Changement climatique : pour Serge Zaka, « il faut sortir de la stratégie de pansement avec une vraie diversification fruitière »
Avec le changement climatique, à quoi ressemblera la France fruitière et légumière en 2050 ? Le salon Medfel, ces 24 et 25 avril, fait le point. Mais pour ce sujet d'importance. Serge Zaka, docteur en agroclimatologie et président d'AgroClimat 2050, dresse en avant première pour FLD une cartographie de la France et évoque les changements variétaux et d'espèces à envisager. C'est une véritable diversification dont la France agricole a besoin et qu'il faut anticiper dès maintenant.
Avec le changement climatique, à quoi ressemblera la France fruitière et légumière en 2050 ? Le salon Medfel, ces 24 et 25 avril, fait le point. Mais pour ce sujet d'importance. Serge Zaka, docteur en agroclimatologie et président d'AgroClimat 2050, dresse en avant première pour FLD une cartographie de la France et évoque les changements variétaux et d'espèces à envisager. C'est une véritable diversification dont la France agricole a besoin et qu'il faut anticiper dès maintenant.
Le changement climatique est déjà là et il faut se préparer à la suite le mieux et le plus rapidement possible. L’urgence se heurte au temps long de nos filières. Alors à quoi s’attendre d’ici 2050 ? Quelles transitions sont envisageables et souhaitables ? Adaptation en termes variétal et itinéraires techniques ne suffiront pas. C’est une véritable diversification fruitière dont il s’agit. Le salon Medfel, les 24 et 25 avril cette année, à Perpigan, compte faire le point sur ce sujet d'importance.
Lire aussi : Changement climatique : des producteurs ont déjà pris le virage de la diversification
Mais en attendant, pour FLD, Serge Zaka, docteur en agroclimatologie et président d’AgroClimat2050, dresse une cartographie de la France fruitière et légumière en 2050. Cette cartographie s’inscrit dans le cadre de « Prospective fruits et légumes 2040 » demandé par le ministère de l’Agriculture. Elle est réalisée par l’entreprise de Serge Zaka AgroClimat2050 (qui détermine les futures aires de répartition de l’arboriculture d’ici 2040) et le cabinet Ceresco (qui valide la faisabilité économique des productions). Interview.
Cet article a été publié dans FLD Magazine avril-mai-juin 2024, dans le dossier spécial Medfel : Diversification face au changement climatique.
Pourquoi voit-on accélérer une volonté collective de connaître les aires de répartition de l’arboriculture dans le futur ?
Serge Zaka - La problématique de l’arboriculture, c’est le temps long. Quand on plante maintenant un abricotier, c’est pour trente ou quarante ans. Il faut donc commencer dès maintenant à planter les variétés adéquates à 2050. Anticipation est le maître mot en fruits et légumes. Autre exemple temporel : il a fallu trente ans à la noix du Périgord pour installer la filière et l’AOP.
« Il faut commencer dès maintenant à planter les variétés et les espèces adéquates à 2050 »
Quelles espèces fruitières avez-vous étudiées pour cette cartographie ?
Serge Zaka - J’ai proposé des fruits et des légumes représentatifs. En fruits à pépins, le plus vendu : la pomme. En fruits à noyau, le plus impacté par le changement climatique : l’abricot. En fruits à coque, le plus connu et le plus produit : la noix, qui a en outre deux AOP [noix du Périgord et noix de Grenoble]… Il faut qu’il y ait une résonance sur le terrain, le citron de Menton n’est pas représentatif ! J’ai aussi étudié la tomate, reine de l’été, ainsi que des productions qui commencent déjà à remonter des pays du Sud : l’olive, les agrumes. Et une fois que le modèle est mis en place, il est déclinable à d’autres espèces.
Où produirons-nous de l’abricot en 2050 ?
Serge Zaka - De manière générale, on voit une remontée vers le nord des variétés. Le Bergeron remonte progressivement, d’ici 2050, de la vallée du Rhône vers le Bassin parisien, la vallée de la Saône et l’Alsace. Les variétés type Roussillon quittent le Roussillon pour le Bordelais, les Pays de la Loire, le Bassin lyonnais, car elles n’auront plus assez de degrés froids dans le Roussillon pour la floraison. Elles y seront remplacées par des variétés type Colorado avec moins de besoins en froid.
