« La poitevine apporte une plus-value à nos fromages »
À Saint-Mathurin en Vendée, La Ferme du Cap’Vert limite les charges et valorise bien le lait de ses 110 chèvres poitevines, permettant d’atteindre un équilibre économique satisfaisant.
À Saint-Mathurin en Vendée, La Ferme du Cap’Vert limite les charges et valorise bien le lait de ses 110 chèvres poitevines, permettant d’atteindre un équilibre économique satisfaisant.
À deux pas des Sables-d’Olonne, Julien et Gwenaëlle Ravon ont créé La Ferme du Cap’Vert en 2011. Particularité de l’élevage situé sur la commune de Saint-Mathurin en Vendée ? Ses 110 chèvres poitevines et sept bretonnes pie noir. « Nous avons terminé notre projet d’installation en 2010, se rappelle le couple, en pleine crise du lait de chèvre. Nous avions un projet atypique en Vendée pour l’époque, nous voulions faire de la transformation à la ferme et de la vente directe en agriculture biologique. »
Le choix du siège de l’exploitation a été guidé par la proximité avec leurs familles et les possibilités de vente directe. La race poitevine s’est imposée au cours du projet. « Une chèvre locale, rustique, adaptée à un système pâturant, apportant une typicité aux fromages et jolie bien sûr ! », assurent-ils. Et ils achètent leurs vingt-huit premières chèvres. « Nous ne nous rendions pas compte ! Il aurait fallu débuter avec soixante chèvres au minimum, quitte à avoir deux races au départ. » En effet, avec deux fois moins de chèvres, difficile de répondre à l’engouement suscité par les fromages des jeunes installés et d’atteindre l’équilibre économique visé. Alors Julien et Gwenaëlle ont acheté dix alpines pour augmenter la production du troupeau en attendant de monter l’effectif de poitevines.
Avoir des références économiques
Il existe une forte hétérogénéité dans la race, du fait de l’absence de schéma de sélection pendant de nombreuses années. Les écarts entre animaux se réduisent au fil des ans et les jeunes qui s’installent aujourd’hui peuvent acheter leurs chevrettes dans des pépinières et maximiser leurs chances de réussite. « Nous avions estimé la production à 600 litres par chèvre. On ne les a jamais atteints, avancent Julien et Gwenaëlle en souriant. Il y a douze ans, il y avait peu de producteurs fermiers sur le département, encore moins en race locale. Nous avons eu de la chance de trouver une banque pour soutenir notre projet. Le risque financier et humain était réel. »
C’est aussi pour cela que le couple a accepté d’intégrer le projet de l’Association pour la défense et le développement de la chèvre poitevine autour du calcul des coûts de production. « Nous aurions aimé avoir ces références il y a dix ans et espérons que cela aidera de futurs installés », expriment les éleveurs.
« Nous aimons la race poitevine, cela a été un coup de cœur, et cette jolie chèvre donne du sens à notre élevage, à nos produits »
Le site repris comprenait déjà des bâtiments, mais ils n’avaient pas accueilli d’animaux depuis longtemps. Julien et Gwenaëlle les ont aménagés pour leurs chèvres. Sur les 71 hectares de SAU initiaux, ils viennent de laisser 18 ha, éloignés et morcelés, à un autre agriculteur pour se concentrer sur les 53 restants autour de l’exploitation et alléger la charge de travail.
450 litres par chèvre
« La poitevine est une race à part, les chèvres ont conservé un caractère propre. Elle convient bien à la conduite en petit troupeau et valorise très bien les fourrages, le pâturage. Et elle est restée rustique. Nous avons observé la différence avec les alpines sur le parasitisme. Et puis elle produit un lait exceptionnel pour nos fromages », affirment Julien et Gwenaëlle. Un lait typique, doux et fin, apprécié par leurs clients. Le rendement fromager est intéressant aussi avec de bons taux.
« C’est une chèvre de caractère, et la hiérarchie est forte entre les individus. C’est aussi pour cela je pense qu’elle a été abandonnée dans les systèmes d’élevage, elle ne s’adaptait pas aux grands troupeaux, elle a besoin d’espace », avance Julien.
« Aujourd’hui, cela a du sens de travailler avec la poitevine, à condition d’avoir un système adapté. Elle a toute sa place dans un élevage fermier. La force de notre exploitation, c’est l’autonomie avec un coût alimentaire faible, des charges raisonnées et une bonne valorisation en vente directe, en moyenne 2,70 euros le litre. C’est indispensable. Avec 450 litres par chèvre en moyenne, il faut atteindre ce niveau de prix. Au-delà de l’aspect conservation, élever une race locale ajoute une spécificité que l’on peut valoriser. »
Passer en monotraite toute l’année
Les chèvres de Gwenaëlle et Julien produisent du lait de janvier à mi-novembre, les dernières semaines sont en monotraite et le couple souhaite étendre la pratique à l’ensemble de la lactation pour enlever l’astreinte du soir. « Nous sommes installés depuis douze ans maintenant, nos charges sont moins élevées alors nous avons envie de réduire la charge de travail. Et si cela ne nous plaît pas ou ne fonctionne pas, nous pourrons revenir en arrière et réinstaurer la traite le soir. » Ce changement va aussi permettre d’augmenter le temps de pâturage jusqu’à la tombée de la nuit, les chèvres ne devant plus rentrer pour la traite du soir.
