Anicap
Le prix et l’image du lait en débat
Lors de l’assemblée générale de l’interprofession caprine, les débats se sont concentrés sur le prix du lait et sur l’image des produits laitiers.
L’assemblée générale de l’Anicap, l’interprofession caprine, s’est tenue le 18 juin à Paris. L’occasion de faire un point sur l’année écoulée et celle en cours. Sur les quatre premiers mois de 2019, les achats des ménages en fromages et lait de chèvre sont en augmentation. Les exportations ont reculé sur cette même période et les laiteries fonctionnent en flux tendus, les stocks étant en négatif. Pourtant, lors des cycles de négociations entre industriels et grande distribution en début d’année, les prix n’ont pas atteint les objectifs souhaités par les éleveurs. Jacky Salingardes, président de la Fnec, revient sur les embûches de l’année écoulée : « en 2018, la production a été impactée par la sécheresse. À mon seul niveau, cela m’a coûté 13 000 euros. Les faibles hausses obtenues avec les grandes surfaces ne me permettront que de gagner 600 à 700 euros de plus sur l’année. » Celui qui est aussi président de l’Anicap alerte sur l’épuisement moral et financier des éleveurs. « On n’en peut plus, cela fait des années que rien ne bouge. Les laiteries et la distribution nous promettent chaque fois des augmentations pour une prochaine fois, mais tout ce qu’elles cherchent à faire, c’est gagner du temps », s’insurge-t-il. D’après Joël Mazars, éleveur aveyronnais, les États généraux de l’alimentation devaient apporter du ruissellement, c’est-à-dire une meilleure répartition des valeurs tout au long de la chaîne de production. « Avec le recul, ce sont toujours les producteurs qui sont lésés », se désole-t-il. Dominique Verneau, des laiteries Triballat, tempère : « nous pensions avoir une fenêtre de tir avec les États généraux, mais la distribution nous a bien fait comprendre que cela ne concernait pas la chèvre… »
Une filière longue en manque d’attractivité
Les éleveurs présents dans la salle s’inquiètent pour l’avenir de la filière longue caprine. Son manque d’attractivité actuelle serait un frein majeur à l’installation de nouveaux éleveurs qui se tournent préférentiellement vers les circuits courts. « Beaucoup y vont la fleur au fusil, avec l’idée de faire du fromage fermier, témoigne Jean-Philippe Bonnefoy, fromager fermier en Saône-et-Loire. Ils s’installent seuls avec 40 chèvres et vendent tout sur les marchés ou autre canal de vente directe. » Vice-président fermier du syndicat caprin national, il s’inquiète du manque d’informations dont ces jeunes disposent et du manque de compétences bien trop souvent flagrant. « D’autant qu’aujourd’hui, il y a sans doute plus de place pour s’installer en livreur qu’en fermier », renchérit Mickaël Lamy, éleveur du Maine-et-Loire et vice-président de l’Anicap.
Le social et la productivité ne sont pas opposés
Le revenu de l’agriculteur, donc le prix du lait, est bien entendu un critère important dans la décision d’installation, mais ce n’est pas le seul facteur à prendre en compte. « Le social est souvent mis de côté, met en garde Philippe Bru, éleveur dans le Tarn et représentant de Coop de France. Aujourd’hui, un jeune ne se voit pas toujours faire une croix sur les soirées entre amis. Nous devons aussi nous pencher sur cette question. » Dans la salle, on évoque par exemple un couple de chevriers récemment installés qui ont embauché un salarié. Ainsi, celui-ci fait la traite tous les soirs et le couple a le temps de se consacrer à la vie de famille. « C’est un choix de vie, une priorisation qui est propre à chacun d’entre nous, reprend Mickaël Lamy. Il n’y a pas de meilleurs ou de moins bons modèles, simplement il en existe qui sont à la fois performants techniquement et socialement et nous devrions plus communiquer sur eux. »
Élever la voix pour élever les prix
L’interprofession avait également mis au menu du jour la réduction des émissions de CO2 dans les exploitations laitières et la crise du lait cru. Jean-Marc Burette, éleveur de vaches laitières dans le Pas-de-Calais, explique qu’il a fait réaliser les trois diagnostics Cap’2Er sur son exploitation. Ces audits avaient notamment pointé une ration trop généreuse en concentrés protéiques, un surplus d’engrais sur les parcelles et une ration fourragère pas toujours bien équilibrée. L’éleveur a réussi à alléger son empreinte carbone tout en étant plus efficace. Il a aussi fait une économie de 8 000 euros la première année et de 5 000 euros chaque année par la suite, sans investissement supplémentaire. Le président de l’interprofession caprine, Jacky Salingardes, conclut la séance : « l’Anicap est un cadre où nous arrivons toujours à échanger, bien que je sente les difficultés. C’est aussi mon devoir d’élever la voix pour dire quand les choses ne vont pas. Les sujets de discussion évoluent et nous font aller de l’avant. Notre filière a de l’avenir, il lui suffit de surmonter les obstacles comme nous avons fait pour en arriver là aujourd’hui. »
La bonne image des produits laitiers
« Il faut ouvrir les portes des usines et des fermes »
Néanmoins, la bonne image et la confiance en l’élevage laitier et les producteurs s’érodent sur le long terme, impactées ces dernières années par l’affaire de la ferme des 1 000 vaches ou par les images chocs dévoilées par les associations antispécistes ou welfaristes. L’arrivée des producteurs laitiers sur les réseaux sociaux et leurs prises de paroles de plus en plus fréquentes et écoutées ont permis à ceux-ci de freiner cette érosion voire de la stopper. Gérard Chabauty, éleveur dans les Deux-Sèvres et secrétaire général adjoint de la Fnec, encourage : « il faut ouvrir les portes des usines et des fermes. C’est contraignant, mais ça évite la propagation d’idées fausses ou de rumeurs. » Quant à la consommation des produits laitiers, les Français n’ont pas les mêmes attentes pour la viande que pour les produits laitiers. « Les Français font attention à ce qu’ils mangent, détaille Noëlle Paolo. Pour les produits laitiers, l’aspect éthique, bien-être animal et environnement ne sont pas les premières préoccupations, même s’il faut tout de même s’y intéresser. Ce que les consommateurs veulent, ce sont des produits bons pour la santé, avec une sécurité sanitaire, un apport nutritionnel équilibré, etc. C’est en tout cas la principale raison indiquée par les personnes qui ont réduit leur consommation de produits laitiers. »