« L'abricot va devenir un fruit de printemps »
Ce qui est intéressant de noter – et qui peut paraître paradoxal – c’est que nous ne verrons pas une augmentation des pertes liées à la chaleur et à la sécheresse car l’abricot décale aussi sa maturité dans le temps, elle avance. C’est ce qu’on appelle une stratégie d’évitement. Les récoltes d’abricots auront lieu en juin, voire fin mai, et non pendant les mois d’été avec chaleur et sécheresse. L’abricot va devenir un fruit de printemps.
Pour mieux lire les cartes
La biogéographie est l’étude de la distribution géographique des espèces.
Les scénarios RCP (pour Representative concentration pathway, ou trajectoires représentatives de concentration) qui vont du plus pessimiste au plus optimiste (8.5, 6.0, 4.5 et 2.6) sont quatre scénarios de référence établis par le groupe intergouvernemental sur l’évolution du climat (Giec). Ils reflétent les trajectoires probables que nous pourrions prendre, en fonction de la concentration des gaz à effets de serre (GES) dans l’atmosphère.
La carte variétale des pommes va-t-elle aussi changer ?
Serge Zaka - Pour la pomme, c’est une problématique de vernalisation : le pommier a des besoins en froid beaucoup plus importants que l’abricotier. En moyenne toutes variétés, on est sur 600 heures de froid sous 7 °C pour l’abricotier, alors qu’on est entre 800 et 1 000 heures pour le pommier en moyenne. Ainsi les pommes remonteront très largement au nord et les variétés moyennes et tardives de pommes vont disparaître du sud de la France. Nous n’aurons pas les mêmes variétés ni avec les mêmes qualités visuelles (couleur), gustatives ou industrielles (pour la compote). D’autres espèces fruitières vont grignoter le territoire actuel de la pomme : cerise, pêche, et abricot dans une moindre mesure. Je vois bien en Bretagne en 2050 des pommes à cidre et des variétés précoces de pommes côtoyer des cerises.
Finalement, il s’agira de remplacer une culture par une autre plutôt qu’une disparition de l’arboriculture française ?
Serge Zaka - Effectivement. Nous ne verrons pas de perte du potentiel de production de l’arboriculture française prise dans son ensemble, mais une évolution de filières très marquante. Car au-delà des variétés, on parle désormais de nouvelles espèces. Avec la désertification du Maroc et de l’Espagne, certaines cultures remontent jusqu’en France : olive, citron et autres agrumes, tomate. Nous avons un vrai gain de potentiel en France. Les agrumes resteront cantonnés pour l’instant au sud de la France (Côtes du Roussillon) mais les olives sont déjà là, avec une importation de connaissances et de matériels marocains dans le sud-ouest de la France. L’olive pourrait se développer à Bordeaux, Montélimar, pourquoi pas en Poitou-Charentes et dans le Centre.
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La biogéographie est l’étude de la distribution géographique des espèces.
Les scénarios RCP (pour Representative concentration pathway, ou trajectoires représentatives de concentration) qui vont du plus pessimiste au plus optimiste (8.5, 6.0, 4.5 et 2.6) sont quatre scénarios de référence établis par le groupe intergouvernemental sur l’évolution du climat (Giec). Ils reflétent les trajectoires probables que nous pourrions prendre, en fonction de la concentration des gaz à effets de serre (GES) dans l’atmosphère.
Et côté légumes ?
Serge Zaka - Les légumes du soleil, la tomate en premier lieu, remontent aussi. La France pourrait être le futur verger de l’Europe, si nous gérons la ressource en eau différemment que les Espagnols ne l’ont fait. D’autant plus que si l’Espagne continue et réussit à produire, cela leur coûtera de plus en plus cher, entre les pertes de rendement et la gestion de la ressource en eau. Pour résumer, le potentiel climatique est là. Après, cela dépend aussi du potentiel économique : main-d’œuvre, molécules autorisées… Mais contrairement au Maroc et à l’Espagne, la France ne sera pas dans une déprise agricole.
« Contrairement au Maroc et à l'Espagne, la France ne sera pas dans une déprise agricole pour ses fruits et légumes »
Il y a une opportunité au changement climatique pour la France, c’est ce que vous dites ?