L’élevage des chevreaux va lui aussi être modifié et simplifié. « Nous avons élevé les chevrettes sous la mère l’année dernière. Cela a donné des animaux débrouillards avec une meilleure courbe de croissance, plus développés au sevrage. Nous voulons poursuivre ce travail en laissant les chevreaux avec leur mère et les séparant le soir pour ne pas pénaliser la quantité de lait à la traite le matin. »
Chevrettes élevées sous la mère
Les sept bretonnes pie noir de l’élevage ont été introduites sur l’exploitation à l’origine pour nourrir les chevreaux. « Notre organisme certificateur n’autorise pas la poudre conventionnelle pour l’élevage des chevrettes. Alors l’idée a été d’avoir des vaches laitières pour nourrir les chevreaux. Et puis la réflexion a avancé avec la valorisation des refus des chèvres au pâturage et du foin, et la transformation de leur lait pour compléter la gamme. C’était cohérent d’avoir un petit troupeau de vaches à côté des chèvres. »
Sur les deux cent trente chevreaux nés en 2022 à La Ferme du Cap’Vert, quinze ont été élevés sous la mère, vingt au lait de vache, et les autres femelles sont parties en pépinière. Une vingtaine de mâles ont été engraissés au lait de vache et commercialisés en vente directe, les autres ont été vendus à un engraisseur.
Sur les 52 hectares tout en bio, 16 produisent des méteils : 4,5 de mélange blé et féverole, 5,5 de triticale et pois, et 6 de féverole, triticale, avoine et pois. Le reste est en prairie. « Nous sommes équipés pour le tri et la conservation des méteils. Nous sommes autonomes en fourrage et en concentrés, mais nous ne nous interdisons pas d’acheter comme en 2021 et 2022, pour ne pas trop pénaliser la production. »
10 m2 par chèvre et par jour au pâturage
La ration au pic est centrée sur le pâturage, fil avant et fil arrière. Onze hectares sont accessibles aux chèvres, puis pâturés par les vaches, permettant de ne pas revenir trop vite sur les mêmes parcelles et de limiter la pression parasitaire. « Nous comptons environ 10 m2 par chèvre et par jour, pour 8 à 9 heures de pâturage. Cela peut varier à l’œil en fonction de la pousse de l’herbe, du temps et de la qualité de la prairie. Ce fonctionnement limite les refus et les chèvres valorisent mieux l’herbe, la production laitière est plus régulière. » C’est un peu plus de travail, mais les éleveurs s’y retrouvent.
Les prairies sont composées de ray-grass anglais, trèfle blanc, trèfle hybride et ray-grass hybride. Ces deux derniers « disparaissent en général au bout de deux ans », précise Julien.
En complément, en fonction du pâturage, les chèvres reçoivent 500 g de matière sèche de foin par jour, 400 g d’un méteil orienté céréales et 200 g d’un méteil orienté protéagineux.
« À l’été 2022, nous avons observé une reprise plus importante des fétuques, nous allons donc augmenter la part de fétuque aux dépens de celle de ray-grass hybride et trèfle violet pour donner de la résilience aux prairies. Nous avons un chargement faible à l’hectare, cela permet d’avoir de l’autonomie. »
Chiffres clés
Échanger entre éleveurs pour progresser
La Ferme du Cap’Vert adhère à l’Association pour la défense et le développement de la chèvre poitevine depuis leur installation. « Nous essayons de participer au maximum au plan de sauvegarde génétique, notamment par le choix des boucs. Tous les ans, nous achetons au moins deux jeunes boucs. Quand nous avons ciblé un élevage qui nous intéresse, nous échangeons avec l’éleveur pour choisir le bon animal en fonction de nos objectifs : production, morphologie… Et nous sommes vigilants à ce que les animaux restent dans le type poitevin. Nous vendons également des boucs. »
Julien souligne l’importance de ces relations entre éleveurs : « On n’échange pas que les boucs, nous parlons pâturage, alimentation, transformation. Ces moments sont très importants dans l’année. »
« Notre objectif, valoriser le lait à 3 euros le litre »
Avec une gamme de fromages au lait de chèvre large et complétée par des produits au lait de vache, la famille Ravon sait tirer parti de sa localisation dans un bassin de consommation important.
Julien et Gwenaëlle Ravon transforment le lait de leurs 110 chèvres poitevines en lactiques, faisselle, fromage blanc, yaourts, tome et une pâte molle, le « camenchèvre ». La vente se fait à la ferme avec un créneau par semaine, sur le marché des halles centrales aux Sables-d’Olonne et dans des magasins bio et épiceries locales.
Augmenter les tarifs en 2023
« Nous parvenons à commercialiser l’ensemble de notre production sur ces différents temps de vente, explique le couple d’éleveurs. Nous avons la chance d’être sur un bassin de consommation important et où nous sommes peu nombreux à proposer du fromage de chèvre fermier. La saison estivale amène des touristes à la ferme et sur le marché. »
En 2022, la hausse des charges de main-d’œuvre, carburant, emballage… s’est fait sentir. Avec une valorisation objective à 3 euros le litre, Gwenaëlle et Julien vont devoir augmenter leurs tarifs et veulent améliorer encore le rendement fromager. « Nous sommes vigilants sur la maîtrise des paramètres en fromagerie, notamment la courbe d’acidité. Et avec le pâturage, il faut réussir à intégrer le foin dans la ration pour avoir suffisamment de fibrosité et un lait plus riche. »