et on les garde quelques années de plus. En élevage caprin, on fait attention à toutes les charges supplémentaires mais pour moi c’est une charge qui n’est pas inutile". Pol Jaspart vient désormais chez l’éleveuse tous les trois ans environ afin d’examiner ses 40 chèvres. Le forfait à 100 euros la demi-journée est souvent préféré à celui de 30 à 40 euros par chèvre.

Seulement quelques clients caprins

Avant d’être dentiste, Pol Jaspart a été débardeur avec chevaux pendant trente ans en Belgique. C’est là qu’il apprend les rudiments de la dentisterie équine en s’occupant de ses chevaux et de ceux de ses amis. Quand il a décidé de faire ça de manière professionnelle, il a suivi une formation de sept semaines dans les haras nationaux au Maroc. Pour le belge d’origine, même si cette formation lui a permis d’apprendre à utiliser du matériel qu’il ne connaissait pas, c’est surtout la pratique qui l’a formé. Il a aussi suivi une formation en ostéopathie ce qui lui a permis "de mieux appréhender la dentisterie car, quand on comprend la mécanique du corps, on est plus à même de gérer les problèmes de dentition". Il exerce maintenant le métier d’ostéopathe et de dentiste principalement sur des chevaux dans l’est de la France mais il a quelques clients caprins. Il a aussi fondé l’association Dentiste et ostéopathe équin sans frontière avec des élèves ostéopathes. Il se rend pour des missions dans des pays en développement afin de pratiquer principalement la dentisterie sur des chevaux de travail mais aussi des chèvres. Il forme sur place des techniciens afin de transmettre son savoir et pérenniser ses actions. Dans ses missions, il est généralement accompagné de vétérinaires afin de prodiguer des soins complémentaires aux animaux.

La chèvre passe la moitié de sa vie à mastiquer

La chèvre est un herbivore ruminant. Les adaptations anatomiques et physiologiques du système digestif des ruminants leur permettent d’utiliser des fourrages. Pour être digérés, les végétaux doivent être réduits en fines particules par une mastication active, permise par les caractéristiques fonctionnelles de la dentition des ruminants. La mastication au cours de la prise alimentaire et lors de la rumination contribue à réduire les aliments en particules inférieurs à un millimètre, taille critique pour le passage du continent ruminal vers les compartiments digestifs supérieurs. L’efficacité de la mastication va déterminer la capacité d’ingestion de l’animal. La dentition des chèvres, et des petits ruminants en général, est constituée de 32 dents insérées dans les mâchoires. Elles ne sont pas réparties équitablement entre les mâchoires inférieures et supérieures. Les ruminants nourris avec du fourrage passent près de la moitié de leur vie à mastiquer au cours des repas et de la rumination. Sans cela, ils ne seraient pas capables de broyer les fibres végétales en particules de taille suffisamment réduite pour permettre la fermentation ruminale et le passage des résidus indigestibles.