Serge Zaka - Il y a du bon et du moins bon dans le changement climatique. Il faut complètement changer d’espèces pour s’adapter aux nouvelles aires de répartition. Mais développer de nouvelles filières ne se fait pas comme cela bien évidemment. Il faut du temps, de l’argent, il faut réunir l’ensemble des acteurs concernés – industriels notamment… Bien sûr il y aura des difficultés, des sécheresses, des pertes. Mais c’est maintenant qu’il faut investir. La bonne nouvelle, c’est que ça y est, le ministère prend en compte le sujet, avec l’étude prospective par exemple. Cela fait des années que j’essayais d’avertir, j’avais la sensation de parler un peu dans le vent. Mais maintenant, l’État écoute.
Les pouvoirs publics ont leur part à prendre selon vous ?
Serge Zaka - Le plus long ce n’est pas de planter mais de structurer une nouvelle filière. Selon moi, c’est à l’État de soutenir ces nouvelles filières, pas aux producteurs. Malheureusement c’est ce qu’on voit aujourd’hui. Pistaches de France est venu des agriculteurs. L’huile d’olive dans le Sud-Ouest aussi. Face au changement climatique, les agriculteurs sont les premiers à prendre les devants.
« C'est à l'Etat de soutenir ces nouvelles filières, pas aux producteurs »
Verra-t-on tout de même des disparitions d’espèces en France ?
Serge Zaka - Des disparitions progressives saisonnières, oui. Les légumes verts d’été tempérés, les choux, les haricots verts… Il va falloir décaler les saisons, produire en hiver. Des disparitions totales, je n’en vois pas pour le moment pour la France, car nous avons des montagnes sur lesquelles nous gagnons avec l’altitude. Cela, c’est vrai pour les fruits et légumes. Ce n’est pas la même perspective pour les grandes cultures. Le maïs va disparaître du Sud-Ouest. On est aussi sur une fin de filière pour le pois protéagineux qui a déjà perdu 50 % de rendement en vingt ans et qui sera remplacé d’ici 2050 par d’autres légumineuses : pois chiche, niébé… L’arboriculture, elle, sera plus présente car elle apporte une diversification. Elle permet la mise en place de haies qui fournissent des ombrages et bloquent l’évapotranspiration.
« Ce n'est pas la même perspective pour les grandes cultures : le maïs va disparaître du Sud-Ouest »
Cette cartographie fruitière que vous êtes en train de réaliser, sera-t-elle encore valable après 2050 ?
Serge Zaka - Deux cas de figure. Nous avons une visibilité jusqu’en 2050 : nous savons que nous sommes sur un réchauffement. Après 2050, soit le changement climatique s’accélère encore, et il faudra encore décaler la génération d’arbres. Soit nous réussissons à stabiliser les émissions de gaz à effet de serre et nous pourrons garder plus longtemps le modèle, les variétés et espèces mises en place. Tout dépend des émissions de gaz à effet de serre à venir.
Pour mieux lire les cartes
La biogéographie est l’étude de la distribution géographique des espèces.
Les scénarios RCP (pour Representative concentration pathway, ou trajectoires représentatives de concentration) qui vont du plus pessimiste au plus optimiste (8.5, 6.0, 4.5 et 2.6) sont quatre scénarios de référence établis par le groupe intergouvernemental sur l’évolution du climat (Giec). Ils reflétent les trajectoires probables que nous pourrions prendre, en fonction de la concentration des gaz à effets de serre (GES) dans l’atmosphère.
Avez-vous un message à faire passer aux agriculteurs ?
Serge Zaka - Soyez les pionniers de demain ! Il faut sortir de la stratégie de pansement, voir ce qui peut se faire de différent et changer du tout au tout, même si cela demande des efforts, du temps et de l’argent. Ce sont des démarches qui faciliteront la transmission des exploitations demain. Soyez ambitieux, les futures filières et AOP françaises sont dans vos mains.
« Il faut sortir de la stratégie de pansement et investir dans une vraie diversification »
Huit indicateurs agroclimatiques compilés
Le modèle de Serge Zaka repose sur les données compilées de huit indicateurs agroclimatiques :
- les vagues de chaleur ;
- la sécheresse du sol ;
- l’irrigabilité ;
- la date de floraison ;
- la vernalisation [besoin en froid des espèces] ;
- la date de maturité des fruits ;
- les risques de coulure [chute des fleurs ou des fruits liée à un excès d’eau qui a empêché la pollinisation] ;
- les pertes dues au gel pendent la floraison et les gels mortels.
Les données proviennent de tables scientifiques et d’observation de terrain.